La reconnaissance du fait que le corps humain est le même pour tout le monde, indépendamment du lieu de résidence ou de la couleur de la peau, devrait conduire à des interdictions effectives d’exporter des pesticides interdits.

« La pratique européenne consistant à fabriquer et exporter des pesticides interdits est une violation flagrante des droits fondamentaux »

Tribune

Marcos A. OrellanaRapporteur spécial des Nations uniesOlivier De SchutterRapporteur spécial des Nations unies

Les institutions européennes doivent mettre fin à cette politique du deux poids deux mesures aux conséquences dramatiques pour les individus et les communautés des pays en voie de développement, dénoncent Marcos A. Orellana et Olivier De Schutter, rapporteurs spéciaux des Nations unies, dans une tribune au « Monde ».

Publié hier à 10h30   https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/28/la-pratique-europeenne-consistant-a-fabriquer-et-exporter-des-pesticides-interdits-est-une-violation-flagrante-des-droits-fondamentaux_6616264_3232.html

Temps de Lecture 3 min.Offrir l’article Lire plus tard Partager

Chaque année, des dizaines de milliers de tonnes de pesticides hautement dangereux, interdits dans l’Union européenne, sont néanmoins fabriquées pour l’exportation. Cette odieuse politique du deux poids deux mesures est une forme d’exploitation de l’agriculture des pays du Sud. Pendant que les travailleurs et leurs familles souffrent, les fabricants de pesticides en tirent des bénéfices.

En 2020, la Commission européenne a publié une stratégie sur les produits chimiques qui s’engageait à mettre fin à cette pratique indigne. Pourtant, elle n’a pas encore proposé de législation pour tenir sa promesse.

La reconnaissance du fait que le corps humain est le même pour tout le monde, indépendamment du lieu de résidence ou de la couleur de la peau, devrait conduire à des interdictions effectives d’exporter des pesticides interdits. L’impératif moral est clair. L’exportation de pesticides interdits à partir de l’Europe cause de graves préjudices aux individus et aux communautés des pays en développement.

Cancers, stérilité, diabète

L’exposition à des pesticides dangereux provoque, entre autres, des cancers, la stérilité, le diabète, des maladies neurologiques telles que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, ainsi que des troubles des systèmes endocrinien et immunitaire. Elle affecte les adultes, mais aussi les nouveau-nés, provoquant des malformations congénitales, ainsi que des handicaps neurodéveloppementaux, notamment une réduction du quotient intellectuel.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Cancers liés aux pesticides : le combat d’Alain Hubo au nom des agriculteurs maladesLire plus tard

Tout un chacun a le droit à la santé et le droit de vivre dans la dignité. La pratique européenne consistant à exporter des pesticides interdits constitue une violation flagrante de ces droits fondamentaux.

Certains acteurs de l’industrie ont parfois affirmé que si les travailleurs utilisaient des équipements de protection individuelle, les pesticides interdits pourraient être utilisés en toute sécurité. Cela ne tient pas compte du fait que ces équipements ne sont souvent pas disponibles ou accessibles, en particulier pour les travailleurs vivant dans la pauvreté, et que les températures élevées dans les champs rendent souvent impossible l’utilisation d’équipements de protection.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Pesticides : « Avec son nouveau plan Ecophyto, le gouvernement persiste dans une politique d’immobilisme vieille de vingt ans »Lire plus tard

Cet argument fait en outre peser le fardeau de la protection sur le maillon le plus faible de la chaîne de valeur agricole. Enfin, il ne tient pas compte de l’impact de ces pesticides sur les écosystèmes, en particulier sur les pollinisateurs et sur la perte de biodiversité.

Les intérêts des entreprises

Certains gouvernements ont fait valoir que chaque pays est souverain pour décider de ce qu’il doit importer. Cet argument ne tient pas compte du fait que la plupart des pays en développement n’ont pas toujours accès aux informations nécessaires pour prendre de telles décisions en toute connaissance de cause. Il néglige par ailleurs les obligations des Etats en matière de droits de l’homme en ce qui concerne les conséquences prévisibles de leur comportement dans d’autres pays.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  « Nous ne pouvons plus tolérer les coûts humains, écologiques et financiers des pesticides »Lire plus tard

En outre, cet argument ne tient pas compte du fait que, dans les Etats où la gouvernance est faible, la souveraineté est souvent accaparée par les intérêts des entreprises et mise à leur service, notamment en raison de la corruption, au détriment des droits de l’homme et de la production alimentaire pour la population locale.

Certains acteurs ont également fait valoir qu’une interdiction européenne des exportations de pesticides interdits ne ferait que déplacer la production ailleurs, privant l’industrie européenne de revenus sans résoudre le problème. Cet argument est moralement indéfendable. S’il était accepté, il justifierait la suppression des protections des salariés, de la Sécurité sociale, de l’abolition de l’esclavage et de nombreuses autres protections et droits de l’homme obtenus de haute lutte.

Lire l’enquête |  Article réservé à nos abonnés  Pesticides : la France continue à exporter des substances interdites… qui reviennent ensuite dans les fruits et légumes importésLire plus tard

Un véritable leadership exige de faire face aux coûts économiques à court terme d’une bonne action. Les coûts à court terme font partie d’un pari sur le long terme : une interdiction des pesticides interdits stimulerait l’innovation pour d’autres solutions plus sûres, ce qui entraînerait les avantages économiques de nouveaux marchés pour les premiers arrivés.

Des enfants continuent à souffrir

Une approche fondée sur les droits de l’homme soutient une action déterminée pour mettre fin à la politique du deux poids deux mesures. Pourtant, alors que la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant reconnaît le droit de chaque enfant à vivre dans un environnement propre, sain et durable, des enfants continuent à souffrir de l’exposition à des pesticides dangereux, notamment par le biais de la pulvérisation aérienne de pesticides très dangereux au-dessus ou autour des écoles. Un problème particulièrement grave compte tenu de leur stade de développement neurologique.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  « Nous fournissons au monde entier les toxiques que nous interdisons dans nos fermes et nous acceptons de les voir revenir dans nos supermarchés »Lire plus tard

L’Organisation internationale du travail a aussi reconnu qu’un environnement sain était un droit et un principe fondamental au travail. Cependant, l’Atlas des pesticides, de la Fondation Heinrich Böll, a estimé que, chaque année, plus d’une dizaine de milliers de travailleurs meurent d’une exposition aux pesticides dangereux et que 350 millions d’entre eux tombent malades. Les dommages sont donc généralisés, systématiques et graves, et ils affectent même les générations futures.

Tous les pays devraient coopérer pour interdire l’exportation de pesticides interdits et défendre le droit à un environnement sans produits toxiques. Mais le changement exige une vision et une conviction morale. Certains pays européens, comme la Belgique et la France, prennent l’initiative d’interdire cette pratique odieuse. Les institutions européennes devraient également faire preuve de leadership au niveau régional et prendre des mesures pour interdire l’exportation de pesticides interdits.

Marcos A. Orellana est rapporteur spécial des Nations unies sur les produits toxiques et les droits de l’homme ; Olivier De Schutter est rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.

Cette tribune a fait l’objet d’une publication dans plusieurs médias étrangers.

Marcos A. Orellana (Rapporteur spécial des Nations unies) et  Olivier De Schutter (Rapporteur spécial des Nations unies)

Le Fastac, un pesticide interdit depuis 2020, identifié dans une usine du groupe allemand BASF en France

Le géant allemand de l’agrochimie continuerait à produire cet insecticide toxique pour l’exporter vers la Russie ou l’Ukraine. Une pratique « illégale », réagit le ministère de la transition écologique. 

Par Stéphane Mandard

Publié le 26 juin 2025 à 18h43, modifié le 27 juin 2025 à 07h48 https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/06/26/le-fastac-un-pesticide-interdit-depuis-2020-identifie-dans-une-usine-du-groupe-basf_6616044_3234.html

A gauche : une palette de 250 kg de Fastac. La date de fabrication indique janvier 2025. A droite : un fût de 50 kg de sa substance active, l’alpha-cyperméthrine. L’étiquette indique une fabrication en Inde, en janvier 2025. A l’usine BASF de Genay (Rhône), le 23 juin 2025.
A gauche : une palette de 250 kg de Fastac. La date de fabrication indique janvier 2025. A droite : un fût de 50 kg de sa substance active, l’alpha-cyperméthrine. L’étiquette indique une fabrication en Inde, en janvier 2025. A l’usine BASF de Genay (Rhône), le 23 juin 2025.   FAUCHEUSES ET FAUCHEURS VOLONTAIRES

Au petit matin du lundi 23 juin, une trentaine de militants du collectif des Faucheuses et faucheurs volontaires se sont introduits dans l’usine du groupe BASF à Genay (Rhône), près de Lyon. L’« inspection citoyenne » n’a duré que quarante minutes avant l’arrivée des gendarmes. Suffisant, toutefois, pour constater que le géant allemand de l’agrochimie continuerait à fabriquer des pesticides interdits en France pour les exporter en dehors de l’Union européenne (UE), dans des pays aux réglementations moins regardantes.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Pesticides : le gouvernement accusé de « bloquer » une étude révélant une surimprégnation des enfants près des vignesLire plus tard

La loi EGalim interdit pourtant depuis 2022 sur le territoire français, « la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale, ou de l’environnement ».

Un produit découvert par les Faucheuses et faucheurs volontaires tombe sous le coup de la loi. Il s’agit du Fastac, un insecticide longtemps utilisé sur les vignes ou les céréales, retiré du marché français en octobre 2020. Avant de se faire interpeller, les militants ont pu prendre des photos, transmises au Monde et à Mediapart. Elles montrent la présence d’au moins une palette de 250 kg de Fastac. La date de fabrication indique 1er janvier 2025, soit trois ans après l’entrée en vigueur de la loi. Au moins un fût de 50 kg d’alpha-cyperméthrine, la substance active à partir de laquelle il est fabriqué, a également été identifié. Elle n’est plus autorisée dans toute l’Union européenne depuis 2021. L’étiquette indique une fabrication en Inde, en janvier 2025.

Une opération similaire

« BASF est hors la loi », affirment les Faucheuses et faucheurs volontaires dans un communiqué diffusé jeudi 26 mai.« La fabrication ou la détention du produit Fastac ou de tout autre produit phytosanitaire contenant de l’alpha-cyperméthrine est illégale en France, y compris si ces produits sont destinés à l’exportation », indique au Monde le ministère de la transition écologique. « Nous allons mobiliser les inspections locales, notamment les Dreal [directions régionales de l’environnement et de l’aménagement du territoire], pour effectuer des contrôles et vérifier la conformité des pratiques industrielles avec le droit en vigueur ». De même source, on indique que « des suites seront engagées en cas de manquement ».

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Pesticides : l’Anses lance une alerte d’ampleur après un examen des effets de produits toujours autorisésLire plus tard

Contacté par Le Monde, BASF se contente de « réaffirmer que la société opère dans le respect des différentes réglementations qui encadrent son activité ». Ce n’est pas la première fois que la firme allemande est mise en cause. Lors d’une opération similaire menée en mars 2022 sur le site de Genay, les activistes avaient déjà découvert des bidons de 700 litres de Régent TS, à base de fipronil, un insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2005 en raison de sa toxicité pour les pollinisateurs.

Des activistes des Faucheuses et faucheurs volontaires avec des gendarmes dans l’usine du groupe BASF, à Genay, le 23 juin 2025.
Des activistes des Faucheuses et faucheurs volontaires avec des gendarmes dans l’usine du groupe BASF, à Genay, le 23 juin 2025.  FAUCHEUSES ET FAUCHEURS VOLONTAIRES

Deux ans plus tard, le Fipronil est retrouvé en grande quantité dans les rejets aqueux dans une autre usine du groupe allemand, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime. En 2023, soit un après l’entrée en vigueur de la loi, cette installation produisait encore plus de 1 400 tonnes de Fipronil à destination des marchés extra-européens. « Le fipronil est une substance active et sa fabrication en France n’est donc pas réglementée par la loi », assurait au Monde BASF en septembre 2024.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  PFAS : la redevance sur les rejets dans l’eau payée par les industriels s’annonce beaucoup plus élevée que prévuLire plus tard

A l’instar d’autres géants de l’agrochimie comme Syngenta ou Corteva, BASF s’est, en effet, d’abord engouffrée dans une brèche laissée par le législateur : le texte stipulait que l’interdiction s’appliquait aux produits « contenants » des substances non autorisées, mais pas aux substances actives elles-mêmes. Concernant le Fastac et sa substance active l’alpha-cyperméthrine, le ministère assure ne disposer d’« aucune notification d’exportation depuis la France en 2024 ». L’association suisse Public Eye traque depuis plusieurs années les exportations de pesticides interdits depuis les pays européens. Elle n’a pas encore pu analyser l’ensemble des notifications pour l’année 2024. Elle a toutefois identifié des exportations de Fastac depuis les Pays-Bas et l’Allemagne en 2024. Des exportations principalement à destination de la Russie et des pays de l’ex-bloc soviétique (Ukraine, Kazakhstan, Bélarus).

L’embarras du choix

Responsable agriculture et alimentation à Public Eye, Laurent Gaberell privilégie une hypothèse : « BASF, comme Syngenta et les autres géants de l’agrochimie disposent de filiales et d’infrastructures sur tout le continent. Ils peuvent très bien continuer à produire en France tout en déclarant leurs exportations depuis un pays qui n’a pas la même réglementation. » Les fabricants ont l’embarras du choix. La France, est, avec la Belgique, le seul pays à interdire sur son territoire la production et l’exportation de pesticides dont l’usage est prohibé en Europe. Mardi 24 juin, une coalition de plus de 600 organisations a demandé à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de « tenir sa promesse de 2020 » d’interdire la production et l’exportation de pesticides interdits dans l’UE pour en finir avec un« commerce toxique qui a doublé depuis 2018 ».

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Loi Duplomb : l’acétamipride, le pesticide au cœur des débats, est-il dangereux pour l’environnement et la santé ?Lire plus tard

« Agnès Pannier-Runacher a interpellé à plusieurs reprises la Commission pour qu’elle respecte cet engagement, notamment lors d’un conseil des ministres de l’environnement de l’UE fin 2024, indique-t-on au ministère de la transition écologique. Seule une action à l’échelle communautaire est de nature à réellement progresser sur le sujet. »

Stéphane Mandard

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire