La priorité doit être de se doter d’une mesure corrigée des effets de l’activité sur l’environnement, juge Jean Pisani-Ferry, dans sa chronique.

« Si le terme de décroissance traduit un rejet louable du consumérisme effréné, il n’a pas de sens clair d’un point de vue macroéconomique »

Chronique

Jean Pisani-FerryEconomiste

Aux côtés des indicateurs traditionnels comme le PIB, la priorité doit être de se doter d’une mesure corrigée des effets de l’activité sur l’environnement, juge Jean Pisani-Ferry, dans sa chronique.

Publié hier à 05h30  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/28/si-le-terme-de-decroissance-traduit-un-rejet-louable-du-consumerisme-effrene-il-n-a-pas-de-sens-clair-d-un-point-de-vue-macroeconomique_6616217_3232.html

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Depuis le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009, on sait que le produit intérieur brut (PIB) est une mesure biaisée de la performance économique. Il ignore notamment tant la détérioration du climat induite par les émissions de gaz à effet de serre que la baisse du capital naturel résultant du rétrécissement des espaces naturels et de la dégradation de la biodiversité. Mais on ne disposait pas jusqu’ici d’une mesure synthétique de ces dommages, et donc pas non plus d’une alternative au PIB.

C’est ce qui a conduit beaucoup de pays à mettre en place des tableaux de bord censés mieux refléter l’ensemble des conséquences de la croissance. En France, notamment, la loi Sas de 2015 impose au gouvernement de publier annuellement et de transmettre au Parlement une batterie d’indicateurs destinés à éclairer le débat public. En réalité, ces indicateurs n’ont jamais suscité que de l’indifférence générale, et le PIB a continué d’être la seule métrique par laquelle gouvernement, opposition et acteurs sociaux mesurent la performance économique du pays.

Faute de mieux, une controverse s’est alors nouée autour du thème de la décroissance. Elle met aux prises les tenants de celle-ci et les avocats de la croissance. Combat inégal, parce que la décroissance est un concept flou, dont la cible n’est pas quantifiée, et dont la séduction est fortement diminuée par le ralentissement actuel des gains de pouvoir d’achat. Un débat qui oppose les défenseurs du peu et ceux du « encore moins » a peu de chances de susciter l’intérêt des Français et de les détourner des sirènes populistes.

Si le terme de décroissance traduit un rejet louable du consumérisme effréné, il n’a macroéconomiquement pas de sens clair. En particulier, il ne propose pas une meilleure mesure de la performance économique et ne dit pas à quoi il faudrait allouer les gains de productivité dans un régime de décroissance.

Le débat public serait plus pertinent si les comptes nationaux produisaient deux mesures de la croissance : l’une traditionnelle (le PIB), l’autre corrigée des effets de l’activité économique sur le climat et la nature. Cet indicateur alternatif permettrait de mieux apprécier la performance économique du pays et inciterait les gouvernants à des politiques plus respectueuses de l’environnement.

Choix méthodologiques

Une telle configuration permettrait au débat sur les politiques publiques de gagner en maturité. Qu’il y ait une confrontation entre avocats de la croissance et partisans de la préservation de l’environnement est légitime. Mais ce dont nos démocraties ont besoin, c’est que la controverse soit éclairée par une mesure objective des conséquences des options proposées par les uns et les autres. Les « croissants » seraient obligés d’assumer les conséquences de leurs choix sur l’environnement, et les « décroissants » de reconnaître le coût économique des politiques qu’ils préconisent.

La bonne nouvelle est que les comptables nationaux ont commencé à ouvrir de nouvelles pistes de prise en compte des dommages climatiques dans la mesure de la performance économique. Un travail pionnier de Sylvain Larrieu et Sébastien Roux, de l’Insee, propose ainsi de corriger le produit intérieur net (PIN, un indicateur qui, à la différence du PIB, prend en compte la dégradation au fil du temps des équipements et des bâtiments). Ce PIN, une fois ajusté des dommages créés par les dérèglements climatiques, était en 2023 inférieur de 4,1 % au PIN usuel, et même de 5,5 % si les effets de la dégradation du climat sur la santé et la mortalité sont pris en compte. C’est un écart substantiel.

Un complexe industriel à Datong (Chine), le 4 novembre 2021.
Un complexe industriel à Datong (Chine), le 4 novembre 2021.  NOEL CELIS/AFP

L’autre bonne nouvelle est que pour un pays qui réduit ses émissions, la progression annuelle du PIN ajusté (ou PINA) est supérieure à celle du PIN usuel. En 2023 par exemple, la progression du PINA de la France a été de 0,3 point supérieure à celle du PIN. La baisse marquée des émissions enregistrée cette année-là a sensiblement rehaussé la croissance mesurée par cet indicateur.

Evidemment, ces calculs sont sujets à caution. La monétisation des dommages climatiques repose sur une estimation du coût de la tonne de carbone émis, qui peut s’effectuer de deux manières. L’une est d’estimer le « coût social du carbone », c’est-à-dire la valeur actualisée des dommages que la collectivité subira dans le futur, du fait des émissions. Elle aboutit à estimer ce coût à 172 euros par tonne en 2022. L’autre est la « valeur de l’action pour le climat », qui est calculée à partir des objectifs de réduction des émissions : elle indique le niveau auquel il faudrait fixer le prix du carbone pour atteindre, en l’absence d’autres instruments, la cible de réduction des émissions que s’est donnée notre pays. L’actualisation récente du rapport Quinet aboutit ainsi à une estimation plus haute, à 256 euros par tonne en 2025.

Ces deux estimations reposent sur des choix méthodologiques différents, mais l’écart entre les deux approches s’est beaucoup réduit depuis les controverses d’il y a vingt ans sur le sujet. Il n’y a plus aujourd’hui de guerre de religion entre les deux méthodes. Parce qu’elle ne fait pas dépendre la performance d’un pays des ambitions qu’il s’est fixées, l’approche par le coût social du carbone est plus objective et permet plus facilement les comparaisons internationales.

Ces travaux exploratoires doivent évidemment être affinés. Mais ils indiquent la direction à suivre pour élaborer, dans un avenir proche, une mesure de la performance économique adaptée à un monde où les atteintes à l’environnement ne peuvent plus être ignorées. Ce doit être une priorité pour la statistique publique.

Jean Pisani-Ferry est professeur d’économie à Sciences Po Paris, à l’Institut Bruegel de Bruxelles et au Peterson Institute for International Economics de Washington.

Jean Pisani-Ferry (Economiste)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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