Algues vertes : l’Etat reconnu partiellement responsable de la mort d’un homme en Bretagne, une première et une « victoire » pour les associations
La justice a reconnu les manquements de l’Etat dans la mise en œuvre d’une « réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole ».
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C’est une première en France. La justice reconnaît un lien direct entre la mort d’un homme et la prolifération des algues vertes. Mardi 24 juin, la cour administrative d’appel de Nantes a condamné l’Etat à indemniser la famille de Jean-René Auffray. Ce joggeur a été retrouvé mort, le 8 septembre 2016, dans une zone marécageuse recouverte d’algues en décomposition, dans l’estuaire du Gouessant, entre Hillion et Morieux, dans les Côtes-d’Armor.
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La cour « retient la responsabilité pour faute de l’Etat, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole », explique-t-elle dans un communiqué.
« Ce jugement est capital et dépasse de loin le cadre familial des Auffray. C’est la première fois que l’Etat de droit fait pleinement son œuvre. Jusqu’ici, toutes les institutions bretonnes étaient soumises à une forme d’omerta quant au danger que représentent les marées vertes », estime Yves-Marie Le Lay, coprésident de l’association Halte aux marées vertes.
« Marées vertes »
C’est donc une « victoire » pour la famille et les associations, mobilisées depuis près de dix ans. En 2016, le corps de Jean-René Auffray avait été rapidement inhumé, la thèse d’un arrêt cardiaque après un envasement en tentant de sauver son chien étant alors privilégiée. Sous la pression des associations, convaincues que les gaz émis par les algues vertes étaient en cause, une exhumation a été ordonnée. L’autopsie a révélé que le quinquagénaire, jusque-là en bonne santé, était mort d’une insuffisance respiratoire brutale. Cependant, le lien avec le gaz toxique n’a pas pu être formellement établi, l’examen ayant été effectué dix-neuf jours après le décès.
En 2022, le tribunal administratif de Rennes avait rejeté les demandes d’indemnisation de la famille, estimant que le lien de causalité ne pouvait être établi. La cour d’appel vient de casser ce jugement, estimant que le décès de la victime, qui est survenu « instantanément » et a été causé par un « œdème pulmonaire massif et fulgurant », ne pouvait s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle due à l’inhalation d’hydrogène sulfuré à des concentrations très élevées.
Les algues vertes sont des végétaux présents naturellement en mer, qui prolifèrent en raison des nitrates et autres nutriments apportés par les cours d’eau côtiers. Lorsqu’ils se décomposent, ils dégagent de l’hydrogène sulfuré (H₂S), dont l’inhalation est particulièrement dangereuse. A fortes concentrations, il peut entraîner une perte de connaissance, des atteintes neurologiques graves, une détresse respiratoire aiguë ou un arrêt cardiaque.
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Plusieurs accidents mortels, en Bretagne, sont attribués à ces ulves en décomposition. Depuis 1989, trois personnes ont été retrouvées sans vie sur des plages ou des zones touchées par des marées vertes dans les Côtes-d’Armor. Aucune mort n’a jamais été officiellement causée par l’hydrogène sulfuré, jusqu’à aujourd’hui. « Il faut désormais agir pour mettre un terme à ces marées vertes. Cela passe par une révision du modèle agricole intensif en Bretagne. Tant que ce ne sera pas fait, le problème restera entier », insiste Yves-Marie Le Lay.
Une grande partie des nitrates provient des activités agricoles et de la fertilisation des sols. La Bretagne regroupe seulement 7 % des exploitations agricoles du pays, mais produit environ 60 % de la viande de porc française. En 2021, un rapport de la Cour des comptes estimait que la prolifération d’algues vertes était « à plus de 90 % d’origine agricole », notamment à travers les engrais utilisés dans les cultures, mais également les déjections des animaux d’élevage.
« Préjudice écologique »
Alors que les algues vertes continuent de s’échouer sur les côtes, cette condamnation a une portée d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans le sillage de deux autres jugements, rendus le 13 mars par le tribunal administratif de Rennes. Dans une première décision, celui-ci avait donné dix mois au préfet de la région Bretagne pour agir et faire en sorte de « réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole », les mesures mises en œuvre étant jugées insuffisantes. La concentration moyenne en nitrates, en particulier, baisse beaucoup moins qu’auparavant dans les cours d’eau bretons.
Dans son second jugement de mars, le tribunal de Rennes avait, par ailleurs, condamné l’Etat à verser 5 000 euros à Eau et Rivières de Bretagne, retenant que « les carences constatées dans la lutte contre la prolifération des algues vertes [étaient] de nature à engager la responsabilité de l’Etat et à l’origine d’un préjudice écologique qu’il lui appart[enait] de faire cesser ».
Une somme de 277 343 euros, assortie d’intérêts, devra être versée à l’épouse du joggeur. Ses trois enfants recevront chacun 15 000 euros et son frère 9 000 euros. Toutefois, la cour a reconnu une responsabilité partielle, estimant que le joggeur avait pris un risque en courant dans cette zone, et l’a évaluée à 60 % des conséquences dommageables du décès.