Contre les déserts médicaux : Médecins solidaires, l’association qui entend soigner les territoires ruraux
Le dispositif lancé en 2022, dont le gouvernement s’est inspiré, compte aujourd’hui 750 généralistes qui se relaient, au fil des semaines, dans huit centres de santé.

La docteure Clémentine Ariot est à mi-parcours de sa mission – trois journées sur six – à Charenton-du-Cher (Cher), et elle n’a pas encore trouvé le temps de faire le tour de ce gros bourg d’un millier d’habitants. Les consultations se suivent au rythme d’une vingtaine par jour depuis qu’elle a accueilli les premiers patients, lundi 19 mai, dans l’ancien cabinet du médecin du village, réaménagé en centre de santé par la municipalité. Elle en repartira le samedi suivant (« déjà… », glisse-t-elle), pour rejoindre son lieu d’exercice habituel, Gières (Isère), à quatre heures de route.
Au préalable, elle aura remis les clés du cabinet à son successeur, généraliste comme elle. Qui fera de même, une semaine plus tard, avec un autre médecin… « C’est tendu, ce turnover, mais c’est aussi stimulant de se sentir engagé dans une démarche d’“aller vers”, de solidarité envers des patients, rapporte la médecin de 38 ans. Ce type de mission redonne du sens à notre métier. »
Dans la maison pluriprofessionnelle de santé où elle exerce d’ordinaire, aux portes de Grenoble, ils sont sept généralistes, mais aussi un pédiatre, un kinésithérapeute, une sage-femme, une orthophoniste, un podologue et une infirmière à travailler de concert. Des conditions d’exercice « plutôt confortables », concède-t-elle. Dans la commune du sud du Cher où elle s’est portée volontaire, les indicateurs sanitaires clignotent au rouge : avec une population vieillissante, le dernier médecin généraliste parti à la retraite à l’été 2023, et un nombre de malades chroniques sans médecin traitant avoisinant 10 %, le territoire coche toutes les cases d’un désert médical.
Une « démarche volontaire »
Pour faire reculer ce phénomène, qui n’est plus l’apanage des départements ruraux, le gouvernement a promis un « pacte », dont les contours se précisent. On en connaît sa mesure-clé : une « mission de solidarité territoriale » que les médecins rempliraient dans des zones où la densité médicale est la plus faible. Et ce, jusqu’à deux jours par mois, à compter de septembre. C’est en tout cas l’horizon fixé par le ministre de la santé, Yannick Neuder. La ressemblance avec l’initiative de l’association Médecins solidaires, que la docteure Ariot vient de rejoindre, n’est pas fortuite : M. Neuder a, à maintes reprises, salué l’engagement de l’association, conviant d’ailleurs son cofondateur et président, Martial Jardel, à la table des concertations organisées, sur le sujet, courant avril.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Déserts médicaux : le gouvernement définit 151 zones rouges pour la « mission de solidarité obligatoire » des médecins
Le ministre a aussi fait sien son « mantra » : « Plutôt que de demander beaucoup à peu de médecins, autant demander peu mais à beaucoup. » Pour Martial Jardel, la comparaison s’arrête là : « Bien sûr qu’il y a de la satisfaction à se dire qu’on a peut-être influencé une politique publique, souffle le jeune médecin de 34 ans, qui partage son temps entre Le Dorat (Haute-Vienne), village de 1 500 habitants où exerçait déjà son père, et les Médecins solidaires. Mais intégrer notre réseau, c’est souscrire à une démarche volontaire, participative, pas à une mission imposée, tient-il à souligner. Les notions de solidarité et d’obligation semblent difficilement conciliables. »
Au lancement de l’initiative, en 2022, ils étaient huit médecins – quatre hommes, quatre femmes – à porter le projet. Trois ans plus tard, ils sont plus de 750 généralistes à se relayer, au fil des semaines, dans huit centres de santé : un dans le Cher donc, deux dans la Creuse, un autre en Haute-Vienne, un dans les Deux-Sèvres, un dans la Nièvre, un dans l’Indre et un, encore, dans le Lot-et-Garonne. Le neuvième centre, en Eure-et-Loir, ouvrira cet été.
L’association égrène les chiffres comme autant de petites victoires : 52 150 consultations ont ainsi pu être proposées, et 9 600 patients, dont plus d’un quart en affection de longue durée, ont retrouvé un médecin traitant. Pour les généralistes volontaires, la semaine salariée (de quarante-deux heures, avec un après-midi off) est rémunérée 1 000 euros net, avec le gîte, le couvert et les frais de transport compris. La moitié d’entre eux a déjà deux missions à son actif ; le quart au moins trois.
« Un peu comme un pansement »
Le docteur Jean Deaux en sera bientôt à sept, avec celle qu’il projette cet été. A 72 ans, il se réjouit de pouvoir alterner les remplacements à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), où il exerçait déjà avant la retraite, avec ces missions solidaires. « On fait partie d’un collectif de médecins, on est le maillon d’une chaîne. On se sent accueilli par les confrères, par les patients, par les élus… c’est un tout, relève-t-il. Et puis, c’est une initiative qui vient d’une autre génération que la mienne. Et ça compte aussi, quand on est médecin, d’être solidaire des plus jeunes. »
L’engouement pour la démarche – et son écho médiatique – n’empêche pas certaines critiques. Dans les rangs des syndicats de libéraux, on interroge par exemple la « continuité des soins » due aux patients, alors que ceux-ci changent d’interlocuteur à chaque visite. Une contribution « éphémère ». Ou encore, le « modèle économique » du réseau, et son « rapport coût-efficacité » : les frais d’ouverture pour chaque antenne oscillent entre 160 000 euros et 170 000 euros en moyenne, avec des financements publics comme privés.
A ces critiques, le docteur Jardel répond point par point : les antennes peuvent être choisies comme médecin référent (en lieu et place d’un « médecin physique », rappelle-t-il), et, dans chacune, deux coordinatrices salariées font office de « pilier ». « Les médecins se succèdent, mais elles, elles sont là pour assurer tout l’administratif, et veiller au suivi… La clé, c’est que le dossier médical de chaque patient soit bien tenu. » Quant à l’« équation budgétaire », elle n’est pas loin, à l’écouter, d’être résolue : « A partir de 21 centres ouverts, l’association devrait atteindre son point d’équilibre et pourra s’autofinancer. »
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Déserts médicaux : « Il est temps de réguler l’installation des médecins et de bâtir un vrai service public territorial de santé »
Durant ses consultations, ce sont d’autres doléances que le docteur Deaux entend : celles de patients. « Souvent, ils nous remercient de venir jusqu’à eux, mais ils mettent aussi des mots sur leur sentiment d’abandon. “On n’a plus de docteur, ce n’est pas possible en France” ou “Il n’y en a plus que pour la ville…” : ce sont des constats, teintés de colère, qu’on peut entendre, rapporte le retraité actif. Le réseau est là un peu comme un pansement, pour réintégrer les patients dans un parcours de soins, mais aussi pour contribuer à retisser du lien. »
A Charenton-du-Cher, Clémentine Ariot a pu prendre la mesure des besoins : en dépit des rotations de médecins, quelque 700 patients étaient toujours sur liste d’attente, lors de sa mission. Pour y remédier, l’association y a ouvert, début juin, une « deuxième ligne » : ils sont désormais deux généralistes, chaque semaine, à y assurer une vacation.
Voir aussi:
On ne peut pas dire que le journal « Le Monde » défende chaudement la proposition de loi trans-partisane de Guillaume Garot !**https://environnementsantepolitique.fr/2025/05/09/61965/
**https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/15/loi-inter-partisane-garot-quest-ce-que-cest/
Commentaires
La mission de solidarité territoriale du ministre M. Neuder a peu de chance d’améliorer les inégalités d’accès aux soins dans la meure ou « la mission de solidarité obligatoire » dans les zones rouges* n’est pas contraignante. De plus ces dernières ne concernent que 4 millions de nos concitoyens pour 10 millions qui sont dans des déserts médicaux.

On pourrait aussi faire la même critique concernant de projet de loi trans-partisan bien timide de Guillaume Garot **qui ne concerne qu’une minorité des internes arrivant en fin d’études (20% d’une promotion), ce qui sera peu efficace vis à vis d’une disparition rapide des déserts médicaux. De plus les installations en zone pourvue seront autorisées moyennant le remplacement d’un départ en retraite. Mais il a au moins le mérite de commencer à installer une régulation des installations.