Les missions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort demeurent à un niveau élevé depuis quatre ans.

INTERVENTIONS POLICIÈRES LÉTALES : LE BILAN 2024

52 personnes tuées dans le cadre d’une intervention des forces de l’ordre en 2024, 50 en 2023, selon notre recensement indépendant que confirment les données de l’IGPN. Les missions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort demeurent à un niveau élevé depuis quatre ans.

Grand format

« Refus d’obtempérer », « malaises » en détention… 52 décès liés à une intervention policière en 2024

Basta! actualise son recensement des missions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort. On fait le point sur les décès par armes « non létales » ; ceux liés à des refus d’obtempérer ; ceux survenus dans les locaux des forces de l’ordre et les CRA.

par  Ivan du RoyLudovic Simbille

26 juin 2025 à 10h58, modifié à 15h33 https://basta.media/Refus-d-obtemperer-malaises-en-detention-Le-bilan-2024-des-interventions-policieres-letales

Temps de lecture :8 min.

Lire plus tard

« Justice pour Nahel et pour tous les autres ». Marche en mémoire de Nahel à Nanterre, le 30 juin 2024. © Henrique Campos / HAns Lucas

Avec 52 décès liés à une intervention des forces de l’ordre en 2024 et 50 en 2023, la hausse spectaculaire du nombre de décès liés à l’action de la police ou de la gendarmerie observée depuis 2020 se confirme. Toutes unités confondues, la police nationale est impliquée dans les deux tiers environ de la centaine d’interventions létales recensées. La police municipale est, elle, concernée par cinq affaires de ce type. De plus en plus sollicitées pour des missions de droit commun ou de maintien de l’ordre, les unités spéciales (GIGN, Raid…) sont impliquées dans une dizaine de décès, en particulier en Nouvelle-Calédonie. Ces décès recouvrent des situations très différentes qui ne préjugent en rien de la légitimité – ou non – du recours à la force. Nous abordons plus spécifiquement les affaires impliquant les personnes tuées par les forces de l’ordre alors qu’elles étaient armées dans cet article.

 SUR LE MÊME SUJETTués par balle par les forces de l’ordre : 2024, une année record

Le Raid a été épinglé pour avoir dissimulé pendant plusieurs semaines son rôle dans la mort de Mohamed Bendriss, 27 ans, décédé le 2 juillet 2023 à Marseille, en marge des révoltes urbaines qui suivent l’assassinat de Nahel par un policier, en région parisienne. Alors qu’il effectuait une livraison de repas à scooter, Mohamed Bendriss a reçu deux balles en caoutchouc tirées depuis un véhicule blindé du Raid, déployé dans les rues. Trois membres de l’unité ont été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Les interventions policières létales en 2023 et 2024La tendance à la forte hausse des interventions policières ayant entraîné la mort se confirme. Au moins 50 personnes ont été tuées en 2023 en lien avec une mission des forces de l’ordre et 52 en 2024. © Christophe Andrieu / Basta!

Trois décès liés aux armes dites non létales 

Les mal nommées armes « non létales » sont ainsi à l’origine de trois décès en deux ans. Outre la mort de Mohamed Bendriss, celle de Kyllian Samathi, employé dans une épicerie à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), pose particulièrement question. Le 4 janvier 2024, Kyllian Samathi aurait présenté un « comportement agressif » alors qu’il travaille dans l’épicerie. Six policiers arrivent et usent d’une douzaine de décharges de pistolet à impulsion électrique Taser ainsi que de leur LBD. En arrêt cardiaque, Kyllian Samathi tombe dans le coma. Hospitalisé, il décède le lendemain. Le gérant de l’épicerie dément avoir appelé la police. Selon lui, à la suite de l’incident « ils ont tout nettoyé, les projectiles, les caméras… Plus rien n’était là ». Le parquet de Bobigny ouvre une information judiciaire « contre X pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ».

Cinq personnes tuées par balle pour un « refus d’obtempérer »

Cinq personnes ont été tuées par balle alors qu’elles conduisaient ou étaient passagères d’une voiture tentant d’éviter un contrôle. L’IGPN note dans son dernier rapport une sensible baisse des tirs mortels sur les véhicules en mouvement par rapport aux treize décès par balle dans le cadre d’un « refus d’obtempérer » en 2022 – un funeste record ! Basta! révélait cette année-là que cinq fois plus de tirs mortels avaient pris pour cible des véhicules. En cause : l’article L435-1 de la loi du 28 février 2017 (passée sous le mandat de François Hollande) qui étend les règles d’usage d’arme à feu au-delà du cadre de la légitime défense sous certaines conditions. Cet article est très critiqué par plusieurs associations, à l’image du Syndicat des avocats de France (SAF), qu’elles considèrent comme un blanc-seing donné aux forces de l’ordre pour ouvrir le feu. Des chercheurs en sciences sociales ont confirmé cet effet du changement législatif sur le nombre de tirs mortels. Le SAF, les associations Flagrant déni et Stop aux violences d’État viennent de saisir à ce sujet le rapporteur spécial de l’Onu sur les exécutions extra-judiciaires.

Usage intentionnel de la force contre des personnes non arméesEn 2023 et 2024, huit personnes non armées ont été tuées par l’usage intentionnel de la force. Parmi elles, cinq personnes ont été tuées par balle alors qu’elles conduisaient ou étaient passagères d’une voiture tentant d’éviter un contrôle. © Christophe Andrieu / Basta!

En 2023, on compte trois personnes tuées dans ce contexte, dont Nahel Merzouk, à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin 2023 et, deux semaines plus tôt, Alhoussein Camara, 19 ans, près d’Angoulême (Charente) dans des circonstances assez proches. S’y ajoutent deux affaires de ce type en 2024 : le 9 juin 2024, Sulivan Sauvey, 19 ans, est ainsi tué d’une balle dans le dos à Cherbourg (Manche) alors qu’il fuit un contrôle à pied ; le 25 juillet 2024, près de Toulouse, Maiky Loerch, 28 ans, est au volant de sa voiture et accompagné de sa femme et de son bébé de 6 mois, quand, alors qu’il tente d’échapper à un contrôle, il est tué d’une balle dans la tête par des gendarmes. Sa famille, issue de la communauté des Voyageurs, porte plainte pour « homicide volontaire » avec constitution de partie civile. Le gendarme auteur du coup de feu mortel est mis en examen en février 2025.

Chez les indés

La revue de presse du journalisme engagé : une sélection d’enquêtes, de récits, et d’alternatives parues dans la presse indépendante, directement dans votre boîte mail.Mon adresse email :

En m’inscrivant j’accepte la politique de confidentialité et les conditions générales d’utilisationde Basta!

30 accidents mortels lors d’une fuite en véhicule en 2023 et 2024

Les accidents routiers mortels liés à une intervention des forces de l’ordre sont particulièrement nombreux en 2023 et 2024. Le 12 décembre 2023 à Paris, un homme de 84 ans qui traverse sur un passage piéton est heurté par une moto de la Brav-M – un escadron spécialisé dans la répression des manifestations – qui grille le feu rouge. L’octogénaire décède le lendemain d’un traumatisme crânien.

La plupart des accidents routiers sont cependant liés à un refus de s’arrêter, à scooter ou en voiture, suivi, le plus souvent, d’une course-poursuite avec les forces de l’ordre. Nous recensons dix-neuf affaires de ce type en 2023 – c’est la première fois que ce chiffre est aussi élevé – et onze en 2024. Deux jours avant Noël, le 23 décembre 2023, un véhicule de gendarmerie percute – directement ou indirectement, via un autre véhicule – une moto qui roulait en excès de vitesse près de Montpellier. Le motard, Julien, et sa passagère, Maëlys, 17 ans, perdent la vie. Ce type d’intervention interroge : les gendarmes auraient pu faire le choix de relever la plaque d’immatriculation pour ensuite sanctionner l’excès de vitesse, ce qui aurait évité ces deux décès. Idem pour plusieurs affaires, dans lesquelles des motos ou scooters sont pris en chasse au motif que leur conducteur roule sans casque – une infraction qui le met en danger, danger lui-même accru par l’intervention policière et la tentative d’y échapper.

Il s’agira de surveiller l’évolution des pratiques des forces de l’ordre en la matière. En mai 2025, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est à l’origine d’une nouvelle instruction applicable aux policiers et gendarmes en cas de refus d’obtempérer. Elle se substitue à celle en vigueur depuis 1999. Jusque-là, « les poursuites de véhicules » devaient se limiter – en théorie – à des faits « d’une grande gravité ». Désormais, « par principe, la poursuite des véhicules en fuite et refusant d’obtempérer aux injonctions de s’arrêter des policiers et des gendarmes doit être engagée ». Ce texte risque d’aggraver une situation déjà alarmante, s’inquiète l’ONG Flagrant déni. Cette doctrine est à rebours des réflexions de la gendarmerie autour des solutions alternatives à l’interception immédiate, lorsque des personnes tentent de se soustraire à un contrôle.

Les contrôles et leur intensification – inefficaces en matière de lutte contre la grande criminalité – sont à l’origine d’un quart des décès recensés. Sept personnes ont ainsi perdu la vie en fuyant à pied les forces de l’ordre depuis 2023. Quatre se sont noyés après avoir sauté dans une rivière, dans un fleuve ; deux ont fait une chute mortelle. Parmi eux : Enzo, un Strasbourgeois de 17 ans, retrouvé sans vie dans la rivière Ill en tentant d’échapper à la BAC. Depuis le classement de sa plaintepour « omission de porter secours », la famille se bat pour obtenir la vérité sur les circonstances exactes du drame. L’IGPN n’a pas recensé ce cas dans son registre.

Plus d’une dizaine de décès entre les mains des forces de l’ordre

Décès en détentionCe sont les tristement célèbres « malaises » en garde à vue ou en cellule de dégrisement, et autres arrêts cardiaques « d’origine inconnue » lors d’une interpellation. Nous en recensons cinq en 2023 et huit en 2024. © Christophe Andrieu / Basta!

Ce sont les tristement célèbres « malaises » en garde à vue ou en cellule de dégrisement, et autres arrêts cardiaques « d’origine inconnue » lors d’une interpellation. Nous en recensons cinq en 2023 et huit en 2024. L’un d’eux concerne Tamer Miskir, un Palestinien de 47 ans, interpellé à Paris le 17 août 2023 après une rixe. Durant son transport vers le commissariat du 10e arrondissement, « l’individu se cogne la tête contre les parois du véhicule de police », écrit l’IGPN… Il décède après une semaine dans le coma d’un « traumatisme cranio-facial grave »Libération a révélé que l’interpellé, menotté, a été frappé au visage par un « gardien de la paix ». Celui-ci est mis en examen.

 SUR LE MÊME SUJETViolences policières en Europe : la France parmi les pays les plus mal classés avec l’Irlande

On meurt aussi dans les centres de rétention administrative, prison spéciale pour sans-papiers. Un Égyptien de 57 ans est ainsi retrouvé mort dans celui de Vincennes (Val-de-Marne) en mai 2023. Des témoignages recueillis par Politis évoquent des violences policières préalables au décès. La France est le pays d’Europe qui compte le plus de morts dans un local de police, un commissariat, une gendarmerie ou un CRA.

Devenez un pilier de notre communauté ! 🔥

Pour renforcer notre média et faire briller le journalisme engagé grâce à notre futur Portail des médias indépendants, nous avons besoin de 3000 soutiens durables d’ici le 29 juin.
C’est-à-dire 3000 personnes qui s’engagent dans la durée à nos côtés, par un don récurrent, mensuel ou annuel. Cet engagement régulier, même de quelques euros par mois, est un précieux gage de stabilité et une garantie de pouvoir faire grandir l’équipe et s’épanouir nos projets.
En remerciement, nous avons prévu deux contreparties exclusives !
👉 Un accès privé au Portail des médias indépendants un mois avant sa mise en ligne publique
👉 La possibilité de participer aux orientations de notre média via un grand sondage chaque trimestre
Alors, on peut compter sur vous ?

BOÎTE NOIRE

 Pour des raisons techniques, la visualisation de notre base de données n’a pu être mise à jour. Elle recouvre donc les années 1977-2022, sans 2023 et 2024. Si nous en avons les moyens, nous procèderons à une modernisation et actualisation de cette visualisation dans les mois qui viennent.
 Notre méthodologie est détaillée dans cet article.
 Vous pouvez également consulter le recensement réalisé par l’Anti-média, avec qui nous croisons des informations.

Auteurs / autrices

  • Ivan du RoyJournaliste, co-fondateur et co-rédacteur en chef de Basta!.

Que nous disent les données sur les missions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort ?

Grand format

Nos données racontent la diversité des situations auxquelles policiers et gendarmes sont confrontés au quotidien et exposent la manière dont ils y répondent. Dans plusieurs cas, une alternative au recours à la force aurait pu être mise en œuvre.

par  Ivan du RoyLudovic Simbille

26 juin 2025 à 10h52, modifié à 10h57 https://basta.media/Que-nous-disent-les-donnees-missions-forces-ordre-ayant-entraine-la-mort

Temps de lecture :6 min.

Lire plus tard

Deux policières sur un contrôle routier dans la Drôme. © Nicolas Guyonnet / Hans Lucas

Les interventions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort atteignent un niveau inédit depuis quatre ans. Nous comptabilisons une cinquantaine de décès liés à une interaction avec les forces de l’ordre en 2024 (52 décès) et en 2023 (50 décès), au même niveau que les années 2021 et 2022. C’est le double de la décennie précédente (2010-2019), lorsque nous comptabilisions un peu plus d’une vingtaine de décès, en moyenne.

Que nous disent ces données sur les missions des forces de l’ordre ? Sur les circonstances où celles-ci entraînent la mort d’une personne et sur la légitimité, ou pas, du recours à la force ou à l’ouverture du feu, quand c’est le cas ? Elles racontent la diversité des situations auxquelles policiers et gendarmes sont confrontés au quotidien et exposent la manière dont ils y répondent : du forcené qui se retranche à son domicile, de l’adolescent à scooter qui prend peur à la vue de la BAC, d’un individu en décompensation psychique qui agit de manière irrationnelle voire dangereuse, de la femme qui, menacée par son ex-conjoint, active son téléphone « grand danger », du petit braqueur qui tente de dévaliser une banque, du conflit de voisinage qui dégénère, du sans-papier placé en rétention dont on ignore les demandes de soins… Et bien d’autres cas encore.

Des forces de l’ordre de plus en plus confrontées à la détresse psychologique

On observe en 2024 une nette augmentation du nombre de suspects armés, soit d’armes à feu soit, le plus souvent, d’armes blanches. Cette augmentation n’est pas liée au contexte sécuritaire tel qu’il est médiatisé – criminalité liée aux narcotrafiquants ou menace terroriste principalement – mais à une autre forme de violences : la souffrance psychique et les situations de détresse – et de mise en danger – qui en découlent parfois.

 SUR LE MÊME SUJETTués par balle par les forces de l’ordre : 2024, une année record

Près d’une quinzaine de personnes ont ainsi été tuées ou sont décédées (un suicide en détention) en 2023 et 2024 alors qu’ils étaient visiblement en grande détresse psychique. Dans une dizaine d’autres affaires, les personnes tuées adoptaient un comportement irrationnel, sans autre motivation apparente qu’une forme de colère ou de rage, comme cet homme de 39 ans qui, en Seine-Maritime, s’en prend à des gendarmes et à leur véhicule avec une débroussailleuse.

Scénario classique de ce type d’interventions des forces de l’ordre : alertés par des voisins ou des proches inquiets, ou pour un tapage nocturne, des policiers ou gendarmes arrivent sur place, constatent qu’une personne est menaçante car exhibant un couteau, ou – c’est également arrivé – un sabre japonais, un vieux fusil Winchester, un produit inflammable… Puis ouvrent le feu et la tuent, en ayant quelquefois tenté préalablement de l’immobiliser, en vain, avec un taser ou un LBD.

Comment faire en sorte que, dans ces cas, les forces de l’ordre qui interviennent en premier recours soient formées à gérer ce type de situation sans immédiatement user de la force, ou soient en appui de personnels de santé qui, eux, seraient en mesure d’apaiser la personne en crise autrement que par des décharges de taser ou un tir ? Encore faut-il que la santé mentale ne soit pas l’un des grands sujets oubliés par les pouvoirs publics. Des études canadiennes démontrent le lien entre le désinvestissement dans les services de soins et la fréquence des interventions policières auprès de profils atteintes de troubles psychiatriques.

Maintien de l’ordre en mode colonial

Autre élément marquant de notre recensement 2024 : la répression en Nouvelle-Calédonie. Sept personnes ont été tuées par les forces de l’ordre, dont cinq par le GIGN, dans le cadre du mouvement de contestation de la réforme électorale. Ce sont principalement des militants indépendantistes kanaks, présentés comme appartenant à la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et suspectés d’avoir pris part à des affrontements. A ces sept morts, s’ajoutent deux personnes tuées par des agents hors service, lors d’une altercation entre indépendantistes et gendarmes mobiles, et entre policiers et manifestants sur un barrage routier.

Quel que soit leurs statut administratif, les « colonies » bénéficient toujours d’un traitement bien particulier en matière de répression débridée.

Des courses-poursuites risquées pour des délits mineurs

Les accidents routiers liés à un « refus d’obtempérer » après une course-poursuite sont en nette augmentation. On en dénombre 30 en 2023 et 2024. Ce type de drames risque de se multiplier avec la nouvelle circulaire voulue par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Ces courses-poursuites devront être systématiquement engagées, non plus en cas « de grande gravité » mais « par principe »… Pourtant, les délits commis relèvent le plus souvent d’infractions « classiques » au code de la route – véhicules en excès de vitesse ou motards sans casque – qui pourraient être sanctionnées différemment que par la mise en danger des poursuivis voire des poursuivants (relever la plaque d’identité, vidéosurveillance routière, etc).

Agir contre les violences conjugales

Trois hommes sont également décédés lors d’une intervention d’agents face à des violences conjugales, soit alertés par un proche pour faire cesser une violence en cours, soit pour répondre à l’activation d’un téléphone « grand danger ». L’un, muni d’une arme blanche, a été tué par balle, le deuxième est mort accidentellement en fuyant les agents, un troisième s’est suicidé après avoir été blessé par les policiers. Si ce type d’interventions est appelé à se multiplier, une réflexion serait probablement utile pour éviter que les femmes victimes de violence ne portent en plus le poids d’une éventuelle culpabilité suite au décès de leur conjoint violent.

 SUR LE MÊME SUJET« Refus d’obtempérer », « malaises » en détention… 52 décès liés à une intervention policière en 2024

La diversité de ces situations doit être prise en compte pour former les forces de l’ordre à y répondre en évitant quand c’est possible l’usage de la force. Les enseignements d’une issue mortelle à une intervention policière qui n’aurait pas dû l’être devraient être tirés.

Vérité et justice : c’est pour quand ?

Si l’IGPN (police nationale) et l’IGGN (gendarmerie) réalisent désormais leur propre recensement, qui vient confirmer le nôtre, le ministère de l’Intérieur a encore beaucoup de mal avec la transparence et les leçons à tirer de ces interventions. Pire, la propension à dissimuler la vérité quand le recours à la force est arbitraire et illégitime est toujours de mise.

C’est notamment le cas dans l’homicide de Nahel Merzouk à Nanterre, tué par un policier d’une balle tirée à bout portant il y a deux ans. Les circonstances de l’ouverture du feu, totalement disproportionnée, et les mensonges initiaux des policiers démentis par des vidéos, ont provoqué trois semaines d’émeutes dans toute la France. Ou pour Mohamed Bendriss, 27 ans, décédé le 2 juillet 2023 à Marseille, tué par des agents du Raid, dont la hiérarchie a dissimulé la responsabilité pendant plusieurs semaines.

Il y a encore bien trop d’affaires de ce type, où les circonstances d’un décès demeurent insupportablement obscures pour les familles. Dernier exemple en date, révélé par Mediapart : le parquet de Marseille vient de « perdre » les pièces à conviction placées sous scellés – dont la balle mortelle elle-même – recueillies après le décès de Souheil El Khalfaoui, 19 ans, tué lors d’un contrôle routier à Marseille en 2021. « C’est comme si les institutions voulaient effacer jusqu’à la trace de sa mort… Et ce n’est qu’un ultime affront à la vérité et à notre deuil », confie une proche du jeune homme.

Devenez un pilier de notre communauté ! 🔥

Pour renforcer notre média et faire briller le journalisme engagé grâce à notre futur Portail des médias indépendants, nous avons besoin de 3000 soutiens durables d’ici le 29 juin.
C’est-à-dire 3000 personnes qui s’engagent dans la durée à nos côtés, par un don récurrent, mensuel ou annuel. Cet engagement régulier, même de quelques euros par mois, est un précieux gage de stabilité et une garantie de pouvoir faire grandir l’équipe et s’épanouir nos projets.
En remerciement, nous avons prévu deux contreparties exclusives !
👉 Un accès privé au Portail des médias indépendants un mois avant sa mise en ligne publique
👉 La possibilité de participer aux orientations de notre média via un grand sondage chaque trimestre
Alors, on peut compter sur vous ?

Auteurs / autrices

  • Ivan du RoyJournaliste, co-fondateur et co-rédacteur en chef de Basta!.

Tués par balle par les forces de l’ordre : 2024, une année record

Grand format

Basta! actualise son recensement des missions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort. Focus ici sur les personnes qui étaient armées. Et qui, dans la plupart des cas, n’étaient pas liées au grand-banditisme ou au narcotrafic.

par  Ivan du RoyLudovic Simbille

26 juin 2025 à 09h30, modifié à 10h49 https://basta.media/tues-par-balle-par-les-forces-de-l-ordre-2024-une-annee-record

Temps de lecture :6 min.

Lire plus tard

Un groupe de gendarmes du GIGN, lourdement armés, à bord d'un 4X4
Des gendarmes du GIGN déployés sur un barrage en Nouvelle-Calédonie, en juillet 2024. Le GIGN a ouvert le feu contre au moins cinq militants indépendantistes kanak, dans le contexte du mouvement de contestation contre la réforme du corps électoral imposée par le gouvernement. © Theo Rouby / Hans Lucas

La dernière mise à jour de notre base de données sur les violences policières létales, publiée au lendemain de l’homicide de Nahel Merzouk, à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin 2023, couvrait une période s’étalant jusqu’à décembre 2022. Elle faisait alors état d’une hausse spectaculaire du nombre de décès liés à l’action de la police ou de la gendarmerie, avec plus d’une cinquantaine de morts chaque année depuis 2021. Soit le double de ce qui était observé pendant la décennie précédente, entre 2010 et 2019 (entre 10 et 29 décès selon les années, voir notre infographie).

 SUR LE MÊME SUJET« Refus d’obtempérer », « malaises » en détention… 52 décès liés à une intervention policière en 2024

Notre recensement indépendant atteint le même ordre de grandeur que le décompte réalisé par l’IGPN (police nationale) et l’IGGN (gendarmerie) depuis quelques années : au moins 50 personnes tuées en 2023 en lien avec une intervention des forces de l’ordre, et 52 en 2024. Ces décès recouvrent des situations très différentes qui ne préjugent en rien de la légitimité – ou non – du recours à la force. Dans l’article qui suit, nous traitons des personnes tuées par balle. Les autres affaires – décès suite à un « refus d’obtempérer », par l’utilisation d’armes dites « non létales » ou morts en détention – sont abordées dans cet autre article.

2024, année record pour les décès par balle

2024 marque ainsi un nouveau record : 27 personnes ont été tuées par l’ouverture du feu des forces de l’ordre, contre douze en 2023. Il faut remonter à 1988 pour comptabiliser 29 morts par balle, une année marquée – déjà – par l’aggravation du conflit entre indépendantistes kanaks et État français, avec l’assaut contre la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie.

Les interventions policières létales en 2023 et 2024La tendance à la forte hausse des interventions policières ayant entraîné la mort se confirme. Au moins 50 personnes ont été tuées en 2023 en lien avec une mission des forces de l’ordre et 52 en 2024. © Christophe Andrieu / Basta!

Les unités spécialisées dans la lutte contre le terrorisme ou le grand banditisme (GIGN, Raid…) sont impliquées dans une dizaine de décès. Mais leurs cibles ne sont pas celles auxquelles on pourrait initialement penser au vu des missions pour lesquelles ces policiers et gendarmes d’élite sont formés. Ils sont de plus en plus sollicités pour des missions de droit commun ou de maintien de l’ordre, qui ne sont pas liées à la lutte contre le terrorisme ou les narcotrafiquants. Le GIGN a ainsi ouvert le feu contre au moins cinq militants indépendantistes kanak en Nouvelle-Calédonie, dans le contexte du mouvement de contestation contre la réforme du corps électoral imposée par le gouvernement en 2024 – finalement mise en pause.

Les forces de l’ordre ont aussi fait face, en 2024, à davantage de personnes armées, majoritairement munies d’armes blanches. Mais ces personnes sont bien éloignées, en général, de la grande criminalité.

Chez les indés

La revue de presse du journalisme engagé : une sélection d’enquêtes, de récits, et d’alternatives parues dans la presse indépendante, directement dans votre boîte mail.Mon adresse email :

En m’inscrivant j’accepte la politique de confidentialité et les conditions générales d’utilisationde Basta!

« La France des retranchés »

Parmi les personnes tuées par balle ces deux dernières années, une minorité (huit en 2023, 23 en 2024) étaient armées. Parmi elles, une dizaine possédaient une arme à feu et en ont fait usage contre les forces de l’ordre, qui ont riposté. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas d’individus liés au grand banditisme ou de narcotrafiquants, mais de personnes « en crise » qui dérapent ou adoptent un comportement menaçant et irrationnel. Le 18 octobre 2024, Bernard Tranchant, 72 ans, tire en l’air avec son fusil dans les rues de Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Il ouvre ensuite le feu sur une équipe de la BAC qui tente de l’interpeller puis se retranche dans sa caravane, où une unité du Raid arrivée en renfort le découvre mortellement blessé. Le 14 mai 2023, c’est Alfred Étienne, un ancien chauffeur routier de 82 ans, qui fait feu avec son vieux fusil à la vue des gendarmes prévenus par des voisins, à Fontoy (Moselle). Plusieurs autres affaires sont similaires.

Ces hommes, souvent présentés comme « suicidaires », agiraient dans un dernier « acte de désespoir » –  « La France des retranchés » comme l’appelle le quotidien Le Parisien. D’autres évoquent des « suicides par la police ».

De plus en plus de personnes en souffrance psychique

La majorité des personnes armées l’étaient d’une arme blanche (au nombre de dix-sept sur 31). Ces situations reflètent la confrontation de plus en plus fréquente entre personnes en souffrance psychique et forces de l’ordre, appelées parce que la personne décompense et qu’elle constitue une menace pour autrui ou pour elle-même. À Bordeaux, le 9 août 2024, Mathieu s’enfuit de l’hôpital psychiatrique où il est suivi, vole un couteau dans une boutique, avant de croiser la route d’une équipe de la BAC qui, face à la menace, tire à trois reprises.

 SUR LE MÊME SUJETPourquoi une base de données sur les violences policières létales : notre méthodologie

En Polynésie française, Heiarii Pito avait interrompu son traitement lié à sa schizophrénie quand, suspecté de vol, il est poursuivi par des gendarmes qu’il menace avec un couteau, provoquant leur riposte, le 4 janvier 2023. « S’ils avaient appelé la maman, il se serait calmé »déplorent les proches du défunt qui ont déposé plainte et contestent la version officielle.

« Lorsque vous êtes face à une personne agitée, atteinte de troubles mentaux, vous en référez avant l’interpellation, au centre 15, au centre 18, aux médecins »plaide auprès de France Info l’avocate de la famillede Rony Cély, habitant de Goyave en Guadeloupe. Ce jardinier de 39 ans, souffrant de troubles schizophréniques, était muni d’un coutelas lors de l’arrivée des gendarmes le 9 janvier 2024, qui ouvrent le feu.

Le désinvestissement dont fait l’objet la prise en charge de la santé mentale et l’hôpital psychiatrique a des effets bien concrets, et parfois irrémédiables pour des patients devenus menaçant pour autrui ou pour eux-mêmes ; et pour les forces de l’ordre absolument pas formées à gérer ce type de situation.

Contrairement à la décennie précédente, les interventions létales liées à une menace terroriste réelle ou potentielle ont fortement chuté. Le motif terroriste a été initialement évoqué dans quelques rares affaires avant d’être écarté. C’est le cas de celle concernant Youcef C., de nationalité algérienne, qui tente d’incendier une synagogue à Rouen le 17 mai 2024 avant d’être intercepté et tué par des policiers. Ou d’Ahmad Saboor Hamraz, de nationalité afghane, qui poignarde deux personnes de nationalité algérienne parce qu’elles boivent de l’alcool avant d’être tué par la police, le 10 avril à Bordeaux.

Un décès est lié à la lutte contre le trafic de drogue… à la suite d’une erreur dans l’adresse à perquisitionner. Lors d’une opération « Place nette » à Toulon, le 19 mars 2024, Kaddour Boutrik, un ancien combattant d’Indochine de 91 ans, est mortellement blessé au visage quand des policiers enfoncent sa porte blindée à coup de bélier. La fille du défunt a porté plainte pour « homicide involontaire ».

Les autres affaires – personnes tuées lors d’un « refus d’obtempérer » ou suite à un « malaise » en garde à vue sont traitées dans cet article. En 2025, au 25 juin, nous recensons pour le moment 17 décès.

Devenez un pilier de notre communauté ! 🔥

Pour renforcer notre média et faire briller le journalisme engagé grâce à notre futur Portail des médias indépendants, nous avons besoin de 3000 soutiens durables d’ici le 29 juin.
C’est-à-dire 3000 personnes qui s’engagent dans la durée à nos côtés, par un don récurrent, mensuel ou annuel. Cet engagement régulier, même de quelques euros par mois, est un précieux gage de stabilité et une garantie de pouvoir faire grandir l’équipe et s’épanouir nos projets.
En remerciement, nous avons prévu deux contreparties exclusives !
👉 Un accès privé au Portail des médias indépendants un mois avant sa mise en ligne publique
👉 La possibilité de participer aux orientations de notre média via un grand sondage chaque trimestre
Alors, on peut compter sur vous ?

BOÎTE NOIRE

 Pour des raisons techniques, la visualisation de notre base de données n’a pu être mise à jour. Elle recouvre donc les années 1977-2022, sans 2023 et 2024. Si nous en avons les moyens, nous procèderons à une modernisation et actualisation de cette visualisation dans les mois qui viennent.
 Notre méthodologie est détaillée dans cet article.
 Vous pouvez également consulter le recensement réalisé par l’Anti-média, avec qui nous croisons des informations.

Auteurs / autrices

  • Ivan du RoyJournaliste, co-fondateur et co-rédacteur en chef de Basta!.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire