Les autorités souhaitent que l’école repère mieux les élèves en souffrance psychologique, mais les syndicats demandent des moyens supplémentaires pour remplir cette mission.

Amélioration de la santé mentale à l’école : plus facile à dire qu’à faire

Quentin Haroche | 13 Juin 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/amélioration-santé-mentale-à-lécole-plus-2025a1000fx9?ecd=wnl_all_250613_jim_daily-doctor_etid7494765&uac=368069PV&impID=7494765&sso=true

Les autorités souhaitent que l’école repère mieux les élèves en souffrance psychologique, mais les syndicats demandent des moyens supplémentaires pour remplir cette mission.

En un peu moins de deux mois, deux drames ont endeuillé l’Education nationale : le 24 avril à Nantes, un adolescent de 16 ans a tué une de ses camarades à coups de couteau et ce mardi à Nogent en Haute-Marne, un enfant de 14 ans a tué une surveillante, lui aussi en utilisant un couteau. 

Même si les circonstances de ces drames sont encore floues (surtout pour celui de Nogent), l’ensemble de la classe politique, de l’écologiste Marine Tondelier au frontiste Jean-Philippe Tanguy en passant par le Président de la République Emmanuel Macron, y a vu un lien avec la crise de la santé mentale que traversent les adolescents et jeunes adultes français (et plus globalement l’ensemble de la jeunesse occidentale). Les études illustrant cette crise se multiplient en effet, la dernière en date ayant été publiée le 4 juin dernier par la Drees. *, le service des statistiques du ministère de la Santé. Elle signalait que la prévalence des troubles dépressifs et des idées suicidaires avait fortement augmenté chez les moins de 25 ans (notamment chez les femmes) entre 2020 et 2022. 

Le gouvernement demande à la santé scolaire de mieux repérer les troubles psychiques…

Le gouvernement souhaite donc que l’école et le personnel enseignant soient mieux à même de repérer les enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques et de les aider avant qu’ils ne deviennent dangereux pour eux ou pour les autres. Les parents et éducateurs doivent être capables de « détecter les signes qu’un adolescent ne va pas bien » pour qu’ « à la première alerteil puisse y avoir un examen, un diagnostic ou une proposition de traitement » a ainsi commenté le Premier Ministre François Bayrou en réaction au drame de Nogent.

Alors que la santé mentale a été érigée au rang de « grande cause nationale » en 2025, les autorités ont déjà avancé plusieurs propositions dans ce sens. Le plan gouvernemental en faveur de la santé mentale, présenté par le ministre de la Santé Yannick Neuder ce mercredi**, contient ainsi plusieurs mesures en faveur d’un meilleur repérage des troubles mentaux à l’école : mise en place de deux personnels référents santé mentale dans chaque collège et lycée, formation pour l’ensemble du personnel éducatif, diffusion d’un « kit de repérage » … Des préconisations qui s’ajoutent à celles détaillées le mois dernier par la ministre de l’Education nationale Elisabeth Borne dans son plan en faveur de la santé scolaireet qui prévoit notamment l’élaboration d’une feuille de route en santé mentale par les psychologues scolaires ou encore le renforcement des compétences psychosociales des élèves.

…malgré le manque de moyens

Problème : il semble difficile d’envisager que la médecine scolaire puisse remplir ces nouvelles missions, alors qu’elle n’est pour le moment pas même en état de remplir ses objectifs « institutionnels ». Comme l’a démontré un rapport parlementaire de 2023, la médecine scolaire est actuellement l’autre parent pauvre du système de santé français (avec justement la psychiatrie !). On ne compte ainsi que 900 médecins scolaires (soit une baisse de 20 % des effectifs en dix ans et 40 % de postes vacants), 7 800 infirmières scolaires (avec chaque année 15 % des postes non-pourvus) et 7 000 psychologues scolaires, le tout pour prendre en charge 12 millions d’élèves dans 60 000 établissements scolaires. Résultat, seulement 20 % des élèves de primaire bénéficient d’une visite médicale, alors qu’elle est en principe obligatoire pour tous (et qu’elle peut être un moment de détection de certaines fragilités).

Les annonces et exigences du gouvernement sur le repérage des troubles psychiatriques à l’école laissent donc les syndicats d’enseignants et de professionnels de santé scolaire pour le moins dubitatifs. « Sans moyens financiers, on ne voit pas bien comment ça peut fonctionner » commente Catherine Nave-Bekhti, secrétaire général de la CFDT Education. Pour Saphia Guereschi, secrétaire général du Snics-FSU, les suggestions de François Bayrou sont ainsi totalement déconnectées de la réalité. « Ce sont les déclarations de quelqu’un qui n’y comprend rien, notre travail est celui du temps long, il n’existe pas de test biométrique pour la santé mentale des jeunes et il n’y en aura jamais » explique-t-elle a propos du repérage des troubles psychiatriques.

Les syndicats exigent donc avant tout des hausses d’effectifs significatives dans le secteur de la santé scolaire, réclamant le triplement du nombre d’infirmières scolaires et le doublement de celui des psychologues. Les obstacles sont cependant toujours les mêmes (et sont liés l’un à l’autre) : ceux du financement et de l’attractivité. Dans un contexte budgétaire morose, le plan pour la santé mentale de Yannick Neuder ne contient d’ailleurs aucune annonce financière. Une position assumée par le ministre : « on peut avoir toujours plus, mais on peut aussi mieux s’organiser avec ce qu’on a aujourd’hui » explique-t-il. Les professionnels de santé scolaire vont donc devoir faire mieux avec les moyens du bord.

*Santé mentale : les jeunes paient-ils pour la protection des anciens durant la crise sanitaire ?

Quentin Haroche | 05 Juin 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/santé-mentale-jeunes-paient-ils-protection-des-anciens-2025a1000f8k

Selon une étude de la Drees, près de 9 % des jeunes femmes ont des pensées suicidaires.

Semaine après semaine, les travaux se multiplient pour étayer l’existence d’une crise de la santé mentale dans la population, notamment chez les plus jeunes. Beaucoup de psychiatres, pédopsychiatres et psychologues estiment ainsi qu’il y a eu un avant-après confinement et que la crise sanitaire de 2020-2022 a fortement dégradé, sur le long terme la santé mentale d’une partie de la population. Les chiffres publiés par la Drees, le service des statistiques du ministère de la santé, ce mercredi, confirment cette impression. 

Cette étude sur l’évolution de la santé mentale de la population fait partie intégrante de l’enquête EpiCov, menée entre 2020 et 2022 pour mesurer l’évolution de différents indicateurs de santé publique au cours de la crise sanitaire. Ce sont au total environ 64 000 personnes de 15 ans et plus qui ont été interrogées sur leur état de santé mentale à quatre reprises entre mai 2020 et décembre 2022.

La plupart des données issues de l’étude font ainsi état d’une forte dégradation de la santé mentale des Français durant cette période si particulière. Ainsi 3,4 % des Français déclaraient avoir des pensées suicidaires en 2022 contre 2,8 % en 2020. La tendance est particulièrement inquiétante chez les moins de 25 ans : dans cette classe d’âge, 8,7 % des femmes (6,3 % en 2020) et 5,4 % des hommes (4,1 % en 2020) déclaraient en 2022 avoir pensé à se suicider au cours des douze derniers mois. Fort heureusement, les passages à l’acte sont plus rares : seulement 0,3 % de la population déclaraient avoir tenté de se suicider au cours de l’année écoulée en 2022, mais la proportion monte à 1,3 % chez les femmes de moins de 25 ans.

Le recours aux psychiatres et aux psychologues en hausse

Si la part de la population atteinte de syndromes dépressifs a globalement diminué entre 2021 (10,6 %) et 2022 (9,6 %), tel n’est pas le cas, encore une fois chez les jeunes, où ce taux reste stable. On observe là encore un état de santé mentale bien plus dégradé chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes : 17 % des femmes de moins de 25 ans présentent des symptômes de dépression, contre 11 % des hommes du même âge. 

Logiquement, cette dégradation de la santé mentale conduit à une hausse du recours aux soins dans ce domaine. Ce sont 11,4 % des adultes qui déclarent avoir eu recours à un professionnel de santé pour des problèmes d’ordres psychiatriques ou psychologiques en 2022, une proportion en hausse chez les moins de 45 ans. Si les Français se tournent de moins en moins vers leur médecin généraliste pour ce type de problèmes, le recours aux psychiatres et surtout aux psychologues est en augmentation : 6 % des Français ont consulté un psychologue entre 2021 et 2022, contre 4 % entre 2020 et 2021.

Les chercheurs de la Drees se sont penchés sur les différents facteurs augmentant le risque de présenter des troubles psychologiques ou psychiatriques. A rebours de l’idée selon laquelle l’argent ne fait pas le bonheur, le fait de présenter des difficultés d’ordre financier est fortement corrélé à la présence d’un syndrome dépressif : 21 % de ceux qui disent être en difficulté financière sont potentiellement dépressifs, contre 6 % des répondants sans difficulté de ce type. Sans grande surprise, le fait d’être peu entouré ou soutenu par ses proches est également nuisible à la santé mentale.

La faute aux écrans et aux réseaux sociaux ? 

Enfin, appartenir à une minorité sexuelle est également corrélée à une plus forte incidence des troubles dépressifs (16 % des personnes LGBT sont touchés contre 9 % des hétérosexuels), tout comme le fait de passer plus de six heures par jour sur un écran hors contexte professionnel. La Drees note d’ailleurs que c’est l’exposition plus grande à ces facteurs de risque qui pourraient expliquer que les jeunes femmes soient plus durement touchées par cette crise de la santé mentale : 49 % des femmes de 17-29 ans passent plus de quatre heures par jour sur des écrans (contre 32 % de la population) et 8,5 % se disent homosexuelles ou bisexuelles (3,5 % de la population). 

« En prenant garde de ne pas confondre corrélation et causalité, force est de constater que le phénomène international d’augmentation des prévalences de conduites suicidaires et de dépressions chez les adolescentes et les jeunes femmes est concomitant du déploiement des smartphones et de la généralisation de l’usage des réseaux sociaux » commente la Drees, alimentant ainsi le débat sur la dangerosité supposée des écrans.

On se souvient qu’en 2020, au milieu de la quasi-unanimité du monde médical en faveur des mesures de confinement visant à freiner l’épidémie de Covid-19, certains psychiatres avaient mis en garde contre les possibles conséquences psychologiques de ces mesures exceptionnelles. Ils évoquaient alors la crainte que les jeunes générations soient en quelque sorte sacrifiées pour sauver les plus anciennes. Cinq ans plus tard, leur prédiction semble malheureusement se réaliser.

**Santé mentale : le gouvernement dévoile (enfin) son plan…et déçoit tout le monde

Quentin Haroche | 12 Juin 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/santé-mentale-gouvernement-dévoile-enfin-son-plan-2025a1000ftc

Mieux vaut tard que jamais. L’année 2025, pour laquelle la santé mentale a été érigée au rang de « grande cause nationale », a débuté depuis six mois maintenant et le gouvernement n’avait pour le moment annoncé aucune mesure concrète dans ce domaine. Tout au plus s’était-il contenté d’annonces vagues et de décisions symboliques, comme la désignation du judoka Teddy Riner comme parrain de la santé mentale.

Face aux critiques récurrentes de l’opposition sur cet immobilisme, le gouvernement a enfin réagi. Ce mercredi, le ministre de la Santé Yannick Neuder a dévoilé le plan du gouvernement pour aider un secteur de la santé mentale en crise profonde depuis plusieurs années, pris en étau entre d’une part la hausse des besoins en soins psychiatriques (notamment pour les jeunes, chez qui les troubles mentaux sont en augmentation) et de l’autre le manque de moyens et d’effectifs de la psychiatrie française. 

L’exécutif ne nie d’ailleurs pas avoir trop tardé à réagir à cette crise : « depuis trop longtemps, la santé mentale a été reléguée au second plan de nos politiques de santé et ce déni collectif, nous le payons cher : dans la détresse des jeunes, dans l’isolement des personnes fragiles, dans l’épuisement des soignants » écrit le ministre de la Santé dans la présentation de son plan.

Mais il affiche l’ambition, peut-être un peu excessive, de résoudre cette crise. « Ce plan psychiatrie est un plan de sursaut et de refondation. Il n’ajoute pas quelques mesures à une liste déjà longue. Il change de logique » écrit le ministre sur un ton emphatique.

Priorité affichée à la santé scolaire 

Les 26 mesures que contiennent ce plan obéissent à une logique triple : mieux repérer, mieux soigner et « reconstruire » la psychiatrie. S’agissant du repérage, l’accent est mis sur la santé scolaire. Le gouvernement souhaite que, dans chaque collège et lycée, deux personnels soient formés au repérage des troubles psychiatriques.

L’exécutif veut également que l’ensemble du personnel médical des établissements scolaires soient formés à ce repérage et qu’un « kit de repérage » soit distribué dans les écoles. Les étudiants en médecine seront mobilisés dans cette mission de repérage en milieu scolaire et la formation au « secourisme de santé mentale » sera promue.

S’agissant du soin, l’ambition du ministère de la Santé est d’améliorer l’accès aux soins psychiatriques, notamment en urgence…tout en évitant justement de saturer des services d’urgences déjà en difficulté.

Ici, les mesures structurelles sont nombreuses : ouverture de consultations sans rendez-vous dans les centres médico-psychologique (CMP), déploiement des services d’accès aux soins (SAS) psychiatriques dans au moins 30 territoires, désignation d’un infirmier référent en santé mentale dans chaque maison de santé et service d’urgence général etc.

L’exécutif continue également de compter sur le dispositif « Mon soutien psy » (pourtant très décrié) et souhaite passer de 6 000 psychologues concernés à 12 000 d’ici 2027. Le ministère de la Santé en profite pour inciter les soignants à avoir recours le moins possible à l’isolement et à la contention… mais sans interdire ces pratiques.

Enfin, le gouvernement ambitionne de « reconstruire » la psychiatrie française, souvent qualifiée de parent pauvre de notre système de santé. L’exécutif propose ainsi de renforcer la formation initiale des étudiants en médecine en psychiatrie et d’atteindre les 600 internes en psychiatrie (contre environ 500 actuellement) d’ici 2027. Le gouvernement entend également mieux lutter contre les pénuries de psychotropes, qui touchent notre pays depuis le début de l’année, mais sans solution précise pour résoudre ce problème.

A la lecture de ces mesures, on ne peut être qu’étonné par l’absence totale de précisions financières. Une absence remarquée par les syndicats de psychiatres, de professionnels de santé scolaire et des associations de patients qui sont presque unanimes dans leur critique d’un plan qu’ils ne jugent pas à la hauteur de la crise. 

« On est encore sur des mesurettes, on dit priorité à la santé mentale, mais je constate que l’on renonce à mettre dans les écoles des nouveaux professionnels spécifiquement dédiés aux troubles psy » tacle auprès du Parisien le syndicat des infirmières scolaires (SNICS-FSU).

« Il y a des grandes lignes, mais il manque des éléments financiers majeurs, un échéancier et quantité de mesures : il n’y a rien sur la prévention, le repérage précoce, la recherche et la question des jeunes» abonde dans le même sens pour le Nouvel Obs l’Inter syndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). 

Créateur avec sa fille d’une application d’aide aux jeunes touchés par la dépression et l’anxiété, Guirchaume Abitbol regrette au micro de France info« l’absence totale de la prévention » dans ce plan. Le Pr Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri Mondor de Créteil, se montre à peine plus positif. « Tout est bon à prendre, et ce ne sont que des choses positives sur le principe, mais cela reste du saupoudrage » commente-t-il. 

Mais Yannick Neuder assume l’absence de mesures financières dans son plan. « La psychiatrie dispose d’un budget de plus de 430 millions en 2025, on peut avoir toujours plus, mais on peut aussi mieux s’organiser avec ce qu’on a aujourd’hui » explique-t-il dans une interview au Parisien, tout en indiquant qu’il tentera (mais cela risque d’être difficile au vu du contexte budgétaire) d’obtenir des financements supplémentaires pour la psychiatrie dans le prochain budget. Il appelle en tous les cas les psychiatres à se montrer patients.

« C’est le début d’un vaste chantier, tout ne sera pas en place au 1er septembre et il va falloir plusieurs années » explique-t-il. « Je ne vends pas de solution miracle, mais il faut commencer à agir dès maintenant ».

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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