Stop aux sirènes de l’extrême droite
Par Lucie Delaporte et Amélie Poinssot
De la Macronie au RN, une alliance délétère s’est formée sur tous les textes de loi environnementaux du moment. Dans la perspective des élections à venir, l’objectif est de s’afficher comme le moins-disant écologique, quitte, pour le gouvernement, à renoncer aux timides avancées qu’il a portées sur le sujet.
Une à une, les mailles du tricot se défont. Depuis le début de l’année, il ne se passe pas une semaine sans un vote ou une déclaration, chez nos élu·es comme au plus haut sommet de l’État, qui n’entaille le droit de l’environnement.
Que ce soit la loi « climat et résilience » – pourtant votée sous le premier quinquennat Macron, en 2021 – ou les modestes avancées des précédentes législatures : l’heure est au backlash(ou retour de bâton) écologique, et à l’alignement sur les pires positions de l’extrême droite. De la Macronie au Rassemblement national (RN), une alliance dangereuse s’est formée sur tous les textes de loi en cours d’examen. Objectif ? Le moins-disant environnemental, dans une course à l’échalote en vue des élections à venir : municipales l’an prochain, présidentielle en 2027.
Il faut dire que l’année avait bien mal démarré. Dès janvier, François Bayrou, fraîchement nommé à Matignon, tapait fort et dénigrait, devant l’ensemble de la représentation nationale, la police environnementale en reprenant les éléments de langage des syndicats FNSEA et Coordination rurale.
Ont suivi une loi d’orientation agricole droitisée par le Sénat, des propositions de loi aussi venues de la chambre haute pour réintroduire des insecticides dévastateurs et enterrer les objectifs du « zéro artificialisation nette » (ZAN), un texte pour ré-autoriser l’épandage par drone de pesticides dans les bananeraies des Antilles et les vignes de l’Hexagone, une loi de simplification économique pour supprimer toute une série de garde-fous environnementaux.
Et le dernier épisode en date montre que ce pouvoir veut aller vite. Lundi soir, il n’était même plus question de suivre la procédure parlementaire et de donner la parole à l’opposition concernant la proposition de loi Duplomb. Dans une manœuvre concertée entre Les Républicains (LR), le centre et la Macronie, une disposition inédite a été actionnée afin de contourner l’Assemblée nationale, avec le soutien unanime du RN.

Rassemblement contre la loi « Duplomb » près de l’Assemblée nationale, le 27 mai 2025. © Photo Gauthier Bedrignans / Hans Lucas via AFP
C’est bien ce dernier qui tire son épingle du jeu. L’acétamipride, cet insecticide tueur d’abeilles qui revient avec la proposition de loi « Duplomb » ? Une proposition de loi du RN demandait déjà son retour dans les champs il y a deux ans. Le zéro artificialisation nette ? Le RN réclame depuis quatre ans sa suppression.
Rassemblement contre la loi « Duplomb » près de l’Assemblée nationale, le 27 mai 2025. © Photo Gauthier Bedrignans / Hans Lucas via AFP
À force d’exemptions et de dérogations, voulues par l’exécutif lui-même, il ne restera bientôt plus rien de cet objectif pourtant vital pour tenter d’enrayer l’effondrement de la biodiversité et pour préserver la souveraineté alimentaire du pays.
Mercredi 28 mai à l’Assemblée, l’examen en cours de la « loi de simplification économique » donnait à voir un travail de sape de ce ZAN, sous les applaudissements de la droite et de l’extrême droite. Datacenters, projets autoroutiers et autres « infrastructures » ne seront plus comptabilisés comme artificialisant les terres, au nom de la nécessaire « réindustrialisation ». La consultation des citoyen·nes, aujourd’hui obligatoire pour tous ces grands projets à travers la Commission nationale du débat public (CNDP), pourrait en outre être totalement supprimée.
En séance, le RN s’est agacé des centaines d’amendements déposés par la gauche et aurait voulu couper court aux débats, comme cela a été fait sur la proposition de loi « Duplomb ». Tellement has been la démocratie, finalement.
Quant aux zones à faibles émissions (ZFE), censées lutter contre la pollution de l’air, qui fait plus de 40 000 victimes par an, en restreignant l’accès des véhicules les plus polluants aux grandes villes, elles ont été purement et simplement supprimées par les député·es le 28 mai, par une alliance opportuniste de voix du RN, de l’Union des droites pour la République (UDR), de la droite, de La France insoumise (LFI) et de quelques député·es macronistes. La démagogie du parti de Jordan Bardella, qui expliquait depuis des mois que « 10 millions de Français » ne pourraient bientôt plus rentrer avec leur véhicule dans une trentaine de grandes villes – assertion totalement fausse – a triomphé.
Ambiance trumpiste
Dans cette grande dégringolade qui veut renvoyer aux oubliettes de l’histoire les quelques avancées environnementales des dernières années, la science est balayée. Ou convoquée pour lui faire dire ce qu’elle n’a jamais dit, comme sur les pesticides, où l’on tente faire passer une étude fournie par un producteur d’engrais chimiques pour une donnée objective.
Dans l’ambiance trumpiste du moment, l’heure n’est pas à la prudence mais à la surenchère. La plupart des néonicotinoïdes sont interdits par l’Union européenne ? Réclamons l’une des trois dernières molécules qui ont eu droit à un sursis jusqu’en 2033 ! L’urbanisation galopante, autre cause majeure de l’effondrement de la biodiversité, avale les habitats naturels les uns après les autres ? Retardons l’objectif du « zéro artificialisation » supplémentaire ! Des espaces protégés par le statut de « zones humides » ont été asséchés par la main humaine ? Retirons-leur cette classification plutôt que de les restaurer ! Les avis scientifiques sont critiques de certaines pratiques ? Limitons le pouvoir des agences et instituts qui les ont publiés !
Ce ne sont là que quelques exemples introduits dans les derniers textes législatifs en cours d’examen. Des exemples désolants sur la façon dont raisonne aujourd’hui une part grandissante de notre classe politique.
La variété de la flore, des espèces animales et des milieux naturels est nécessaire à notre survie. Et que dire de la beauté du monde ?
Avant qu’il ne soit trop tard, l’exécutif pourrait tenter, au minimum, de se distinguer de l’extrême droite sur ces sujets plutôt que d’agir comme son tremplin pour 2027. De construire un autre récit sur les urgences écologiques plutôt que d’abonder dans le sens de l’écolo-bashing caricatural du moment. D’orienter différemment les aides publiques qui sont encore loin de financer la transition écologique.
« Contraintes », « normes », « entraves », « frein à l’activité économique »… : voilà le vocabulaire dans lequel nous baignons aujourd’hui, alors que la préservation du vivant est au contraire source de grandes richesses.
Qu’on en juge par les estimations des économistes : les activités gratuites de la nature assurent l’équivalent de la moitié du PIB mondial. La variété de la flore, des espèces animales et des milieux naturels est nécessaire à notre survie. Et que dire de la beauté du monde ?
En 1962, la biologiste états-unienne Rachel Carson écrivait, dans un livre qui allait faire date sur le sujet de l’effondrement du vivant sous l’effet des pesticides, Printemps silencieux : « Les futurs historiens seront peut-être confondus par notre folie ; comment, diront-ils, des gens intelligents ont-ils osé employer, pour détruire une poignée d’espèces indésirables, une méthode qui contaminait leur monde, et mettait leur existence même en danger ? »
Les voix extrémistes d’aujourd’hui ne nous promettent pas autre chose que ce que décrivait Rachel Carson il y a plus de soixante ans. Une nature silencieuse, où des populations entières d’oiseaux disparaissent. Tandis que les voix réactionnaires, elles, sont assourdissantes, et omniprésentes sur certains médias et réseaux sociaux.
Mais elles ne sont pas majoritaires. Notre avenir mérite mieux que d’y céder.
L’écologie, ça commence à mal faire !
BILLET DE BLOG 29 MAI 2025
Poète et ci-devant journaliste – Un regard décalé sur la France, la Suisse et toutes ces sortes de choses.
Vous avez aimé l’exclamation de Sarkozy, alors président, « l’écologie, ça commence à bien faire »? Vous allez adorer la Loi Duplomb. Du plomb ? Pas dans les cervelles des parlementaires en tout cas. Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, la Cour d’appel administrative vient d’autoriser le chantier de l’autoroute A69. Et puis voilà, j’apprends l’écrasement d’un village qui m’est cher,

L’effondrement du glacier sur le village de Blatten © Etat du Valais
La Loi Duplomb constitue un spectaculaire retour en arrière sur les quelques réformes prises en faveur de l’environnement. Le site Reporterre dresse la liste des méfaits introduits par ce texte inspiré directement par le syndicat FNSEA qui représente les intérêts de l’agro-industrie:
La loi Duplomb prévoit de réintroduire des pesticides dangereux, d’encourager l’épandage par drones, de favoriser la construction de mégabassines et de fermes-usines, de détruire les zones humides et d’affaiblir l’indépendance de l’Anses, l’agence nationale chargée d’évaluer et d’autoriser la mise sur le marché des pesticides.
Camps de concentration pour gallinacés
N’oublions pas la mal-bouffe, ce serait dommage. La loi Duplomb prévoit en effet de faciliter l’installation des mégapoulaillers – ces camps de concentration pour gallinacés – « en élevant les seuils de ces élevages soumis à autorisation, en passant par exemple d’un élevage de 40 000 volailles à 85 000 volailles », selon Reporterre.
Autre effet négatif, selon Thomas Guibert, syndicaliste à la Confédération Paysanne cité par ce même site:
La réintroduction de certains pesticides va nuire aux abeilles et donc nuire aux apiculteurs… qui doivent déjà faire face à des importations cassant les prix ». Sans parler des baisses de rendement dues à une pollinisation en baisse des fruits et légumes.
La FNSEA à la manœuvre
Qui est Laurent Duplomb, l’auteur de la loi? Un sénateur LR, qui a exercé la présidence de la Chambre d’agriculture de la Haute-Loire pour le compte de la FNSEA. Cela explique pourquoi figurent dans sa loi, les principaux desiderata du syndicat de l’agro-business.
Lundi, à l’Assemblée nationale qui devait examiner la loi Duplomb, un bloc naturophobe s’est constitué allant du centre jusqu’à l’extrême-droite en passant par les LR et les macroniens de diverses coteries. Cette coalition a légalement magouillé de façon à éviter un débat (Le Mondeexplique la manœuvre) et à faire adopter le texte via la Commission mixte paritaire composée de sept sénateurs et du même nombre de députés.
Les rouges, roses et verts n’y ont vu que du bleu!
Il faut dire que la gauche, opposée à la loi Duplomb, s’est coincée elle-même dans la nasse en multipliant les amendements plus ou moins bidons. Le bloc naturophobe en a profité pour exercer leur tactique d’évitement. Bref, les rouges, les roses et les verts, n’y ont vu que du bleu.
Brillante, la représentation nationale! En tout cas, il ne faut pas compter sur elle pour défendre la nature – il parait que les humains en font partie, si, si! – victime des multiples assauts que les forces du technocapitalisme lui réservent.
A69: coup de poignard en appel
Autre coup de poignard: la Cour d’appel administrative de Toulouse a autorisé la reprise du chantier de l’autoroute A69 – 53 kilomètres entre Toulouse et Castres – qui avait été suspendu en première instance. La décision des juges administratifs d’appel est une mesure provisoire d’urgence; ils doivent encore se prononcer sur le fond du recours déposé contre la construction de l’A69. Cela dit, les pelleteuses et les bulldozers vont d’ores et déjà entrer en scène.
Voici les trois principaux dégâts induits par cette autoroute selon le site Novethic:
– dégradation des nappes phréatiques suite à l’extraction des matériaux nécessaires à la construction;
– augmentation des émissions de CO2 du fait de la circulation des 8 000 véhicules légers attendus quotidiennement sur le nouveau tronçon;
– artificialisation de centaines d’hectares de terrains.
Offensive tous azimuts contre l’écologie
Ces deux mauvaises nouvelles ne sont nullement des coups de tonnerre dans un ciel serein. Elles s’inscrivent dans l’actuelle offensive contre les trop rares mesures protégeant la nature. Offensive que l’on constate un peu partout dans le monde, comme si le retour de Trump à la Maison-Blanche avait libéré le flux de la haine contre l’écologie.
Tout est bon pour l’attiser, cette haine. Notamment l’exploitation de mauvaise foi des erreurs commises par les élus écolos – en oubliant que les élus des autres partis en font au moins autant.
Pourquoi cette haine du vert?
Mais il y a quelque chose de plus profond dans cette sinistre mentalité en ce qu’elle est aussi une haine de soi. Elle grandit au fur et à mesure que les constats scientifiques démontrent – de façon de plus en plus évidente – qu’en continuant le délire collectif du « toujours plus », nous courons à la catastrophe climatique.
Celle-ci ne frappera pas la nature – elle s’en sortira toujours – mais l’humanité. La nature trouvera bien les moyens pour se débarrasser de ce mégaparasite qui l’empêche de persévérer dans son être.
Nous le savons. Nous ne faisons rien. Nous en sommes angoissés. D’où notre colère. Et toute colère doit trouver son exutoire. Guidons-la contre les écolos, ça ne mange pas de pain! D’autant plus qu’avec les sécheresses et les inondations qui s’annoncent, nous risquons fort d’en manquer, du pain…
Et Blatten est écrasé par son glacier…
J’en étais là de mon scribouillage, avec cette chute qui ne mange pas de pain, mercredi soir. Lorsqu’une chute d’une tout autre nature et d’une ampleur gigantesque m’oblige à reprendre le clavier.
Le glacier du Birch s’est écrasé mercredi sur Blatten, village cher à mon cœur et à celui de ma femme. Ecrasé, détruit à nonante pour cent par des millions de mètres cube de glace, de roche, de débris divers.
Les parois rocheuses qui surplombent Blatten menaçaient de tomber depuis une dizaine de jours. Or, c’est le glacier lui-même qui s’est effondré. Le village avait été évacué dès ce moment-là. Heureusement, car de Blatten, il ne reste presque rien. Il n’empêche, un homme de 64 ans qui se trouvait dans la zone d’éboulement est porté disparu. Des chiens de recherche sont actuellement au travail.
Blatten se situe au cœur de l’une des plus belles vallées des Alpes, le Lötschental, dans la partie germanophone du canton suisse du Valais majoritairement francophone.
Les amas rocheux ont formé un grand barrage à la Lonza, une rivière tumultueuse, créant un lac qui ne cesse de monter et menace d’autres villages.
Inscrit au patrimoine mondial
Pendant une quinzaine d’années, nous avons parcouru de long en large, en haut, en bas ce paradis alpestre, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Blatten n’a rien d’une usine à skieurs-touristes comme il y a en a tant qui défigurent la montagne. Ses 303 habitants sont des paysans, des artisans, des ouvriers. Des montagnards rugueux, pas causant– et quand ils causent, c’est dans un dialecte à râper les oreilles – pas le genre non plus à faire des ronds de jambe pour plaire aux touristes.
Mais les voilà attachés à cette terre tellement rude et tellement belle par toutes les fibres de leur âme et de leur corps. Et comme je les connais un tout petit peu, cette épreuve les rendra encore plus déterminés à faire vivre leur vallée.
Une vallée riche d’une culture particulière, unique même, celle des masques que des artisans initiés confectionnent et qui ressemblent comme des frères à ceux qui sont créés en Afrique par d’autres hommes attachés à leur terre.
Suisse condamnée pour inaction climatique
Spécialiste des glaciers à l’Université de Lausanne, Christophe Lambiel évoque à la RTS (Radio-Télévision-Suisse) le réchauffement climatique, « cause probable » de l’effondrement du Birch; « La raison: il se trouve sous une haute paroi rocheuse prise dans un permafrost qui s’est dégradé sous l’effet du réchauffement ces 10-15 dernières années. »
A méditer par tous les crétrumps qui, pendant des dizaines d’années ont fait perdre un temps précieux au monde par leur refus de prendre en considération l’évidence du dérèglement climatique.
A méditer surtout par les dirigeants politiques suisses. Le 9 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Confédération helvétique pour son manque d’action climatique. Blatten vient de sonner l’heure des comptes à régler.
Aujourd’hui, c’est l’Ascension.
Ascension du Fils de l’Homme vers un ciel par l’homme pollué.
Jean-Noël Cuénod