La noisette, la petite filière emblème des défenseurs des néonicotinoïdes
La culture de ce fruit à coque, qui ne représente que 350 exploitants en France, est souvent citée en exemple de l’impasse technique qui imposerait le recours à un pesticide néonicotinoïde, que la proposition de loi dite « Duplomb » veut réautoriser.

La noisette cache-t-elle une betterave ? Le petit fruit à coque, doté d’un capital de sympathie indéniable, est devenu l’emblème des défenseurs des produits phytosanitaires en général et des néonicotinoïdes en particulier. Des insecticides interdits car néfastes pour les insectes pollinisateurs. Le cas des producteurs de noisettes a de nouveau été évoqué, dans le cadre de la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », dite « PPL Duplomb », du nom du sénateur (LR) de Haute-Loire, qui devait arriver devant les députés lundi 26 mai.
Un des articles de ce texte a l’ambition d’assouplir les règles d’usage des produits phytosanitaires et de réautoriser l’acétamipride, un néonicotinoïde, famille d’insecticides bannie en France depuis 2018. A cette occasion, chacun a pu découvrir que les noisiculteurs les utilisaient parfois pour protéger leur verger. Mise dès ce moment sous le feu des projecteurs médiatiques, la noisette n’a, depuis, plus quitté le devant de la scène.
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Pourtant, de l’aveu même de Jérôme Bissières, vice-président de la coopérative Unicoque, installée à Cancon (Lot-et-Garonne) et favorable à la réautorisation de l’acétamipride, cette filière est « anecdotique ». Une surface de 7 900 hectares à peine, à comparer aux 400 000 hectares plantés en betteraves sucrières, une culture également avide de néonicotinoïdes. Un rapport de 1 à 50. Ainsi, la Confédération générale des planteurs de betteraves revendique 26 000 membres, quand la noisette concerne environ 350 agriculteurs.
Balanin et punaise diabolique
La création de la filière noisettes en France date des années 1970, mais il a fallu attendre le tournant des années 2000 pour qu’un coup d’accélérateur soit donné à l’extension des vergers. L’objectif était de développer une offre de noisettes en coque pour le marché européen, mais surtout de répondre à la demande des industriels, à commencer par le géant italien Ferrero, qui produit, dans son usine de Villers-Ecalles (Seine-Maritime), la pâte à tartiner Nutella. « Ferrero représente 25 % du chiffre d’affaires d’Unicoque », précise M. Bissières.
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Dès l’origine, les promoteurs de cette filière ont souhaité se doter d’un centre technique, conscients que, par sa petite taille, elle ne serait pas une priorité pour les fournisseurs, notamment de produits phytosanitaires. Aujourd’hui, elle emploie 10 salariés dont trois chercheurs qui travaillent sur des approches de biocontrôle. Ils se sont penchés sur le sujet sensible du balanin, un petit charançon qui pond et se nourrit de l’amandon. « Nous avons repris en 2015 un programme de recherche avec l’Inrae sur ce sujet, commencé en 1995 puis abandonné », souligne Maud Thomas, directrice de l’Assocation nationale des producteurs de noisettes.
Principal producteur mondial avec 785 000 tonnes de noisettes en 2024, la Turquie est moins sujette aux attaques du balanin que la France, en raison de l’emploi d’une variété plus résistante. Mais celle-ci nécessite une récolte manuelle sur l’arbre. D’où les polémiques sur le recours au travail des enfants dans ces vergers. En France, les fruits sont ramassés mécaniquement après être tombés naturellement de l’arbre.
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Depuis quelques années, un autre ravageur a fait son apparition : la punaise diabolique. Ce parasite venu d’Asie pique le fruit encore vert et lui laisse un goût amer. Il oblige à un tri complexe après la récolte. La filière noisettes a lancé un programme de recherche autour d’un parasitoïde, une microguêpe qui pond dans les œufs de la punaise. « Nous avons fait des lâchers de ces microguêpes dans trois vergers en 2023, puis dans huit vergers en 2024 », explique Mme Thomas. Elle précise que la Turquie en est déjà au stade de lâchers massifs.
En 2018, après l’interdiction des néonicotinoïdes, la filière noisettes a obtenu une dérogation de deux ans. Depuis, la production évolue en dents de scie. Mais si la pression des ravageurs existe, les deux mauvaises récoltes de 2021 (7 200 tonnes) et de 2022 (5 600 tonnes) sont d’abord liées à des épisodes de gel printanier. En 2023, elle a fortement rebondi à 11 000 tonnes, avant de replonger en 2024 à 6 500 tonnes, en raison d’une triple combinaison des deux ravageurs et d’une météo pluvieuse peu favorable à la pollinisation du noisetier, qui repose sur le vent.
Des noisiculteurs sans envie d’acétamipride
En 2025, les producteurs du petit fruit à coque ont obtenu du ministère de l’agriculture une dérogation pour l’utilisation de trois insecticides, dont la deltaméthrine. De plus, un projet de recherche d’alternative aux pesticides pour lutter contre la punaise diabolique regroupant une dizaine de filières a été lancé pour cinq ans avec un budget de 7,5 millions d’euros.
Si la noisette continue d’être brandie comme une victime de l’interdiction de l’acétamipride, tous les noisiculteurs ne sont pas sur cette ligne. A l’exemple de Damien Philibert, agriculteur bio installé en polycultures depuis dix ans à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère). « Je ne défends pas le retour des néonicotinoïdes. Je n’ai jamais eu la tentation de les utiliser. Il faut changer d’ère », affirme-t-il. Lui a choisi une variété peu sensible au balanin. Contre la punaise diabolique, il a recours au piégeage avec des phéromones et de la glue et pulvérise ses arbres avec de l’argile calcinée.
Restent les aléas climatiques. Un violent épisode de grêle en 2019 a détruit sa jeune plantation et l’a contraint à repartir de zéro. Il en a profité pour changer l’allure de ses arbres, optant pour une forme buissonnante et non à tronc unique, afin d’accroître leur résistance. En 2024, sa première récolte sur 3 hectares pesait 750 kilogrammes. Il espère atteindre bientôt entre 1 tonne et 1,5 tonne à l’hectare. Sans néonicotinoïde.
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