Des centaines de médecins et de scientifiques s’opposent aux dispositions de la proposition de loi du sénateur républicain Laurent Duplomb. 

Pesticides : « Les agriculteurs, les riverains et les citoyens ne veulent plus servir de cobayes », alertent 1 200 médecins et scientifiques

Dans une lettre ouverte aux ministres de l’agriculture, de la santé et de l’environnement rendue publique lundi 5 mai, des centaines de médecins et de scientifiques s’opposent aux dispositions de la proposition de loi du sénateur républicain Laurent Duplomb. 

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le 05 mai 2025 à 20h10, modifié le 14 mai 2025 à 18h53 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/05/05/pesticides-les-agriculteurs-les-riverains-et-les-citoyens-ne-veulent-plus-servir-de-cobayes-alertent-1-200-medecins-et-scientifiques_6603228_3244.html

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Lors d’un rassemblement d’apiculteurs contre la loi Duplomb, sur un marché de Toulouse, le 27 avril 2025.
Lors d’un rassemblement d’apiculteurs contre la loi Duplomb, sur un marché de Toulouse, le 27 avril 2025. ED JONES / AFP

Réintroduire des produits « tueurs d’abeilles » interdits, placer le « gendarme » des pesticides sous la houlette des filières agricoles, maintenir l’évaluation des molécules sous la coupe de leurs fabricants, écarter la littérature scientifique de l’analyse des risques… Dans une lettre ouverte rendue publique lundi 5 mai, plus de 1 200 médecins et scientifiques alertent les ministres de l’agriculture, de la santé et de l’environnement sur les failles du système d’homologation de ces produits, qui font de la population des « cobayes », écrivent les signataires.

Parmi eux, plusieurs centaines de médecins, mais aussi de nombreux membres des communautés scientifiques impliquées (toxicologie, écotoxicologie, agronomie, etc.) issus des universités et des organismes de recherche publics (Centre national de la recherche scientifique, CNRS ; Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, Inrae ; Institut de recherche pour le développement ; Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).

Les signataires demandent le renforcement de l’expertise réglementaire et s’opposent aux dispositions de la proposition de loi du sénateur de la Haute-Loire Laurent Duplomb (Les Républicains), qui doit être examinée par les députés avant la fin du mois de mai. « Cette proposition de loi contient de nombreuses mesures qui vont renforcer la dépendance des agriculteurs aux pesticides chimiques de synthèse, sans pour autant répondre à leur demande de rémunération juste, dénoncent les signataires. Or, cette dépendance pose déjà d’énormes problèmes de santé humaine et de dégradation de l’environnement. »

« Faits scientifiques incontestables »

Portée par plusieurs organisations de médecins (Médecins du monde, Alerte des médecins sur les pesticides), la lettre met en avant les données déjà acquises sur les effets sanitaires et environnementaux de ces intrants. « La liste des pathologies en lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides ne cesse de s’allonger, tout comme celle des pathologies impactant la population générale, en particulier par la contamination lors de fenêtres de vulnérabilité comme la grossesse, ajoutent les signataires. Deux expertises collectives, celle de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], en 2021, et celle de l’Inrae, en 2022, ont permis d’établir des faits scientifiques incontestables, écrivent les signataires. La contamination par les pesticides de tous les milieux et du biote [faune et flore] qui y vit est généralisée et tous les niveaux d’organisation biologique sont impactés. »

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Les signataires rappellent que l’évaluation des risques de ces substances demeure « dépendante des données fournies par les industriels » ; que les tests réglementaires « n’explorent pas tous les risques potentiels » comme, par exemple, les propriétés de perturbation endocrinienne ; que la littérature scientifique « est trop souvent marginalisée » dans les procédures d’homologation.

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Enfin, ils soulignent que les risques liés à l’exposition chronique des produits réellement utilisés sur les parcelles et les effets potentiels des mélanges (« effet cocktail ») ne sont pas évalués avant autorisation de mise sur le marché. « Agriculteurs, riverains, citoyens ne veulent plus servir de cobayes à l’évaluation de “l’effet cocktail” de toutes ces substances disséminées dans l’environnement, et que l’on retrouve dans l’eau du robinet, les eaux minérales, et nos aliments », plaident-ils.

Le retour de trois néonicotinoïdes interdits

Ceux-ci s’en prennent aussi à la proposition de loi Duplomb, qui prévoit notamment la création d’un « conseil d’orientation pour la protection des cultures », composé de représentants des filières agricoles et de l’industrie des pesticides, qui superviserait l’agenda de travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Cela reviendrait, selon les 1 200 chercheurs et médecins signataires, « à une remise en cause de la place de l’expertise à travers un affaiblissement du rôle de l’Anses ». Auditionné à l’Assemblée nationale le 25 mars, le directeur général de l’Anses, Benoît Vallet, avait déclaré qu’une telle mise sous tutelle de l’agence reviendrait à une forme de rupture de contrat. « Pour moi, il n’y aurait plus la possibilité de rester directeur général de l’agence », avait-il précisé.

« La loi Duplomb sacrifie la santé et en premier lieu celle des agriculteurs au profit de l’industrie agrochimique, et constitue une grave remise en cause de l’indépendance de la science, comme on le voit aux Etats-Unis », estime Marc Billaud, chercheur au CNRS, signataire du courrier aux ministres et coauteur – avec le professeur d’hématologie aux Hospices civils de Lyon et à l’université Lyon-I Pierre Sujobert – d’un article dénonçant les manœuvres d’occultation des liens entre pesticides et cancers du sang, dans la prochaine édition de la Revue de biologie médicale.

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Autre point de crispation : le retour de trois néonicotinoïdes ou apparentés, interdits au terme de plus d’un millier d’études publiées dans littérature scientifique, expliquent les signataires, pour les risques qu’ils font peser sur les abeilles et les insectes pollinisateurs. Ces dernières semaines, des rassemblements d’apiculteurs protestant contre un tel retour se sont tenus en France. La ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s’est prononcée contre cette mesure. Le gouvernement a une position réservée. Contactés, les autres ministres destinataires du courrier n’étaient pas, lundi 5 mai au soir, en mesure de réagir.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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