Les coups de rabot en matière de santé sexuelle inquiètent
Drôme, Loiret, Corrèze, Vendée… Plusieurs exécutifs locaux ont baissé, voire coupé, les subventions du Planning familial et des centres chargés de la question vont devoir fermer dans la Drôme.
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Les coups de rabot en matière de santé sexuelle et de vie affective se multiplient, ici et là ces derniers mois, suscitant l’inquiétude des professionnels du secteur. Si les situations sont disparates, les différents exécutifs décisionnaires (départements, régions, préfectures) invoquent le contexte d’effort budgétaire demandé par le gouvernement aux collectivités – quoi que celui-ci ait été revu à la baisse, avec un nouveau mécanisme ayant permis à certaines d’être exonérées de ponctions.
La présidente du Planning familial, Sarah Durocher, s’inquiète que la situation des finances publiques ne puisse servir de prétexte à des choix politiques : « On est en alerte, le fait qu’il y ait des coupes dans plusieurs collectivités et des baisses de subventions au Planning familial n’est pas anodin. »
Le cas de la Drôme, à majorité Les Républicains (LR), est emblématique. Ce département a, en effet, voté la fermeture de sept centres de santé sexuelle (CSS) gérés par le département, dans un territoire qui en compte dix-huit au total, et la baisse de 20 % des budgets alloués aux onze autres centres, gérés, eux, indirectement, soit par un hôpital, soit par le Planning familial.
« Qu’ils cherchent d’autres financeurs »
Celui du Loiret (à majorité LR-Union des démocrates et indépendants) a, lui aussi, annoncé la baisse de 10 % de la subvention au Planning familial d’Orléans, soit l’équivalent de 47 000 euros en moins sur les 471 700 euros que le département versait. Une diminution qui pourrait conduire à la suppression de deux contrats de conseillères conjugales et familiales, regrette Monique Lemoine, coprésidente du Planning familial du Loiret, inquiète que l’association ne puisse plus assurer le même rythme de consultations et d’interruptions volontaires de grossesse.
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Comme dans la Drôme, l’exécutif départemental assure n’avoir d’autres solutions, faute de recettes suffisantes. La baisse de subvention ne porte que sur la mission d’intervention auprès des jeunes et non sur le fonctionnement du CSS. « Il faut rationaliser leurs interventions et qu’ils cherchent d’autres financeurs », argue Florence Galzin, vice-présidente chargée de l’enfance, de l’éducation et de la jeunesse. Un « faux argument », rétorque Mme Lemoine, qui souligne que les 47 000 euros ne sont pas fléchés en fonction des missions.
Le département des Pyrénées-Atlantiques a, lui aussi, failli se désengager du financement du CSS hospitalier de Bayonne, avant de rétropédaler face à la mobilisation.
La région Pays de la Loire a, quant à elle, supprimé la totalité des subventions qu’elle accordait au réseau régional du Planning familial, soit 66 700 euros. Les Planning familiaux de la Loire-Atlantique, de la Vendée, de la Sarthe − la Mayenne bénéficie d’une antenne de la Sarthe − et du Maine-et-Loire sont concernés. « Nos missions consistent à lutter contre la précarité, alors que l’on nous met nous-mêmes en situation de précarité », déplore Sandrine Mansour, coordinatrice du Planning des Pays de la Loire.
« Il n’y a pas de volonté politique de viser le Planning familial. Toutes les subventions qui n’ont pas de relation directe avec les missions de la région ont été arrêtées », assure Hubert Jamault, directeur du cabinet de Christelle Morançais, la présidente (Horizons) de la région. En effet, le secteur de la culture a, lui aussi, été particulièrement touché.
Si les CSS sont, pour l’instant, à l’abri, les missions de prévention risquent, elles, d’être particulièrement touchées. « Ce sont 3 000 élèves que nous ne verrons pas, des formations professionnelles en moins, un programme de prévention aux VSS [violences sexistes et sexuelles] à destination des jeunes », énumère Mme Mansour. « Personne ne nie que ça soit difficile », assure M. Jamault, mais la région estime devoir faire 100 millions d’euros d’économies. Une situation d’autant plus difficile que l’agence régionale de santé a également dû réduire ses subventions de 2,6 % en 2025.
« On travaille déjà en effectif réduit »
En Corrèze, le cas est encore différent. Ici, c’est la préfecture qui n’a pas souhaité renouveler le financement de l’agrément d’Etat « espace vie affective, relationnelle et sexuelle » (Evars) au Planning familial. « Un manque à gagner de 20 000 euros sur un budget annuel de 200 000 euros, déplore Jean-Benoît Julien, de l’association, et ce, alors que l’on travaille déjà en effectif réduit et faisons appel à nos bénévoles, faute de pouvoir recruter. »
Entre autres motifs avancés par la préfecture : une trop faible activité de l’association, une concentration sur les zones rurales – l’antenne principale est basée à Peyrelevade, sur le plateau de Millevaches –, parfois en dehors du département… Les services de l’Etat ont donc choisi d’allouer le financement Evars à un autre opérateur, La Maison de Soie, à Brive-la-Gaillarde, celle-ci appartenant au réseau ReStart-LaMaison des femmes, qui aide les femmes victimes de violence.
La jugeant « plus centrale et plus à même de toucher un plus large public », le préfet, Vincent Berton, estime que la structure pourra s’appuyer sur le maillage des 23 espaces France Services, des guichets uniques polyvalents tenus par deux agents, proposant une aide à diverses démarches administratives, mais dont les moyens demeurent insuffisants, selon la Cour des comptes, afin d’« aller vers » l’ensemble de la population du département. « Les agents France Services seront formés à l’accueil et au repérage des victimes de violences », assure également le préfet.
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Des arguments qui ne convainquent guère le Planning familial et son avocate, regrettant que les deux structures « complémentaires dans leur ancrage urbainet rural » ne soient pas pareillement soutenues, et ce, alors que le bassin briviste est déjà bien doté et que les populations reçues à Peyrelevade auront du mal à se déplacer jusqu’à Brive, située à 110 kilomètres. « Il semblerait qu’il y ait une dynamique consistant à concentrer les moyens sur le réseau La Maison des femmes », estime Me Marion Ogier. Et de rappeler que, « lors de l’audience en référé [le 7 avril, qui espérait suspendre la décision préfectorale], le juge a interrogé la pertinence de ce changement d’opérateur de politique publique, tandis que le Planning était déjà bien implanté et identifié ». Si le recours du Planning a été rejeté, faute de satisfaire à la condition d’urgence, ces questions se reposeront lors de l’audience au fond, dont la date n’a pas encore été fixée.
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Camille Bordenet et Adèle Pétret
Dans la Drôme, où plus d’un tiers des centres de santé sexuelle va fermer, on craint pour « les femmes qui se retrouveront sans solution »
La majorité départementale drômoise a voté la fermeture de sept centres de santé sexuelle et la baisse de 20 % des budgets alloués à 11 autres. Professionnels et élus s’inquiètent d’un recul sur la prévention et l’accès aux soins, notamment dans les zones rurales.

Ce matin de mai, elles sont six – Nike aux pieds, survêtement Tacchini, gloss, cheveux laqués. Six jeunes filles suivies par une association agréée par l’aide sociale à l’enfance, assises autour de Suzanne (toutes les personnes ont été anonymisées à leur demande), conseillère conjugale et familiale. Cette dernière tient sa permanence de deux jours au centre de santé sexuelle (CSS) d’un bourg rural de la Drôme.
Les filles gloussent en voyant les préservatifs et le spéculum – « Ce sont des sachets de thé ? C’est un spéculoos ? »Suzanne a l’habitude. Le silence se fait lorsqu’elle sort un tricot représentant un sexe féminin. « On a l’habitude de voir des pénis, moins des vulves et des clitoris. Or, comme les pénis, toutes les vulves sont différentes. Les lèvres internes et externes ont différentes tailles et couleurs. »
Identité sexuelle, méthodes de contraception et d’interruption volontaire de grossesse (IVG), dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST), endométriose, violences sexuelles… En une heure, bien des questions d’éducation à la vie sexuelle et relationnelle sont abordées. Avec les filles d’abord, puis avec les garçons. « Ici, vous pouvez revenir seules, sans l’accord des “éducs” ni des parents. On est là pour vous accompagner, c’est gratuit et confidentiel », invite la professionnelle.
Mobilisation locale importante
A ceci près que la permanence de ce CSS prendra fin le 30 juin prochain. Le couperet est tombé le 14 avril : la majorité du conseil départemental, présidé par Marie-Pierre Mouton (Les Républicains), a voté la fermeture des permanences de sept centres de santé sexuelle, gérés directement par le département, dans un territoire qui en compte 18 au total. Elle a également entériné la baisse de 20 % des budgets alloués aux 11 autres centres, gérés, eux, indirectement, soit par un hôpital, soit par le Planning familial.
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Suzanne et ses autres collègues, dont les contrats s’arrêtent, ne sont pas les seules à accuser le coup. En témoignent les pin’s « J’aime mon CSS » épinglés sur les blouses ainsi que les affiches placardées dans les rues, dans un territoire qui n’en est pas à sa première bataille pour ses services publics – maternité, ligne de train, classes…
Manifestations, pétitions, courriers adressés par les professionnels de santé (ordre des médecins, hospitaliers, biologistes, pharmaciens, infirmières scolaires, sages-femmes…) ainsi que par de nombreux élus du territoire : quoique importante, la mobilisation locale, plusieurs mois durant – jusque devant l’hôpital de Valence, le 9 mai, à l’occasion de la venue du ministre de la santé, Yannick Neuder –, n’y aura rien fait.
L’exécutif drômois justifie ce choix par le contexte d’effort budgétaire demandé par le gouvernement aux collectivités et les « nouvelles charges imposées sans concertation ni compensation ». « Cela nous impose de requestionner l’ensemble de nos politiques », écrit au Monde le cabinet de Mme Mouton par mail, évoquant notamment la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA).
Economie « injustifiée »
L’effort demandé aux collectivités a pourtant été revu à la baisse, notamment pour celles dont le revenu par habitant est faible, et la Drôme échappe finalement à cette ponction conjoncturelle. « La Drôme est dans une situation financière plutôt confortable par rapport à d’autres et a les moyens d’absorber l’austérité imposée par l’Etat », considère Muriel Paret, conseillère départementale (divers gauche). Les deux groupes d’opposition (gauche et majorité présidentielle) ont déploré le manque de concertation sur ces fermetures en même temps qu’une économie, selon eux, « injustifiée » – laquelle doit permettre de récupérer 240 000 euros sur un budget de 914 millions d’euros pour 2025, « soit 0,026 % du budget ».
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L’exécutif drômois se prévaut aussi d’une faible activité des sept CSS départementaux. « Des chiffres tronqués, qui mélangent des facteurs incomparables », répond-on côté opposition, fournissant le relevé des actions en 2023 et en 2024 : 1 265 consultations sages-femmes et médecins ; 779 rendez-vous avec une conseillère conjugale et familiale ; 2 363 participants sur les actions collectives. « Des chiffres à ramener aux temps très partiels et au manque de médecins et de conseillères. »
En dépit de ces fermetures, la majorité départementale soutient qu’elle garantira un nombre de demi-journées de consultations en santé sexuelle supérieur aux exigences légales prévues par le code de santé publique – il est, dans la Drôme, de 33 demi-journées pour 207 000 habitants âgés de 15 à 50 ans. « Nous irons au-delà », écrit le département, visant « 50 demi-journées ».
L’opposition n’en craint pas moins une inégale couverture dans les zones rurales du département où les CSS auront fermé, « alors même que celles-ci cumulent violences conjugales et intrafamiliales et freins à la mobilité », rappelle Mme Paret.
« Des acteurs de premier recours »
« L’action des CSS ne devrait pas être évaluée à travers des chiffres, mais par la qualité de l’accompagnement », estime Suzanne, inquiète quant à l’arrêt de certaines interventions, autant que pour « les femmes et les mineures qui se retrouveront sans solutions ». La stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS) 2017-2030 lancée par le gouvernement érige pourtant la « proximité » comme principe d’action.
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« Toutes les personnes fragilisées que je reçois ici n’auront pas ou peu les moyens de se rendre dans un CSS à 30, 40, 50 kilomètres », sait d’avance Suzanne. Tout comme elle sait que ses collègues assistantes sociales et infirmières scolaires, elles-mêmes surchargées, ne pourront pas tout absorber. « Actuellement, collégiens et lycéens peuvent venir me voir en toute confidentialité entre les cours. Mais s’ils doivent faire deux heures de bus ? » Elle évoque le cas d’une jeune fille, victime d’inceste enfant, ayant récemment subi un viol, et à qui le père refusait l’accès à un psy, au motif qu’il lui fallait« s’endurcir ». « Ici, elle pouvait venir sans autorisation, contrairement au centre médico-psychologique. »
« Les CSS sont des acteurs de premier recours qui, outre leurs compétences indispensables, assurent aussi une coordination entre les partenaires. Tout le monde a intérêt à ce qu’ils fonctionnent. Sinon nous sommes encore plus débordés », abonde Maya, médecin généraliste. Investie au sein de la communauté professionnelle territoriale de santé, cette dernière estime que « leur fermeture va à l’encontre des efforts colossaux déployés pour optimiser le temps de travail des médecins dans un contexte de désert médical. C’est tout un maillage territorial qui s’en retrouve fragilisé ». Et de citer le temps de consultation que requiert une grossesse non désirée ou le traitement d’une IST chez une mineure.
Agenda noir de rendez-vous
« Pour les dépistages, le département renvoie vers les labos et les pharmacies, mais c’est un subterfuge ! », déplore aussi Emmanuelle, biologiste, citant notamment le cas des mineurs, qu’elle ne peut recevoir sans ordonnance. Une ordonnance que pouvait délivrer le médecin du CSS en toute discrétion, avec en sus un accompagnement de la conseillère pour comprendre les conduites à risques ayant conduit à une possible infection. Quid, enfin, de la journée de dépistage trimestrielle organisée par le CSS (gratuite, sans carte Vitale), qui permettait de toucher des publics qui, sinon, ne feraient pas forcément la démarche ? Aujourd’hui encore, 13 % des personnes porteuses du VIH l’ignorent, selon la stratégie nationale de santé sexuelle.
Suzanne feuillette son agenda : noir de rendez-vous. Des couples en rupture de communication, parfois orientés par la caisse d’allocations familiales, une trentenaire qui a fait une ligature des trompes, un entretien pré-IVG avec une mineure, un collégien qui se pose la question d’une transition de genre, une mineure positive à l’hépatite B, des actions de prévention avec des jeunes suivis par le centre social, l’institut médico-éducatif, la mission locale… Il y a aussi les « sorties d’urgences » de l’hôpital : des femmes victimes de violences ayant laissé leur numéro, que Suzanne appelle systématiquement.
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Tina est l’une d’elles. La trentaine, musicienne aux ressources précaires, terrifiée à l’idée de recroiser son ex, contre lequel elle a porté plainte. Elle pourrait difficilement se payer un psy, non plus que l’essence pour s’y rendre. Encore faudrait-il en trouver un disponible. Une gageure, témoigne Marie, une autre trentenaire, elle aussi suivie au CSS durant quatre mois, pour des faits d’inceste. « Trois mois d’attente pour les psys, les CMP [centres médico-psychologiques] débordés »,témoigne cette universitaire. La permanence du CSS, elle, était « juste là », dans une rue discrète, invitant à pousser la porte. Aurait-elle pu faire 40 kilomètres jusqu’au prochain CSS ? « Je n’ai pas de voiture. Comptez une demi-journée en bus. La mer à boire quand t’arrives à peine à sortir de ton lit. » Elle secoue la tête : « Sans ce lieu, je ne sais pas comment j’aurais fait. »
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Camille Bordenet (Drôme, envoyée spéciale)
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