Autoroute A69 : ministres et parlementaires s’unissent pour contourner la justice et relancer le chantier
Jeudi, une proposition de loi dite de « validation » de ce projet sera examinée au Sénat. Une immixtion du pouvoir législatif dans la procédure judiciaire qui irrite militants associatifs et juristes.

Des ministres alignés et des parlementaires du « bloc central » quasiment unanimes. Contestée par des associations de défense de l’environnement et à l’arrêt depuis une décision de justice, la construction de l’A69, autoroute de 53 kilomètres entre Toulouse et Castres, est défendue par l’ensemble de la majorité. Un fait rare en ces temps d’instabilité et de flou politique.
Jeudi 15 mai, une proposition de loi dite de « validation » de ce projet sera examinée dans l’hémicycle du Sénat lors de la niche parlementaire de l’Union centriste (UC). Ce texte vise à contourner la décision du tribunal administratif de Toulouse qui, le 27 février, avait annulé l’autorisation environnementale de ce chantier dont les travaux ont, de fait, été suspendus. Une immixtion du pouvoir législatif dans la procédure judiciaire qui irrite les militants associatifs et de nombreux avocats et juristes.
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« Nous pouvons contester cette décision sans remettre en cause l’indépendance de la justice, rétorque Jean Terlier, député Ensemble pour la République (EPR) du Tarn et fervent défenseur de ce projet. Un acte administratif peut être régularisé s’il obéit à une raison impérative d’intérêt public majeur. Et nous considérons que le désenclavement et le contexte socio-économique justifient cette démarche législative. » Le tribunal administratif avait au contraire estimé que cette autoroute ne remplissait pas les critères d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » et ne pouvait donc déroger à l’interdiction de détruire des espèces protégées.
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Au vu de l’équilibre des forces au Palais du Luxembourg, cette proposition de loi devrait être votée sans aucune difficulté, jeudi. L’Assemblée nationale l’examinera le 2 juin. Signe d’un réel soutien de la part des macronistes, les députés EPR, lors d’un vote interne, l’ont placée en tête des textes à programmer lors de la niche parlementaire du groupe. Si Matignon reste prudent – « Il s’agit d’une initiative parlementaire, portée par les parlementaires du territoire, le gouvernement s’en remettra à la sagesse des Assemblées », explique l’entourage du premier ministre –, aucun ministre ne s’est opposé à cette initiative.
« Un énorme gâchis »
En février, dès la décision du tribunal administratif connue, le ministre des transports, Philippe Tabarot, avait annoncé que l’Etat ferait appel de la décision et demanderait le sursis à exécution afin de permettre la reprise rapide des travaux sur le chantier. Ces deux procédures ont été lancées le 24 mars. L’audience sur le sursis à exécution se déroulera le 21 mai à la cour administrative d’appel de Toulouse.
Les ministres se sont aussi déployés sur le terrain. M. Tabarot s’est rendu sur le chantier de l’A69, le 4 avril. « Pour l’instant, c’est un énorme gâchis. En venant de Toulouse, je me suis rendu compte des conséquences d’un chantier de 53 kilomètres, réalisé aux deux tiers et à l’arrêt », avait-il déclaré.
Le 12 avril, le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, avait lui aussi fait le déplacement pour exprimer sa volonté de voir le chantier reprendre. « Le quart sud-ouest est sans doute l’un des plus enclavés de France », avait-il estimé, avant d’ajouter : « Les réseaux de communication sont à l’économie ce que sont pour un corps humain les artères. » Fermant elle-même toute possibilité de désunion au sein de l’équipe gouvernementale, la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, avait soutenu l’appel de l’Etat peu après l’annonce de la décision du tribunal administratif.
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Etant donné l’alignement du gouvernement et des groupes parlementaires qui composent la majorité, la proposition de loi a de grandes chances d’être adoptée, alors même que l’appel ne sera examiné sur le fond que dans plusieurs mois. Le Conseil constitutionnel, qui contrôle étroitement ce type de lois au nom de la séparation des pouvoirs, sera ensuite très probablement saisi au sujet de ce texte de « validation ». Si ce texte passe toutes ces étapes, le gouvernement pourrait s’appuyer dessus pour demander à la cour administrative de prononcer un non-lieu à statuer.
« Les sénateurs et les députés auraient pu au moins attendre l’audience du 21 mai pour savoir si la justice décide que les travaux pourront reprendre ; là, il y a une volonté sans précédent d’empiéter sur le travail des juges et de peser sur une décision en appel, affirme Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement. Cela pose, plus largement, la question du respect de l’Etat de droit par les parlementaires soutenus par le gouvernement. »
« Nous sommes droits dans nos bottes »
Pour défendre leurs initiatives, le gouvernement et les parlementaires de la majorité emploient les mêmes éléments de langage : le désenclavement du sud du Tarn, une autoroute achevée aux deux tiers et le coût de l’arrêt du chantier… « La sécurisation des ouvrages et les autres frais supplémentaires coûtent 200 000 euros par jour, il y a déjà 300 millions d’euros d’argent public et privé qui ont été engagés, affirme Philippe Folliot, sénateur UC du Tarn, un des rédacteurs du texte. Nous sommes droits dans nos bottes car nous répondons à une demande de notre territoire. » Dans son mémoire transmis à la cour administrative d’appel, le concessionnaire Atosca évoque en effet un coût supplémentaire de 211 000 euros par jour, notamment pour sécuriser de nombreuses zones de l’A69 déjà construites.
Les associations comme La Voie est libre, le principal collectif local d’opposition à l’autoroute, espèrent encore que la procédure judiciaire pourra suivre son cours, y compris en cas de vote de la proposition de loi de « validation ». Même si elle passe l’étape du Conseil constitutionnel, les militants évoquent déjà l’idée de s’appuyer sur le Conseil d’Etat, après une éventuelle décision de la cour administrative d’appel, ou sur le droit européen. Selon eux, un tel texte serait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme car elle constituerait une ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice. Mais de telles procédures pourraient prendre du temps. En cas de reprise des travaux dans les mois à venir, le chantier serait alors sans doute déjà terminé. « On pourrait arriver à une situation ubuesque où l’autoroute serait achevée, mais sur la base d’une autorisation environnementale illégale », conclut M. Gossement.
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