« Pfizergate » : la justice européenne inflige un revers à Ursula von der Leyen
La Cour de justice de l’UE a estimé que la cheffe de la Commission n’avait pas fourni « d’explication crédible pour justifier » le fait que les SMS échangés lors de la pandémie de Covid-19 avec le PDG du laboratoire Pfizer étaient « introuvables ».

C’est un sérieux revers que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a infligé, mercredi 14 mai, à la Commission, pour son manque de transparence dans ce que la bulle bruxelloise appelle désormais le « Pfizergate ». Les juges de Luxembourg ont en effet « fait droit au recours » de Matina Stevi, une journaliste du New York Times, d’accéder aux SMS que la présidente de l’exécutif communautaire, Ursula von der Leyen, et Albert Bourla, le PDG de Pfizer, s’écrivaient, courant 2021. Elle s’en était vu refuser l’accès, en novembre 2022, et avait saisi la Cour de Luxembourg afin d’obtenir gain de cause.
Le quotidien américain souhaitait en savoir plus sur les coulisses d’une négociation entre la Commission, au nom des Vingt-Sept, et le laboratoire, qui s’est soldée, en mai 2021, par la signature d’un troisième contrat entre les deux parties pour l’achat de 1,8 milliard de doses de vaccins contre le Covid-19. Alfred Bourla lui-même avait confié au New York Times, en avril 2021, que ses échanges par SMS avec Ursula von der Leyen avaient permis d’installer entre eux deux une « profonde confiance ».
null
Pour justifier sa fin de non-recevoir à la demande du New York Times, la Commission a affirmé ne pas être « en mesure d’identifier ces documents ». Après avoir refusé de confirmer l’existence même de ces SMS, elle a finalement argué qu’ils n’avaient pas été archivés en tant que documents publics, comme son règlement pourrait l’y contraindre. « Faute de contenu substantiel », a-t-elle expliqué, Ursula von der Leyen elle-même ou un membre de son cabinet a estimé que cela n’était pas nécessaire.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La communication très solitaire d’Ursula von der LeyenLire plus tard
Insuffisant, rétorque aujourd’hui la Cour de Luxembourg, pour qui la Commission n’a pas fourni d’« explication crédible pour justifier » le fait que « ces documents [étaient] introuvables », alors que les commissaires, comme les fonctionnaires européens, sont censés conserver tous les documents contenant des informations importantes. Ces SMS, s’interrogent les juges, ont-ils été effacés volontairement, automatiquement ou bien le téléphone de la présidente a-t-il, entre-temps, été remplacé ? A leurs yeux, la Commission n’a pas non plus expliqué « de manière plausible » pourquoi leur conservation n’avait pas été jugée utile.
« Mauvaise gestion administrative »
Mercredi, le New York Times a salué une « victoire pour la transparence ». Maintenant que le quotidien a obtenu gain de cause, il est néanmoins peu probable qu’il puisse enfin lire ces SMS. Car, de ceux-ci, aujourd’hui, personne – hormis Ursula von der Leyen et ses plus proches collaborateurs – ne peut dire ce qu’ils sont devenus.
Il faut se souvenir qu’à l’époque où ils ont été rédigés, tous les pays cherchaient à mettre la main sur les vaccins qui leur permettraient de vivre avec la pandémie. Dans la sphère occidentale, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) étaient en concurrence pour récupérer ces doses salvatrices qui devaient libérer citoyens et entreprises des confinements à répétition. Après un retard au démarrage, le Vieux Continent a finalement supplanté ses partenaires et, à la fin de 2021, 80 % de sa population était immunisée contre le Covid-19.
Dans ce contexte de guerre des vaccins, les négociations de la Commission avec les différents laboratoires se sont tenues dans la plus grande discrétion et les conditions juridiques et financières auxquelles les Européens ont pu acheter des doses ont été gardées secrètes. Ce qui a contribué à nourrir les complotismes en tout genre et les accusations contre une Union qui aurait dépensé sans compter l’argent des contribuables.
Au sein même des institutions communautaires, l’affaire soulève des questions. En juillet 2022, l’Irlandaise Emily O’Reilly, qui était alors la médiatrice de l’UE et qui s’était, elle aussi, penchée sur l’affaire des SMS, s’était livrée à une critique sévère de la Commission. Elle « n’est pas franche sur des questions d’intérêt public majeures », avait-elle assené, en jugeant qu’il s’agissait là d’un cas de « mauvaise gestion administrative ». Quant au parquet européen, il a, pour sa part, annoncé, en octobre 2022, avoir ouvert une enquête « sur l’acquisition de vaccins Covid-19 dans l’Union européenne », sans en dire plus. A ce jour, elle est toujours en cours.
« Accords douteux »
Jusqu’ici, la CJUE, qui a été saisie sur le sujet par des citoyens et des députés européens inquiets de l’opacité qui entoure ces achats de vaccins, n’a jamais contraint la Commission à révéler des éléments relevant du secret des affaires. En juillet 2024, elle lui a juste demandé d’accorder un accès plus large aux déclarations d’absence de conflit d’intérêts, signées par les membres de son équipe de négociations. Mais Bruxelles a fait appel et obtenu, en février, la suspension provisoire de cette décision.
En janvier, la chambre des mises en accusation de Liège a jugé, pour sa part, irrecevable la plainte de Frédéric Baldan, un lobbyiste belge antivax, qui accusait Ursula von der Leyen d’abus de pouvoir, de destruction de documents publics, de poursuite d’intérêts illicites et de corruption, et de préjudice aux finances publiques de la Belgique. Diverses associations et personnalités opposées aux vaccins, ainsi que la Hongrie et la Pologne, s’étaient également constituées parties civiles dans le dossier. « Ursula von der Leyen nous fait la leçon sur la transparence pendant qu’elle cache ses accords douteux avec Pfizer », a commenté sur le réseau social X, mercredi, Péter Szijjarto, le ministre des affaires étrangères hongrois.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Ursula Von der Leyen n’est décidément pas une adepte de la transparenceLire plus tard
La décision de la Cour de Luxembourg de mercredi est une « mise en garde claire contre le manque de transparence de la présidente de la Commission », a réagi l’élu allemand Daniel Freund (Verts), faisant écho aux critiques récurrentes contre le style de gouvernance, très centralisé et personnalisé, d’Ursula von der Leyen, qui fait peu de place à la collégialité et à la transparence.
Le « Pfizergate » rappelle une autre affaire, qui avait mis Ursula von der Leyen en difficulté au moment de son arrivée à la tête de la Commission, en décembre 2019. Soupçonnée d’avoir eu recours à des consultants extérieurs dans ses précédentes fonctions de ministre de la défense d’Angela Merkel (de 2013 à 2019), sans toujours avoir respecté les règles d’appels d’offres, elle avait été convoquée par une commission d’enquête parlementaire à Berlin, trois semaines après son arrivée à Bruxelles. On avait alors appris que les données de son téléphone portable allemand avaient été supprimées au cours de l’été 2019…
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.S’abonner