« Ne faudrait-il pas commencer par créer un service public de santé qui, curieusement, n’existe pas » (Martin Hirsch).

Martin Hirsch, ex-directeur général de l’AP-HP : « Et si on créait un service public de la santé ? »

Tribune

Dans une tribune au « Monde », l’ancien directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris regrette que les soins primaires ne répondent pas à une logique de service public et plaide pour une structure qui conviendrait de concevoir avec les professionnels de santé.

Publié hier à 12h00, modifié hier à 15h16  Temps de Lecture 4 min.

La proposition de loi visant à limiter la liberté d’installation des médecins [adoptée en première lecture le 7 mai] divise : l’ensemble des syndicats médicaux ont retrouvé leur unité pour s’y opposer ; les élus locaux ont dépassé les clivages partisans pour réclamer son adoption ; le gouvernement a dégainé une alternative avec l’obligation de consacrer deux journées mensuelles à des zones en tension ; les patients voient s’étendre les déserts médicaux, expression qui a peu de réalité géographique, car l’accès à certaines spécialités est parfois complexe dans certaines métropoles, dont Paris.

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Et si ce débat achoppait sur le fait qu’on n’a pas pris les choses dans le bon ordre ? Ne faudrait-il pas commencer par créer un service public de santé qui, curieusement, n’existe pas. En matière d’organisation des soins, il existe un service public hospitalier, mais les soins primaires ne répondent pas à cette logique. C’est un peu comme si, en matière d’éducation, le service public commençait au lycée ou à l’université et avait « oublié » l’école primaire et le collège, chacun devant se débrouiller pour les premières années d’éducation.

Cet « oubli » n’est pas le fruit du hasard. Il rappelle qu’il y a un siècle l’Assurance-maladie s’est construite avec l’opposition du corps médical, avec une sorte de « Yalta » : la solidarité nationale ne contrarierait pas les principes de la médecine libérale, parmi lesquels la liberté d’installation, mais aussi le paiement à l’acte, et n’interférerait pas avec l’organisation des soins non hospitaliers.

Désigner une autorité

Pourtant, le code de la santé publique reconnaît bien un droit large aux patients : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés. » Et l’article initial de ce code, le L. 1110-1, charge « les professionnels et les établissements de santé, les organismes d’assurance-maladie (…) et les autorités sanitaires (…) avec les collectivités territoriales et leurs regroupements » de « garantir l’égal accès de chaque personne aux soins ». Ce droit trouve sa traduction dans une assurance-maladie très récemment devenue universelle, mais pas dans l’organisation des soins, ce qui le prive d’une partie de son contenu.

Commencer par créer un service public de santé, incluant les soins primaires, permettrait de traiter les questions autour desquelles on tourne en vain depuis des années (liberté d’installation, le droit à conventionnement, etc.), en tirant un fil, ou plutôt plusieurs fils, pour tisser une toile.

Tout d’abord, un service public impose de désigner une autorité qui l’organise. Cela pourrait conduire à donner une compétence en matière de santé aux collectivités territoriales. Pour les soins primaires, cela pourrait être les communes et les intercommunalités. Aujourd’hui, les communes, dépourvues de médecins, et sans s’être vu reconnaître de compétences dans ce domaine, proposent des locaux et parfois des aides financières pour faire venir des professionnels sur leur territoire, sans cadre légal véritable.

A la clinique de l’Estrée, à Stains (Seine-Saint-Denis), en 2020.
A la clinique de l’Estrée, à Stains (Seine-Saint-Denis), en 2020.  BENOIT TESSIER / REUTERS

Un service public suppose de définir une organisation et la place des professionnels en son sein. C’est cette organisation qu’il conviendrait de concevoir avec les professionnels de santé. Y participer comme agent public ou comme acteur privé, délégataire ? En étant salarié ou en gardant un exercice contractuel ? En se concentrant exclusivement sur les soins primaires ou avec un exercice mixte dans les hôpitaux et les autres structures de soins, y compris pour personnes âgées ? Un service public de santé centré sur le médecin ou conçu d’emblée comme pluriprofessionnel avec la notion d’équipe de soins, ou mieux d’équipe de santé, incluant les différents acteurs ? Cela n’impose pas une réponse uniforme, mais, dans le cadre de la construction d’un service public, permet des réponses diversifiées.

L’engagement de servir

Intégrer les soins primaires dans le service public permettrait de faire la jonction avec le service public hospitalier, alors que la coupure entre les deux secteurs est l’une des faiblesses principales de notre système de santé. Les hôpitaux pourraient développer leurs services de soins primaires – comme cela se passe dans plusieurs pays comme en Finlande ou en Espagne – ou organiser, par conventions, leurs relations avec les acteurs du service public des soins primaires. Les professionnels de santé pourraient se voir proposer des contrats ou des postes qui leur permettraient de se consacrer au service public de santé, et pas exclusivement à un établissement.

Les organismes mutualistes, ceux du privé à but non lucratif, pourraient jouer un rôle dans la structuration de ce service, en renouant avec la gestion de centres de santé, ceci d’autant plus si une assurance-maladie généralisée incluait le deuxième étage de la couverture maladie, et rendait caduc leur rôle complémentaire.

Dès lors qu’il y a service public pourrait se traiter, dans ce cadre, la question de l’engagement de servir. La gratuité des études de santé pourrait avoir comme contrepartie une obligation à participer à ce service, dont la durée et les modalités seraient négociées avec l’ensemble des professionnels concernés et qui pourrait être assortie d’une véritable rémunération pendant les années d’études. Les études de santé ont ceci de paradoxal qu’elles se font en alternance, sans relever du régime de l’apprentissage. Cela pourrait être l’occasion de réparer cette anomalie.

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La création d’un service public de santé ouvrirait de nombreuses questions. Outre celles que nous avons évoquées, celle de l’articulation avec la médecine scolaire, et plus largement avec la prévention, serait centrale et permettrait de sortir du paradoxe actuel : instituer une sorte d’obligation de service public pour les professionnels, sans avoir commencé par créer et définir ce service.

Près d’un siècle après la naissance de l’Assurance-maladie par la loi du 5 avril 1928 et au moment où la Sécurité sociale célèbre ses 80 ans, la création d’un service public de santé donnerait un sacré coup de jouvence à cette digne vieille dame !

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Martin Hirsch est ancien directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (de 2013 à 2022).

Commentaire Dr Jean Scheffer:

J’ai précisé à plusieurs reprises que pour résoudre l’ensemble du manque de médecins dans les différents lieux de soins et dans les différents spécialités, y compris en prévention, en santé publique, et pour un accès aux soins pour tous nos concitoyens il fallait:

-réguler l’installation des médecins en refusant de conventionner ceux qui souhaiteraient s’installer en zone déjà pourvue

-élargir le numerus apertus, mais en donnant les moyens aux facultés de médecine pour former correctement nos futurs médecins et en adaptant le nombre à former en fonction des besoins réels.

-créer des centres de santé publics pluri-professionnels, avec des médecins salariés et sans dépassements d’honoraires dans les zones en grande souffrance tout en revitalisant ces zones en services publics.

-abolir les dépassements d’honoraires tout en revalorisant les actes notoirement sous-cotés (en particulier en chirurgie).

-supprimer l’activité libérale à l’hôpital public mais à condition de revaloriser les retraites des praticiens hospitaliers (actuellement correspondant tout au plus à 30% dû dernier salaire).

-créer le corps obligatoire pour tous les futurs généralistes et futurs spécialistes du «clinicat-assistanat pour tous» de deux à trois ans, afin de combler tous les manques de médecins quel que soit l’établissement ou la spécialité.

-réouvrir des lits d’hôpitaux dans la plupart des hôpitaux publics et même recréer des hôpitaux de proximité dans les zones dites d’exception géographique (montagnes, enclavement…). Le manque de lits d’aval avec des patients âgés qui restent aux urgences sur un brancard plus de 24h n’est pas tolérable.

-généraliser à l’ensemble du pays le régime particulier d’Alsace-Moselle avec intégration de la complémentaire dans l’assurance maladie, permettant avec une économie de plus de 10 milliards d’€, de diminuer fortement la contribution financière pour notre complémentaire et notamment pour nos retraités. (Proposition similaire et ancienne de Martin Hirsch avec Didier Tabuteau dans « Le Monde » avant la présidentielle de 2021*)

La création d’un service public de santé pour les soins primaires proposé par Martin Hirsch, avec la possibilité d’activité mixte, établissement de soin et centre de santé, serait le chaînon manquant permettant d’établir un lien étroit entre soins primaires et hôpitaux .

Cela permettrait de sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes depuis la libération avec la persistance d’une médecine libérale, et de complémentaires , dualités qui n’ont pas d’équivalent dans aucun autre pays.

*http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/01/14/creons-une-assurance-maladie-universelle_5062590_3232.html

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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