Pourquoi les formes de militantisme comme celles de LFI sont adaptées tant au présidentialisme de la Ve République qu’aux logiques médiatiques et aux mutations de l’engagement.

Ce que les succès (et les critiques) de la France Insoumise révèlent de la situation

https://blogs.mediapart.fr/samuel-hayat/blog/070525/ce-que-les-succes-et-les-critiques-de-la-france-insoumise-revelent-de-la-situation

L’émission Complément d’enquête consacrée à LFI est discutable, mais elle nous informe sur les partis, la représentation politique et le charisme. Plutôt que d’accuser LFI d’être une meute et Mélenchon d’être un gourou, il faudrait se demander pourquoi ces formes de militantisme sont adaptées tant au présidentialisme de la Ve République qu’aux logiques médiatiques et aux mutations de l’engagement.

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samuel hayat

Chargé de recherche CNRS, CEVIPOF

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L’émission Complément d’enquête consacrée à la France insoumise, diffusée le 24 avril 2025, est discutable dans sa méthode comme dans l’angle choisi, mais elle est révélatrice de pas mal de choses sur les partis, la représentation politique et le charisme. 

1° Ce qu’il faut avant tout comprendre, c’est que LFI réussit là où les autres partis échouent : elle obtient des succès électoraux répétés, a fait apparaître une nouvelle génération de cadres, avec de multiples noms désormais connus et reconnus médiatiquement, ce qui n’est le cas d’aucune autre formation politique à gauche. Dans la situation présente, qu’on le veuille ou non, LFI semble la seule vraie machine efficace à gauche, en tout cas sur la scène politique nationale. Bien sûr, l’efficacité n’est pas un but en soi, mais c’est un élément central pour la gauche électorale, celle qui vise la prise du pouvoir par les urnes.

La raison en est d’abord que tout mouvement politique a besoin de cadres, des militant-es formé-es, engagé-es, efficaces et dévoué-es à l’appareil. Or les autres partis à gauche ne savent plus en produire, en tout cas pas de bon-nes. Il faut bien voir qu’auparavant les partis, Parti socialiste en tête, formaient leurs cadres par le militantisme, en particulier syndical. Une carrière militante à gauche commençait dès le lycée (FIDL, UNL) puis à l’université (UNEF-ID). Il y avait du militantisme jeune (MJS), de l’action locale, des débats, des courants. Dans l’appareil, on montait progressivement, à la suite d’une série d’épreuves qui créaient des rapports de concurrence, de camaraderie, une structure idéologique, des réseaux.

Or ce modèle s’est effondré, car il reposait sur un afflux constant de militant-es, d’adhérent-es, qui s’est tari partout. Par conséquent, le PS (et dans une moindre mesure les Ecologistes et Parti communiste français) est devenu un parti de cadres, voire un parti-cartel tenu par des élu-es, sans base active, sans militantisme jeunesse, sans cadres formé-es ayant une légitimité locale et une habitude du débat d’idées et du travail militant.

2° Pourquoi alors LFI semble avoir réussi à constituer une direction politique fonctionnelle ? Parce que ce mouvement l’a créée de toutes pièces, par en haut, sans s’en remettre au lent travail de construction d’une carrière militante. En quittant le PS, Jean-Luc Mélenchon a rompu non seulement avec un parti, mais bien avec la forme-parti, telle qu’héritée de la longue histoire de la social-démocratie, avec sa base militante de masse, ses débats, ses courants, sa démocratie interne. Il a choisi plutôt un modèle inspiré du léninisme, tel que développé dans Que faire ? (1902). Il s’agit de construire non pas un parti démocratique, mais une avant-garde de révolutionnaires professionnel-les, et à côté, subordonné à cette avant-garde, un mouvement de masse sans pouvoir propre, mais mobilisable.

Initialement, ce 1er cercle, c’était la direction du Parti de Gauche, avec des ancien-nes du PS ayant suivi Mélenchon en 2008, puis ça s’est élargi à des militant-es aguerri-es venant de l’altermondialisme, de la Ligue communiste révolutionnaire, des comités de lutte contre le Traité constitutionnel européen… Et le mouvement plus large, subordonné, censé porter la dynamique au-delà du noyau dirigeant, c’était le Front de gauche, regroupant une myriade de partis et de mouvements plus ou moins importants. Il faut se souvenir qu’à l’époque, il existe dans la gauche radicale des dizaines de structures, héritées des luttes (et des scissions) des décennies précédentes. Le Front de gauche fédère et coordonne toute cette constellation radicale.

Mais le Front de gauche est trop tributaire des partis et lourd pour convenir à Mélenchon. En 2016, il dissout de son propre chef le Front de gauche et crée LFI, un mouvement « gazeux », sans adhérent-es, mais avec des « soutiens » collectés sur Internet, structuré en petits groupes dénués de pouvoir. Officiellement, il s’agit d’incarner la révolution citoyenne, ce qui veut dire s’écarter des références de la gauche – mais le but est surtout d’éviter de voir renaître baronnies et luttes de courants qui avaient grevé le PS, et de mettre au pas une gauche radicale trop plurielle.

Parallèlement, et progressivement, le 1er cercle se trouve épuré, et Mélenchon nomme des jeunes cadres, à l’expérience militante réduite, parfois tout juste sorti-es de Sciences po, sans ancrage local, dont la légitimité est entièrement conférée par la direction. Résultat : LFI devient une machine politique médiatiquement et électoralement efficace, certes non démocratique, mais solide et unie, dont les membres de la direction doivent tout à Mélenchon, et appuyée sur un mouvement aux contours flous, mais mobilisable électoralement. Le ralliement du Parti ouvrier indépendant, héritier du lambertisme, resté à l’écart du Front de gauche, avec ses militant-es bien formé-es, ses réseaux syndicaux et son habitus léniniste, qui se met au service de la dynamique insoumise sans trop demander en échange, achève de structurer la FI, et de l’autonomiser de ses soutiens trop indépendants, comme les petits mouvements de gauche radicale qui forment Ensemble !

3° Tout ceci permet à LFI de parler désormais d’une seule voix. Cela constitue un avantage certain, surtout dans un paysage médiatique désidéologisé et (donc) friand de petites divisions, de manœuvres et de scandales à deux sous, censés être le cœur de la politique, alors que ça n’en est que la dramaturgie. Certes, le prix à payer, pour exister quand même, c’est de faire du scandale, du bruit, de diviser. Mais chaque scandale, non seulement permet de gagner en visibilité et de déterminer l’agenda, mais renforce aussi l’unité, car on est ensemble, contre le reste du monde qui nous diabolise.

Et paradoxalement, faire du scandale sur des sujets vraiment politiques, cela permet aussi, parfois, de parler du fond. Car oui, faire du bruit en parlant de Gaza, des retraites ou des ultrariches, c’est bien plus important, politique et, au final, mobilisateur, que le spectacle des divisions entre pro et anti NFP au prochain congrès du Parti socialiste. Peut-être que cette stratégie médiatique éloigne certaines personnes de LFI ; mais on est en droit de douter que l’outrance verbale, à l’heure du trumpisme triomphant, soit vraiment un problème en termes d’efficacité électorale. Surtout que les cadres de LFI savent tout à fait, aussi, jouer le jeu du débat de fond apaisé (pensons à Guetté, Bompard, Panot et d’autres pendant la campagne législative de 2024).

Enfin, cette stratégie de faire entendre une voix à la fois unitaire et bruyante oblige le champ politique dans son ensemble à s’organiser autour de vous. Aujourd’hui, seuls LFI et le RN parlent d’une seule voix, et les autres partis sont forcés de se situer par rapport à eux – et donc de se diviser sur des questions de stratégie électorale plutôt que de parler du fond. Si c’est un piège qui leur est tendu, on peut dire qu’il fonctionne assez bien.

4° Tout ceci amène à Mélenchon. C’est évidemment la focalisation de l’émission de France 2, et à raison. Puisque LFI est créée par Mélenchon et tient par lui, cette personnalisation d’appareil se traduit en personnalisation médiatique. Mais les journalistes semblent incapables de comprendre que la condition du succès médiatique et électoral (au moins sur la scène nationale) de la machine LFI, c’est son unité, et que la garantie de cette unité, autant que son effet, c’est précisément l’existence d’un chef charismatique.

La garantie, d’abord : pour éviter la division, le meilleur moyen (à court terme) est cette combinaison de peur et de cohérence que créent les épurations successives. Et pour épurer sans trop de vagues, un chef autoritaire, dont les décisions même arbitraires sont respectées, c’est diablement efficace – au moins en apparence, car il ne faut pas sous-estimer les effets de fragilisation à long terme de ces purges, sans même parler de la violence psychologique subie.

Mais surtout, il faut bien comprendre que le chef charismatique n’est pas seulement la garantie de l’unité, c’en est aussi un effet. Pourquoi Mélenchon semble à ce point meilleur que les autres ? Ce n’est pas (que) son intelligence ou le sens politique que lui confère son long parcours. C’est que son charisme est construit par l’unité de ses partisan-es. C’est que ce montre Max Weber : le charisme n’est pas une propriété personnelle, dû à des qualités exceptionnelles, c’est surtout une production de la communauté charismatique qui entoure. Et les membres de la direction de LFI forment une telle communauté charismatique : quand on les invite dans les médias, on leur parle de Mélenchon, et iels le défendent becs et ongles contre les attaques, renforçant son exceptionnalité.

Ce dispositif est particulièrement puissant pour construire le charisme : si vous écoutez les cadres LFI, vous n’entendez que des éloges de Mélenchon. De l’extérieur, il y a certes des critiques, souvent virulentes, mais cela resserre les rangs, et met le discours unitaire du 1er cercle au service du charisme du « vieux ». Ce cercle vertueux unité / charisme crée une dynamique qui peut sembler sectaire quand on n’est pas dans l’appareil, et peut-être effraie-t-elle des gens. Mais l’alternative, dans l’état actuel du champ médiatique, c’est souvent le spectacle de la division, comme au PS, ou l’isolement : Glucksmann, Ruffin, Autain, Castets, Tondelier peuvent bien attirer la sympathie, mais personne de leur camp n’en dit jamais de bien ni n’en loue les capacités exceptionnelles ; immanquablement, à terme, malgré leurs qualités personnelles, on va trouver qu’iels « manquent de charisme ».

5° Tout cela permet à LFI de fonctionner en interne comme un parti révolutionnaire, ultra-hiérarchisé, au service d’une grande cause. C’est tout de même étonnant, étant donné que ce mouvement n’a rien de révolutionnaire dans ses objectifs. C’est du léninisme organisationnel, mais au service d’un projet social-démocrate, avec une doctrine très légère, et changeante selon les volontés de Mélenchon et de sa garde rapprochée. Cette combinaison entre la radicalité de la posture, la verticalité de l’organisation, et le pragmatisme du programme, a été une grande force en 2017 et en 2022. Cela ne veut pas dire que LFI a raison de garder cette structure, ni qu’ils vont gagner en 2027. Mais au moins cette entreprise politique veut dire quelque chose et semble à la hauteur des enjeux électoraux. Alors que les vieux partis, PS en tête, paraissent immanquablement à contretemps.

Donc plutôt que d’accuser LFI d’être une meute et Mélenchon d’être un gourou, il faudrait se demander pourquoi ces formes de militantisme sont fonctionnelles, adaptées tant au présidentialisme de la Ve République qu’aux logiques médiatiques et aux mutations de l’engagement militant. Et si ces dynamiques ne nous plaisent pas, il faut changer le système qui les produit, au lieu de blâmer ceux qui y prospèrent. Car il ne faut pas s’y tromper : face au manque de démocratie interne de LFI, il est profondément inefficace d’opposer le petit spectacle oligarchique de partis désormais pauvres en militant-es, et surtout de militant-es des classes populaires.

Il existe sûrement une voie pour renouveler un militantisme de terrain, horizontal, divers et démocratique ; mais la pression que met la centralité de l’épreuve électorale, et la force qu’y confère l’unité stratégique, fût-elle autoritaire, rend cette voie plus longue très coûteuse, sûrement trop, face à l’urgence des combats pour la paix, contre le changement climatique, contre le fascisme. Peu de personnes sérieusement engagées à gauche n’oseraient prendre le risque de casser un appareil qui fonctionne pour en reconstruire patiemment, par en bas, un nouveau. Ce que révèle, peut-être contre la volonté de ses auteur-es, l’émission Complément d’enquête, c’est que LFI constitue encore le principal pôle structurant à gauche sur la scène politique nationale.

Samuel Hayat, chercheur en science politique

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Addendum: ce billet a été composé à partir d’un fil Bluesky, donc c’est un peu décousu. Il est le fait d’un non spécialiste de LFI. Pour des analyses bien plus approfondies, on peut aller lire les travaux de Manuel Cervera-Marzal, notamment son livre Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, La Découverte, 2021, ainsi que ceux de Rémi Lefebvre. Il y a aussi des thèses, notamment celles de Virginie Tisserant sur les partis-mouvements en France et en Espagne, Arthur Groz sur les carrières militantes à LFI, Podemos et Syriza, Laura Chazel sur le populisme de gauche à Podemos et LFI, et des travaux plus anciens sur la gauche radicale, comme la thèse de Romain Mathieu sur PG, NPA et PCF Je ne les ai pas lues mais on me les a signalées. D’autres thèses sont en cours. C’est l’occasion de saluer le travail abattu par les jeunes chercheurs et jeunes chercheuses, dans des conditions toujours plus difficiles.

« Mélenchon demande la dévotion aveugle. Celui qui doute trahit » : les extraits de « La Meute », une enquête sur La France insoumise

Par Charlotte Belaïch et Olivier Pérou

Publié le 04 mai 2025 à 20h21, modifié le 05 mai 2025 à 02h10 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/04/melenchon-demande-la-devotion-aveugle-celui-qui-doute-trahit-les-extraits-de-la-meute-une-enquete-sur-la-france-insoumise_6602916_3232.html

Temps de Lecture 17 min.

Bonnes feuillesDans un livre à paraître mercredi 7 mai chez Flammarion (352 pages, 22 euros), les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou décrivent la réalité du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Leur enquête, très fouillée, dessine, en creux, le portrait politique du leader populiste.

[Principale figure de la gauche, Jean-Luc Mélenchon a su créer, depuis son départ du Parti socialiste en 2008, un appareil militant qui lui est totalement dévoué, parfois au prix d’excommunications publiques et de purges militantes. Dans leur enquête très dense, fruit d’un travail de deux ans où ils ont interrogé plus de deux cents personnes, deux spécialistes de la Mélenchonie, Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), décrivent le fonctionnement de La France insoumise (LFI) où chaque divergence est perçue comme une trahison, où la contestation n’est pas admise et où la violence verbale est érigée en règle. Extraits.]

« Ne m’adresse plus jamais la parole. » Le message, signé Jean-Luc Mélenchon, vient conclure trente ans d’amitié. Alexis Corbière en parle encore la gorge nouée.

Quelques mois plus tôt, le 8 décembre 2022, le député a appris par la presse que, comme Clémentine Autain, Raquel Garrido et François Ruffin, il ne ferait pas partie de la direction de LFI, qui s’apprête à être remaniée. Manuel Bompard (qui s’apprête à devenir officiellement coordinateur de La France insoumise) lui avait pourtant laissé entendre le contraire. « Ça nous est déjà arrivé de nous énerver, mais là, c’est nouveau. Il n’est pas obligé de me maltraiter, on a tout partagé », se désole-t-il.

Pour Corbière, c’est un effondrement intime. Car, avec sa compagne Raquel Garrido et Jean-Luc Mélenchon, ils forment un trio politique vieux de trente ans.

C’est avec Mélenchon que les deux commencent leur vie politique dans les années 1990, avec lui qu’ils quittent le PS, avec lui, toujours, qu’ils fondent le Parti de gauche, puis LFI. Ils ont été de tous les combats, de toutes les traversées du désert. Combien de soirées le candidat a-t-il passées chez eux, dans « la maison des portes ouvertes », où l’on finit souvent par entonner des chants révolutionnaires ou du Michel Sardou ? « Jean-Luc, c’était mon chef, j’étais un fantassin, un homme de main, appelez ça comme vous voulez. J’étais convaincu que c’était le meilleur, raconte Corbière, ému. Je l’ai connu intimement, je l’ai vu dans tous les états. Il a des côtés magnifiques et des côtés plus sombres. »

« Corbière, c’était mon frère, mais ce sont des branleurs, justifie de son côté Mélenchon. Ils me doivent tout. » (…)

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En privé, Mélenchon accuse Raquel Garrido : c’est elle qui a influencé Corbière ! « Entre Mélenchon et moi, Alexis a toujours choisi Mélenchon », affirme pourtant sa femme. Les relations sont ambivalentes entre l’« insoumis » et cette fille de réfugiés chiliens. Elle est l’une des rares, parfois la seule, à ne pas avoir peur de lui dire ses désaccords. La dissonance entre les prétentions démocratiques du candidat et le fonctionnement autoritaire du chef, qu’elle a longtemps accepté, l’a toujours dérangée. « Alexis n’a pas tué le père mais à un moment, Jean-Luc a dû tomber de son piédestal, explique-t-elle. Il l’a vu et comme il ne tolère que l’admiration totale… » Car Mélenchon ne demande pas seulement la discipline de groupe et la loyauté absolue, mais la dévotion aveugle. Celui qui doute trahit. (…)

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Mélenchon a la passion de l’excommunication. Aux yeux de tous, « insoumis » repentis ou actuels soldats, la rupture avec Charlotte Girard, la veuve de François Delapierre [cofondateur du Parti de gauche, l’un des plus fidèles mélenchonistes], fut la plus brutale. « Une boucherie », racontent les témoins. Après la mort du bras droit de Mélenchon, cette universitaire, dont l’expertise en droit public et l’analyse sont saluées, poursuit le combat à LFI. Personnalité centrale du mouvement, elle est notamment responsable du programme. Pressentie pour mener la liste « insoumise » aux européennes en 2019, elle fait part de sa circonspection quant à l’implication de Sophia Chikirou dans la campagne, cette dernière se trouvant alors au centre de l’enquête sur les comptes de campagne de Mélenchon pour des soupçons de prestations surfacturées. Or, en mélenchonie, on ne touche pas à Sophia Chikirou.

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Girard, également critique de l’improvisation programmatique des européennes, de l’éviction brutale de François Cocq, des hésitations face au mouvement des Gilets jaunes, est peu à peu mise de côté. « Personne n’a voulu la pousser dehors, assure Bompard. J’ai regretté son départ, elle m’avait dit qu’elle partait pour des raisons personnelles. » Pourtant, à l’époque, Charlotte Girard s’émeut auprès de nombreux cadres du fait que les réunions, fixées par Bompard lui-même, soient étonnamment organisées lorsqu’elle n’est pas disponible, elle qui enseigne à l’université et élève seule deux enfants. Elle sera remplacée par une militante associative pourtant inconnue des « insoumis » : Manon Aubry.

Dans un texte publié sur Facebook, Girard annonce finalement son départ après le scrutin : « Certains, dont je suis, ont alerté, à plusieurs reprises, au sujet du fonctionnement – juste le fonctionnement – de La France insoumise. Tant qu’on est d’accord tout va bien. Mais il n’y a pas de moyen de ne pas être d’accord. Or une dynamique politique – surtout révolutionnaire – dépend de la capacité des militants à s’approprier des raisonnements, c’est-à-dire potentiellement à les contester. » Après son départ, et malgré sa parcimonie dans les critiques émises, le récit de la traîtrise se met en place. (…)Et puis, il y a ce message de Mélenchon d’une rare violence, adressé à Girard, que certains chuchotent encore, outrés : « Delap aurait honte de toi. » (…)

« Achète-toi un cerveau »

Après la campagne des européennes de 2019, Bompard [aujourd’hui coordinateur de La France insoumise] a eu peur du bannissement. A Bruxelles, l’eurodéputé semble épanoui. Dans les couloirs du Parlement européen, il ressemble à un étudiant en Erasmus qui passe des soirées qui s’étirent. Mais en réalité, Bompard est angoissé. Deux ans auparavant, en 2017, 17 insoumis sont devenus députés. A l’Assemblée, ils forment un commando soudé qui multiplie les coups d’éclat. Bompard, qui a échoué au second tour des législatives dans la 9e circonscription de la Haute-Garonne, à Toulouse, les observe de loin, frustré de ne pas en être. Surtout, deux ans plus tard, Mélenchon lui fait porter le poids du mauvais résultat des européennes : 6,30 %. Dans les couloirs du Parlement européen, l’ex-porte-parole des Verts Stéphane Pocrain, qui travaille alors avec l’eurodéputé écologiste David Cormand, croise le chef « insoumis » et son second. « Ah ! Lui, c’est le meilleur des “insoumis”, car il sait désobéir », lance Mélenchon à Pocrain, qu’il connaît depuis l’Essonne, avant de se tourner vers Bompard, cassant : « Toi, achète-toi un cerveau. »

« Quand on a eu des responsabilités, on les assume, évacue Bompard. Les européennes ont été un échec politique, tout ne pouvait pas continuer comme avant. »

(…) « Bompard a très mal vécu cette période où il a été puni, raconte Garrido. Il a rongé son frein. Quand il revient, c’est comme Vannier : jamais ils ne voudront être punis une deuxième fois, ils savent ce que c’est. »

Paul Vannier, prototype du militant appliqué, carré, dévoué, cruel si nécessaire, qu’on suspecte d’être passé par le POI [Parti ouvrier indépendant, groupuscule trotskiste allié de LFI], a lui aussi appris la leçon. « Lieutenant, c’est une expression bizarre parce que s’il y a une chose que j’ai apprise avec Jean-Luc Mélenchon, c’est la liberté. Bien sûr qu’on est des gens disciplinés, organisés, groupés, et on considère que ça fait partie de notre force, mais Jean-Luc n’est pas du tout un esprit dogmatique, se défend-il. C’est consenti tout ça, il n’y a pas de contrainte. On fonctionne par adhésion. » A gauche, le député s’est forgé une petite légende : celle du méchant, féroce, austère, comme peuvent l’être les « insoumis ». (…)

Tous deux successivement plus ou moins proches du chef, Vannier et Bompard ont longtemps été en concurrence. C’est aussi ainsi que Mélenchon maintient la pression. Il distribue les bonnes grâces, flatte les uns puis ignore les mêmes et valorise les autres. Sciemment, il souffle le chaud et le froid, faisant parfois semblant d’avoir oublié un prénom pour signifier la distance. Il entretient ainsi un phénomène de cour. Lorsqu’il s’installe à table, tout le monde attend de voir qui est appelé à venir à ses côtés. « Toi, viens t’asseoir là », honore-t-il quand ce n’est pas sa garde rapprochée qui vient chercher l’heureux élu : « Jean-Luc t’attend. »

Responsable des campagnes numériques de LFI, Bastien Parisot est auréolé de mystère. On le dit à la tête d’une armée de « bots », ces comptes pilotés par des intelligences artificielles. On raconte qu’il orchestre des offensives, en faisant par exemple réécrire des pages Wikipédia. Lui non plus n’a pas souhaité nous rencontrer. Il dirige en tout cas une petite équipe numérique, réunie au siège du mouvement pour relayer les interventions des « insoumis » et attaquer les ennemis. Le trentenaire, proche de Sophia Chikirou, a identifié des comptes de militants très actifs, réunis sur une boucle renommée par certains « la liste des 100 trolls », sur laquelle il donne des mots d’ordre et lance des assauts. « Ça sert à aiguiller les flux, à faire monter des sujets », explique une ancienne du siège. Ensuite, ça ruisselle. Tous les « insoumis », militants comme députés, se joignent au combat. On constate aussi l’existence de faux comptes. (…)

« Le sabotage de Clémentine Autain »

Parfois, il n’y a même pas besoin de donner l’ordre d’attaquer. Les militants savent bien ce qu’il faut faire pour satisfaire le chef.

En interne aussi, la violence se diffuse. A commencer par les fameuses boucles « insoumises », ces discussions de groupe sur la messagerie Telegram. C’est là qu’on traque les ennemis de l’intérieur. Entre leur éviction de la direction du mouvement, en décembre 2022, et la rupture définitive, en juin 2024, les « frondeurs » y ont été vilipendés. Chaque occasion était bonne pour pointer du doigt les « traîtres ». En octobre 2023, un article du Monde fait état d’une réunion tendue entre les députés « insoumis ». « Cassez-vous ! » avait fini par hurler Ugo Bernalicis aux renégats. Un peu plus tard, un message interne du député du Nord enfonce le clou : « Alors les relous ? On fait les victimes parce que j’ai dit ce que je pensais de vous en interne ? Vous me filez encore plus la gerbe (…). Je suis sympa, j’ai dit “Cassez-vous” pour vous laisser la possibilité de vivre votre ligne avec un minimum de dignité et de loyauté. Mais s’il faut transformer ce slogan en “Virons-les”, j’y suis prêt. » Selon les périodes, les cibles changent. Après Garrido, Ruffin, après Ruffin, Autain… (…)

En février 2023, Autain s’étonne sur la boucle Telegram des députés : « Nous avons eu la chance d’avoir l’un des députés de notre groupe au JT de TF1. C’est rare et précieux, François [Ruffin] a fait avancer nos idées à échelle de masse. Or je n’ai vu passer aucune communication du groupe, ni du mouvement… qui ne manquent pas de réactivité et de puissance de feu d’habitude. Peut-on savoir pourquoi ? » Quelques heures plus tard, Jean-Luc Mélenchon lui-même lui répond, goguenard. « Vivre au chaud dans une odieuse dictature antidémocratique comporte quelques inconvénients sous forme de persécution. Seules les personnes qui représentent officiellement le mouvement bénéficient de l’appui de l’orga. » Le même mois, c’est la députée Farida Amrani qui relaie une intervention de Clémentine Autain sur Franceinfo. Interrogée sur « la stratégie du conflit » des « insoumis », celle-ci répond à la journaliste : « Je ne reprendrai pas vos termes mais le profil de LFI depuis un an n’a pas permis d’engranger des forces. » Evoquant un « manque de solennité », elle regrette : « Nous n’avons pas été compris sur certains sujets. » « J’ai peur de comprendre que c’est du sabotage pour l’élection européenne », commente Farida Amrani [députée de l’Essonne]« C’est quoi l’objectif ? l’interroge alors Vannier.Planter notre campagne européenne ? Qui profite de ce genre de déclaration ? » Le député Thomas Portes ajoute : « Et après on s’étonne qu’il n’y ait pas de relais du groupe. La blague. Demandez à la com du PS. »

« Le sabotage de Clémentine Autain doit cesser !, s’insurge plus tard Mélenchon. Les coups dans le dos en période de campagne électorale ne sont pas acceptables. Surtout pour dire des choses aussi fausses. Qui entend dire à part les classes moyennes supérieures et les journalistes amis des criminels de guerre que nous reculons ? » A la même période, il prévient le groupe : « Sous l’impulsion d’une membre du groupe, Le Monde a engagé une enquête sur le financement de La Boétie. Merci de refuser de répondre car le but exclusif est de nous nuire comme le font tous les amis des criminels de guerre. »

Au lendemain des européennes, c’est Sophia Chikirou qui attaque à nouveau Clémentine Autain sur le groupe. « Tu n’as pas attendu les résultats pour cracher. Comme d’hab’ (…). Vous faites pitié. » Face aux justifications d’Autain, elle insiste : « Tu te prends pour qui ? Tu as fait quoi toi pour la campagne européenne ? Tu fais quoi depuis deux ans à part nous expliquer qu’on est nuls mais venir te mettre sous l’aile de JLM et de LFI ? Pourquoi tu vas pas négocier ta place avec ton parti ? Comment ça s’appelle déjà ? Emancipation. Vas-y. Tu es prête pour 2027 mais pas pour 2024 ? Quelle blague. » Et alors que court la rumeur d’une candidature de Jean-Luc Mélenchon dans la circonscription de Clémentine Autain aux législatives qui approchent, Chikirou menace : « Tremble. »

Rares sont ceux qui osent appeler au calme. Au contraire, des députés mouchardent. Interrogé sur Franceinfo le 17 mai 2023, Alexis Corbière affirme : « J’ai adoré Jean-Luc. » Une formulation au passé, fait remarquer le journaliste face à lui. Thomas Portes envoie alors l’extrait vidéo à Mélenchon, qui la transfère sans cacher le nom de l’expéditeur dans la discussion des parlementaires LFI, démasquant ainsi le dénonciateur. « Le concours pour le Fayot d’or est ouvert », s’amuse Raquel Garrido. On balance et on espionne. (…)

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A La France insoumise comme au Média, la webtélé qu’elle va fonder et diriger en 2018, devant les nouvelles recrues des campagnes, nouveaux salariés ou simples stagiaires, Sophia Chikirou se présente toujours comme la femme du chef pour mieux imposer son autorité. « C’est la première chose qu’elle fait savoir. On nous demandait d’être discrets sur cette relation mais elle ne l’était pas du tout », retrace l’un de ses collaborateurs. Elle est aussi décrite par ceux qui la côtoient comme une cheffe brutale, qui n’hésite pas à humilier les petites mains du mouvement. (…)

« Elle est d’un cynisme incroyable et ne s’en cache pas », décrit Frédéric Hocquard, qui la connaît bien. Au début de l’année 2023, juste après l’affaire Quatennens dont elle a géré la communication de crise, l’élu parisien prend un café avec elle. « A La France insoumise, je peux leur dire ce que je veux. Comme je suis la femme du chef, ils obéissent », lui raconte-t-elle. Il lui répond, avec un brin d’ironie : « Tu es comme Jiang Qing, l’impératrice rouge. » La référence à la veuve de Mao la fait éclater de rire. « Je vais prendre ça comme surnom ! » Un aplomb sans commune mesure, qui laisse libre cours à son imagination et autres outrances, comme lorsqu’elle griffonne « Chikirou 2027 » dans les toilettes d’un collaborateur, ou laisse entendre à ses anciens salariés en disgrâce qu’ils n’ont pas intérêt à la recroiser. Certains en rient, d’autres s’estomaquent (…). Avec Chikirou, tout le monde est visé, les « barbus », les femmes voilées, toujours dans un sourire goguenard. Combien de fois Jean-Luc Mélenchon a-t-il relativisé ? « C’est les conneries de Sophia, ne l’écoutez pas. » (…)

L’accuser d’antisémitisme, lui ? A chaque fois qu’on l’interpelle sur le sujet, Mélenchon laisse ses yeux s’embuer. « L’acide passe sous l’armure », dit-il à ses lieutenants, grandiloquent. « Comme pour les perquisitions en 2018, il pensait que toute la gauche allait s’offusquer des attaques contre lui et le soutenir, affirme l’un d’eux. Ça n’a pas été le cas, ce qui alimente sa paranoïa. Maintenant, il accepte le stigmate. »

Antisémitisme « résiduel »

Au fil des années, l’ancien socialiste a plusieurs fois déclenché des polémiques, en affirmant par exemple qu’Eric Zemmour « reproduisait beaucoup de scénarios culturels [du judaïsme] », qui sont « on ne change rien à la tradition, on ne bouge pas », ou que Jésus avait été mis sur la croix « par ses propres compatriotes ». Ses anciens proches, même après de violentes ruptures, l’ont longtemps défendu. Mélenchon ? Antisémite ? Jamais ! Beaucoup rappellent que le socialiste a longtemps fait de la politique avec des juifs : Jérôme Guedj, son fils politique, Eric Benzekri, ou plus tard le communicant Arnauld Champremier-Trigano. L’enfant de Tanger, arrivé en France à 11 ans, partage avec eux le sentiment du déracinement et dit comprendre la culture juive séfarade. A certains, il raconte d’ailleurs se vivre comme un « marrane », un juif converti au catholicisme pour échapper à l’Inquisition espagnole. « A l’entrée de sa porte, il y a des grigris et il tape dessus, comme les juifs touchent la mézouza en rentrant chez eux », raconte Arnauld Champremier-Trigano, qui était proche de Mélenchon jusqu’à ce qu’il décide de travailler pour les écologistes. « Il était très sioniste,poursuit-il. Il disait même que les propalestiniens n’avaient pas leur place chez nous. » En 2017, lorsqu’un « insoumis » évoque l’hypothèse de défendre un Etat binational, le chef réplique : « Mais t’es malade ? Je veux rester sur la position historique de la gauche ! » Soit la solution à deux Etats, mise à mal tout au long des européennes de 2024.

Mais les mêmes qui l’excusaient hier doutent aujourd’hui. Face à la multiplication des faux pas, ce que certains prenaient pour de la maladresse commence à ressembler à une logique. Alors que les actes antisémites grimpent en France, Mélenchon qualifie la marche contre l’antisémitisme organisée le 12 novembre 2023 de « soutien inconditionnel au massacre », assimilant ainsi les juifs français à la politique israélienne. Le 29 avril 2024, il conspue Jérôme Guedj, l’accusant d’être ambigu sur le conflit israélo-palestinien, « un signe dans son milieu de fanatisme »« Fanatique », un terme déjà utilisé pour désigner la journaliste Ruth Elkrief, accusée de réduire « toute la vie politique à son mépris pour les musulmans »« L’intéressant est de le voir s’agiter autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions », écrit-il encore sur son blog à propos de Guedj.

Le 13 mai, il explique que « l’accusation d’antisémitisme est devenue vide de sens et purement politicienne depuis qu’elle a été utilisée aussi abusivement par le premier ministre israélien Nétanyahou et ses relais politiques en France ». Le 2 juin, toujours sur son blog, et alors que les actes antisémites continuent d’augmenter, il affirme que l’antisémitisme est « résiduel ». Le 19, alors qu’une enfant de 12 ans a été victime d’un viol antisémite par trois adolescents, qui l’ont traitée de « sale juive » et fait chanter ensuite, il interroge, sur un plateau télévisé : « Ces jeunes gens ont-ils conscience qu’ils commettent un crime ? Clairement, ce n’est pas le cas. J’imagine qu’à 12 ou 13 ans on n’a pas envie d’être criminel. »Dénonçant « une abomination d’un bout à l’autre », il insiste sur « l’éducation de nos garçons » et la « culture du viol », faisant abstraction de son caractère antisémite. Le 22 septembre 2024, dans une nouvelle note, il évoque le « génocide »en cours à Gaza et affirme que la « destruction humaine et physique » est « pire que celle de la deuxième guerre mondiale ». Le 25 février 2025, il somme la « diaspora » de protester contre le refoulement de Rima Hassan en Israël, rendant les juifs français comptables de la politique israélienne. Au fil des mois, jamais il ne condamnera les propos tenus dans ses rangs. (…)

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En fouillant dans leur mémoire, certains des amis de Jean-Luc Mélenchon se souviennent de quelques réflexions qui, à l’époque déjà, les avaient interpellés. Un ancien de l’Essonne raconte sa gêne après avoir entendu, selon son récit, Mélenchon lancer à une militante au nom à consonance hébraïque, au détour d’une phrase : « Toi et les tiens. » Deux personnes, un temps très proches de lui, affirment aussi l’avoir entendu plusieurs fois parler du « lobby dont on ne doit pas dire le nom ». La coautrice de cet ouvrage, au nom hébraïque, coupable d’avoir écrit un article sur le fossé grandissant entre les juifs et Mélenchon en juillet 2023 ? « Un agent du Likoud ! » affirme-t-il. « Que vous êtes naïf ! » dit-il à ceux qui lèvent un sourcil circonspect. Au détour d’une conversation sur Raquel Garrido, que certains surnomment Merkava en interne, le nom des chars israéliens, car identifiée comme sioniste, il peut aussi glisser, tout sourire : « Raquel, elle est super, le seul problème, c’est qu’elle est extrêmement naïve sur l’influence de la communauté juive en France. » (…)

Quand il s’installe dans un bistrot, il ne s’assied jamais dos à la rue. Jean-Luc Mélenchon a toujours en tête le destin funeste de Jean Jaurès, assassiné dans un café, en 1914. Le fondateur de LFI est un homme angoissé. Inquiet du temps qui passe, avec la solitude comme camarade.

Bernard Pignerol, son dernier ami, peut-être le seul, est parti au mois de mai 2023, emporté par un cancer. Un roc dans son entourage, évoquant « [son] Mélenchon » avec admiration et tendresse, l’excusant pour toutes ses contradictions. Un bouclier, capable d’aller au-devant des policiers lors de la perquisition du siège de La France insoumise en 2018, ou de provoquer les juges à la sortie d’une audition. (…)

« Etre le dernier debout »

Avec Pignerol, ils passaient des heures dans les musées, au téléphone tard le soir, parfois la nuit, à discuter politique, il va sans dire. Le conseiller d’Etat était l’homme des messes basses et basses manœuvres dont les autres, tout bons lieutenants qu’ils étaient, n’avaient pas à savoir.

C’est à lui que Mélenchon donna les clés de l’Institut La Boétie, l’école de formation « insoumise », haut lieu de la doctrine du chef. Il s’y appliquait autant que la maladie le lui permettait. « C’est un outil pour quand tu te seras arrêté. Parce qu’un jour, tu vas t’arrêter », lança Pignerol à Mélenchon. En 2022, à l’aube de sa troisième présidentielle, Pignerol pensait que celle-ci serait la dernière. « Dans cinq ans, ce ne serait pas raisonnable qu’il soit candidat. Je lui conseillerais de ne pas y aller, confiait-il. Tout le monde pense qu’il veut mourir dans son fauteuil, tel Molière, mais il a tellement donné à la politique… Il a une petite-fille, qu’il n’a pas forcément vue grandir, comme sa fille d’ailleurs. »

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En ce printemps présidentiel, à moins d’un mois du vote, Pignerol, bien conscient de l’avancée de sa maladie, s’inquiétait de l’avenir de son Mélenchon sans lui. Qui se promènera avec lui au musée ? A qui parlera-t-il de peintures, de jardins et de bambous ? Depuis leurs années au ministère, les deux hommes terminent toujours leurs engueulades politiques par une invitation au restaurant. Qui tiendra le rôle de l’indéfectible camarade dorénavant ? « Quand je vais mourir, j’espère qu’il y aura une photo de Jean-Luc et moi au QG. Quand les lumières vont s’éteindre, peut-être qu’il va se retrouver tout seul. » Après la disparition de François Delapierre en 2015, Bernard Pignerol était considéré par tous comme le seul capable de raisonner le leader « insoumis ». Celui-ci marche désormais sans compère, avec Sophia Chikirou pour seule compagnie. (…)

Les choses de la vie, les petites et les grandes, ne l’intéressent guère. La vie de famille, très peu pour Mélenchon. Il a bien une sœur, que personne n’a jamais croisée. Il n’a pas été un père très présent. A l’époque du ministère de l’enseignement professionnel, il ne comprend pas qu’Alexis Corbière, alors conseiller technique, s’éclipse en fin de journée pour aller récupérer sa fille à la crèche. Corbière finira par quitter le cabinet avant la fin, sans rancune. (…)

Son départ du PS en 2008 pour voguer vers 2012, la création de LFI pour la présidentielle de 2017 au succès imprévu, celle de 2022 qui fera naître la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale], tout cela n’a été qu’affaire de circonstances. « Le seul sujet, c’est d’être le dernier debout dans les batailles », a-t-il théorisé. L’histoire politique récente lui a plutôt donné raison. Ecologistes, socialistes et communistes… ils se sont tous effondrés, sauf lui. Et qu’est-ce que la fin du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron sinon l’offre de nouvelles perspectives ? Une histoire que l’Histoire ne saurait bouder, comme il l’imagine déjà. « Je suis un angoissé donc je me suis donné des raisons de vivre, c’est pour ça que mon engagement est total », dispensait-il à Sciences Po pendant les élections européennes de 2024. 2027, nouvelle raison de vivre… Sa prophétie se réaliserait ainsi : de la tripartition politique du pays, il ne reste désormais plus que Marine Le Pen et LFI, l’extrême droite face à la « vraie » gauche – comprenez : lui-même. (…)

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Mais le temps presse pour Jean-Luc Mélenchon. 2027, c’est loin. Il aura 76 ans. (…) Plus tôt la présidentielle se joue, plus facilement pourrait-il être candidat sans que personne d’autre à gauche, au PS notamment, perturbe sa marche à coups de primaire et autres processus de candidature commune. Seul en scène, enfin.

Un pied de nez à la mort. Qui l’effraie, le hante, même. « Tu verras ce que c’est d’avoir un horizon à dix ans », disait-il en soupirant au député LFI Hadrien Clouet en marge de la dernière campagne européenne. Mélenchon se méfie de son âge et de la maladie qui le terrorise, lui l’incorrigible hypocondriaque, autant que ceux qui lui veulent du mal. (…)« La Meute », de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, Flammarion (352 pages, 22 euros).

Charlotte Belaïch

Olivier Pérou

« Complément d’enquête ». Jean-Luc Mélenchon : la lutte finale ?

Publié le 22/04/2025 17:15Mis à jour le 25/04/2025 11:28 https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/complement-d-enquete/complement-d-enquete-jean-luc-melenchon-la-lutte-finale_7170285.html

Temps de lecture : 2min – vidéo : 70min

70min

Article rédigé par France 2

France Télévisions

Complément d’enquête

https://www.france.tv/france-2/complement-d-enquete/7088828-jean-luc-melenchon-la-lutte-finale.html

France 2

Il rêve de destituer Emmanuel Macron… et se verrait bien prendre sa place à l’Elysée ! Mais depuis plusieurs mois, c’est surtout pour ses clashs et ses polémiques à répétition que Jean-Luc Mélenchon fait parler de lui. La dernière en date, une affiche La France insoumise caricaturant Cyril Hanouna avec les codes antisémites des années 1930.

A quoi joue réellement le patron de LFI ? Depuis deux ans, celui qui a été trois fois candidat à la présidentielle a enflammé le débat public. Accusé par les uns d’avoir tenté d’instrumentaliser le conflit israélo-palestinien en France à des fins électorales, suspecté par les autres d’avoir fait voler en éclats la fragile union de la gauche…

Désormais cible de tous les anathèmes et même menacé de mort, rarement personnalité politique aura à ce point clivé notre pays.

Tension permanente

Pour comprendre la stratégie de ce professionnel de la castagne, adepte de la tension permanente, « Complément d’enquête » est allé à la rencontre de ceux qui le connaissent le mieux. Lieutenants les plus fidèles, partenaires du Nouveau Front populaire, vieux compagnons de route, ils ont accepté de se livrer sans fard sur la mécanique Mélenchon.

Un parti en ordre de marche

Fichage de militants, absence de démocratie interne et purges à l’intérieur de LFI, les journalistes de l’équipe ont aussi enquêté sur les coulisses d’un mouvement que Jean-Luc Mélenchon a décidé de mettre en ordre de marche. Avec la présidentielle de 2027 déjà en ligne de mire, il doit pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de ses troupes… Et gare à ceux qui ne sont pas dans la ligne.

« Complément d’enquête » sur les méthodes du leader insoumis, et sur sa lutte finale pour tenter d’accéder enfin aux plus hautes fonctions.

Une enquête de Julien Daguerre, Matthieu Rénier et Pierre-Louis Devais.

Dans les fauteuils rouges : Mathilde Panot, députée LFI du Val-de-Marne et présidente du groupe parlementaire La France insoumise à l’Assemblée nationale.

La rédaction de « Complément d’enquête » vous invite à commenter l’émission sur Facebook (Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)ou sur X(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre) avec le hashtag #ComplementDenquete.

> Les replays des magazines d’info de France Télévisions sont disponibles sur le site de Franceinfo, rubrique « Magazines(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre)« .

Interview de Manuel Bompard:

https://youtu.be/USlhp8IlNhA

Fabien Roussel compare LFI à une « secte » après la publication de « La Meute » sur le parti de Jean-Luc Mélenchon

« Il y a besoin de beaucoup de démocratie dans le mouvement de La France insoumise, mais aussi en France », selon le secrétaire national du Parti communiste, qui estime que Jean-Luc Mélenchon « n’est pas un bon candidat, un bon choix pour la France ». 

Le Monde avec AFPPublié le 06 mai 2025 à 11h48, modifié le 06 mai 2025 à 19h15 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/05/06/fabien-roussel-compare-la-france-insoumise-a-une-secte-apres-la-publication-de-la-meute-sur-le-parti-de-jean-luc-melenchon_6603392_823448.html

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Fabien Roussel, à Paris, le 20 février 2025.
Fabien Roussel, à Paris, le 20 février 2025.  LUDOVIC MARIN / AFP

Le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, a dénoncé mardi 6 mai le manque de « démocratie à l’intérieur » de La France insoumise (LFI), en comparant ce parti politique à « une secte sous l’emprise d’un couple », à la suite des révélations sur les pratiques internes à LFI d’un livre-enquête à paraître mercredi.

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« J’ai cru comprendre que les comportements de la direction de La France insoumise se rapprochaient des comportements d’une secte sous l’emprise d’un couple, celui de Jean-Luc Mélenchon et de sa compagne, Sophia Chikirou », elle-même députée de Paris, a commenté le responsable communiste sur BFM-TV/RMC.

Les journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde) publient mercredi une enquête sur le mouvement créé par l’ancien socialiste en 2016, intitulé La Meute (Flammarion), dont Le Monde a publié de longs extraits.

« C’est pas joli à voir », a estimé Fabien Roussel, pour qui est soulevé là « un vrai sujet » pour la gauche, d’autant plus dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027. « Il y a besoin de beaucoup de démocratie dans le mouvement de La France insoumise, mais aussi en France », a complété le secrétaire national du PCF, qui affirme que Jean-Luc Mélenchon « n’est pas un bon candidat, un bon choix pour la France ».

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« Confiance à la démocratie »

Fabien Roussel, dont le parti s’est allié à LFI pour les élections législatives de 2022 (dans le cadre de la Nouvelle Union populaire, écologiste et sociale) et de 2024 (au sein du Nouveau Front populaire), n’a jamais caché ses réserves quant à la personnalité de Jean-Luc Mélenchon. Il a rappelé avoir décidé de se présenter face à lui au premier tour de la dernière élection présidentielle pour cette raison.

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Cependant, il a assuré faire « confiance à la démocratie, aux électeurs, aux électrices, aux Français, à ceux qui votent justement pour avoir la lucidité de faire en sorte que, au second tour de l’élection présidentielle, il y ait un candidat d’une gauche sincère, démocratique, républicaine, laïque, qui portera enfin les espoirs d’un vrai changement ».

Les nouvelles révélations de ce livre-enquête s’ajoutent aux témoignages déjà recueillis, notamment après l’exclusion, lors des dernières élections législatives, de plusieurs anciens proches de Jean-Luc Mélenchon, accusés de s’opposer à certains positionnements du parti.

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Dans la cour de Matignon, où il s’est rendu dans le cadre de la concertation sur la proportionnelle voulue par le premier ministre, le coordinateur national de LFI, Manuel Bompard, a commenté La Meute auprès de journalistes. « C’est un collage de ragots, de fausses informations, que je prends avec un peu de légèreté (…). J’ai détecté à peu près à toutes les pages des informations qui sont des informations inexactes », a-t-il déclaré.

« De ce que j’ai lu me concernant c’est exact. Indiscutablement il y a un problème de fonctionnement dans ce mouvement », a assuré sur Franceinfo le député du groupe écologiste Alexis Corbière. « On ne fait pas la VIe République et une société plus démocratique quand on fonctionne en interne comme un mouvement qui ne tolère pas le désaccord », a ajouté cet ancien proche parmi les proches de Jean-Luc Mélenchon, évincé lors de la dernière purge.

« Je ne pense pas que ce livre change l’opinion des Français sur Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des travers qui sont connus », a estimé pour sa part la patronne des Ecologistes, Marine Tondelier.

Le Monde avec AFP

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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