Déserts médicaux : « Il est temps de réguler l’installation des médecins et de bâtir un vrai service public territorial de santé »
Tribune
Des millions de personnes n’ont plus de médecin traitant, et le modèle actuel, basé sur le libre choix d’installation des médecins, a montré ses limites, estime, dans une tribune au « Monde », un collectif de soignants, qui propose d’organiser l’installation des professionnels de santé là où ils sont nécessaires, pour garantir un droit fondamental : celui de se soigner.
Publié aujourd’hui à 12h00, modifié à 12h57 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/09/deserts-medicaux-il-est-temps-de-reguler-l-installation-des-medecins-et-de-batir-un-vrai-service-public-territorial-de-sante_6604396_3232.html
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Nous sommes soignants, engagés dans nos territoires. Et nous le disons clairement : il faut réguler l’installation des médecins. Mais cette régulation ne peut fonctionner que si elle s’accompagne d’une stratégie cohérente qui organise et garantisse un accès aux soins et à la prévention, partout en France.
Aujourd’hui, des millions de personnes n’ont plus de médecin traitant. Et là où il y a encore des médecins en nombre, beaucoup, notamment spécialistes, exercent en secteur 2 avec des dépassements d’honoraires rendant les soins inaccessibles financièrement pour de nombreux patients. Ce n’est plus acceptable pour les patients ni soutenable pour les professionnels de santé. Il est illusoire de penser que l’on résoudra la crise de l’accès aux soins en se contentant de former davantage de médecins.
Sans régulation, ceux-ci s’installeront majoritairement là où les conditions d’exercice leur semblent les plus favorables, creusant encore davantage les inégalités territoriales. Depuis vingt ans, l’augmentation du numerus clausus n’a pas permis de résorber les déserts médicaux, pas plus que le numerus apertus ne pourra le faire. Former plus sans organiser mieux, c’est préparer un échec. Soyons lucides : le système actuel ne répond plus aux besoins, ni à ceux des patients ni à ceux des soignants.
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La réponse en ville aux besoins de santé ne peut plus reposer uniquement sur les seuls principes de la médecine libérale. Le modèle actuel, basé sur le libre choix d’installation des médecins et la rémunération à l’acte, a montré ses limites, une totale inefficacité à endiguer les déserts médicaux. Il ne permet ni de garantir une répartition équitable des professionnels, ni d’assurer l’accès aux soins sans dépassements d’honoraires dans tous les territoires, ni d’assurer une prise en charge coordonnée, pertinente et continue des patients. Nous avons besoin d’un cadre collectif, structuré, capable de répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain.
Instaurer des règles claires
Il est temps de créer un vrai service public territorial de santé de proximité. Concrètement : créer des centres de santé de service public, en priorité dans les déserts médicaux, avec des professionnels salariés, travaillant en équipe. Ces centres sont pour rappel de gestion non lucrative, pratiquent la dispense d’avance de frais (le tiers payant) et garantissent une prise en soins sans dépassement d’honoraires. En quelques mots : une offre de soins accessibles à tous, humaine et de qualité, partout sur le territoire.
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Réguler n’est pas punir. Réguler, c’est organiser l’installation des professionnels là où ils sont nécessaires, pour garantir un droit fondamental : celui de se soigner. Nous ne pouvons plus compter sur le seul volontariat des médecins. Parce que nous sommes d’abord responsables, nous appelons à l’instauration de règles claires et à la création de ce service public de santé pour répondre sans délai à l’urgence sanitaire et sociale.
Sans remettre en cause le droit des professionnels de santé à un exercice libéral, il faut dans chaque territoire un centre de santé public en lien avec un hôpital de service public et des services publics de santé préventive tels que la santé scolaire ou la PMI… Soigner, éduquer, garantir l’accès aux services de santé de qualité : ce sont là les missions de la République. La santé ne peut plus dépendre des choix individuels d’installation ou d’exercice de professionnels de santé. Elle doit faire l’objet d’une organisation fondée sur l’intérêt général, au service de tous, lisible et garantie sur tout le territoire.
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Alors, oui, il est temps de réguler. Et pour que cela fonctionne, il faut aussi construire un système de santé qui donne sens et envie aux soignants de s’engager là où on a besoin d’eux. Un système qui remette l’humain, la solidarité et l’égalité au cœur de la santé. Nous, soignants et partenaires des centres de santé, y sommes prêts. A l’Etat de prendre ses responsabilités
Premiers signataires : Julie Chastang, médecin généraliste, centre municipal de Fontenay-sous-Bois, maîtresse de conférences des universités ; Hélène Colombani, médecin généraliste, directrice de la santé, Nanterre ; Sophie Crozier, neurologue, CHU Pitié-Salpétrière, Paris ; André Grimaldi, professeur émérite, diabétologue, CHU Pitié-Salpétrière ; Julien Le Breton, médecin généraliste, directeur de la santé, La Courneuve, professeur des universités ; Eric May, médecin généraliste, directeur de la santé, Malakoff ; Manon Pathier, étudiante en médecine ; Antoine Pelissolo, psychiatre, chef de service, CHU Henri-Mondor, Créteil ; Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, CHU Avicenne, Bobigny ; Martin Zambeaux, étudiant en médecine. Retrouvez la liste complète des signataires ici.
Commentaire Dr Jean SCHEFFER
Je partage l’essentiel de cette tribune, mais à mon tour de dire ce qui est insuffisant. Il ne suffit pas de dire qu’il est nécessaire de réguler les installations et de créer un service public territorial de santé de proximité.
En effet cela ne va pas résoudre tous les autres déserts médicaux qui sont en dehors du champ de la médecine ambulatoire: dans les Hôpitaux avec 30 % des postes vacants (40% dans les hôpitaux généraux), 50% dans les hôpitaux psychiatriques, les CMPP, les PMI, les crèches, la médecins scolaire, universitaire, la médecine du travail, la santé publique, la médecine pénitentiaire…y compris les centres de santé public, les maisons de santé pluri-professionnelles…
Le manque des médecins est partout, dans toutes les disciplines, dans toutes les formes d’activité, salariées et libérales. Il s’agit donc à mon sens de voir l’ensemble des problèmes et de les solutionner en même temps, ce qui est possible.
La solution c’est un Clinicat-Assistanat pour tous, en fin d’internat, obligatoire pour tous les futurs généralistes et les futurs spécialistes, d’une durée de 3 ans. L’activité serait partagée entre divers établissements à l’image des assistants partagés actuels entre CHG et CHU: entre CHU et CHG pour les futurs spécialistes; entre CHG-CHU et PMI, CMP, santé publique, santé scolaire, médecine pénitentiaire, médecine du travail… ; entre CHG et centres de santé et maisons de santé… Il s’agit donc par un seul et même dispositif de solutionner en quelques années l’ensemble des manques criants et urgents de médecins dans tous les domaines, dans toutes spécialités, sans pénaliser une catégorie, les futurs généralistes par exemple, ou les étudiants en médecine peu fortunés, obligés de s’installer dans un désert pour se payer ses études. Cela évitera de plus le dumping entre villes, entre départements pour recruter ou débaucher, les jeunes en fin d’internat, ou ceux déjà installés et répondant à une offre plus alléchante. Il faudra définir par région, département et territoire, les manques les plus urgents en généralistes et spécialistes, et en tirer les conséquences sur la répartition par spécialité pour la première année d’internat.
Voir aussi:
https://environnementsantepolitique.fr/2025/05/07/61912/
«L’attente de nos concitoyens est forte : ne les décevons pas» (1500 élus locaux)
Il y a des médecins qui sont pour une régulation des installations.
Le Syndicat de la Médecine Generale (SMG) ne s’inscrit pas dans la logique libérale et n’est pas contre le principe des limitations à l’installation.
Des menaces et d’anciennes mesures recyclées et qui ont déjà échoué, c’est soit disant un plan contre les déserts médicaux.
Quel contraste: le parcours du combattant à la recherche d’un toubib et l’inconsistance des propositions des médecins libéraux et du ministre.
Déserts médicaux : 93% des Français réclament une régulation de l’installation des médecins (UFC-Que choisir)
Les députés du groupe trans partisan démontent les « fake news » des médecins libéraux qui inondent les médias.