La colère du corps médical est déplacée, voire choquante

Déserts médicaux : « Face aux propositions pour réguler davantage le choix d’installation des praticiens, la colère du corps médical est déplacée, voire choquante »

Tribune

Les études de médecine étant fortement subventionnées en France, il apparaît logique de demander aux jeunes médecins une « redevance d’exercice » au début de leur carrière, estiment Didier et Jean-François Payen, anesthésistes et professeurs émérites de médecine, dans une tribune au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 05h00  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/07/deserts-medicaux-face-aux-propositions-pour-reguler-davantage-le-choix-d-installation-des-praticiens-la-colere-du-corps-medical-est-deplacee-voire-choquante_6603697_3232.html

Temps de Lecture 4 min.

A l’heure où la question des déserts médicaux redevient un sujet d’actualité, des solutions visant à inciter, voire à contraindre, les jeunes médecins à couvrir davantage le territoire national soulèvent immédiatement des propos indignés de la part des intéressés. Le lobby médical entre en action et trouve des relais efficaces auprès de responsables politiques qui n’ont aucun problème à les soutenir tout en se lamentant des lacunes de la couverture de soins sur leurs territoires. Il est temps d’être factuel à propos de la formation dispensée aux futurs médecins et du métier de médecin.

Le concours d’entrée en deuxième année de médecine a un taux de sélectivité de 12 % à 33 % selon les facultés de médecine. D’autres concours d’entrée sont autant, voire plus, sélectifs : Ecole nationale de la magistrature, Ecole nationale supérieure de la police, Ecole nationale de l’aviation civile, écoles d’ingénieurs, écoles de commerce, écoles nationales vétérinaires, BTS…

Jusqu’à l’internat, les études médicales (six ans) sont quasiment gratuites, l’étudiant devant s’acquitter de frais de scolarité qui ne dépassent pas 500 euros par an. Aux Etats-Unis, une année d’inscription en médecine coûte de 35 000 à 80 000 dollars (de 30 000 à 70 000 euros) ; au Canada, au Royaume-Uni ou en Australie, cela représente 10 000 à 25 000 dollars par an pour un étudiant natif du pays, le double pour un étudiant étranger.

Lire aussi |  Déserts médicaux : plus de 1 500 élus locaux appellent les députés à voter pour la régulation de l’installation des médecinsLire plus tard

Le concours d’internat a été remplacé en 2004 par les épreuves classantes nationales (ECN), offrant à tous les étudiants en médecine un poste d’interne pour préparer une spécialité médicale, y compris la médecine générale. L’inscription à une prépa privée n’est pas nécessaire pour réussir ces ECN.

Des avantages sans équivalent

Une fois reçu à ces épreuves, l’interne en médecine reçoit une formation hospitalo-universitaire pour devenir spécialiste au bout de quatre ou cinq ans, années pendant lesquelles il perçoit une indemnité supérieure au smic au titre de son travail dans un établissement hospitalier. Les frais de scolarité pour cette formation de troisième cycle, hautement spécialisée, sont inférieurs à 1 000 euros par an.

A Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor), le 11 avril 2025.
A Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor), le 11 avril 2025.  DAMIEN MEYER / AFP

A l’issue de sa formation, le jeune médecin est assuré d’avoir du travail, et un travail bien rémunéré. Selon les données de l’Assurance-maladie, un médecin généraliste en France a un salaire net mensuel avant impôts d’environ 4 500 à 5 000 euros. Bien évidemment, ce salaire est plus élevé pour les autres spécialistes, quel que soit leur mode d’exercice, public ou privé. Jusqu’à présent, la liberté d’installation sur le territoire français est la règle, en dépit de l’apparition de déserts médicaux depuis plus de dix ans. On a beau chercher, il n’y a pas d’équivalent en termes de parcours professionnel offrant de tels avantages. C’est le discours que nous avons toujours tenu devant les étudiants et les internes, qui d’ailleurs en reconnaissaient le bien-fondé.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Régulation à l’installation des médecins : suspense autour d’un texte de loi inflammable contre les déserts médicauxLire plus tard

La formation d’un futur médecin en France (dix à douze ans au total) coûte entre 15 000 et 20 000 euros par année, ce qui signifie que cette formation est largement subventionnée par l’Etat, donc par les impôts des contribuables. Parmi ceux-ci, des malades qui ne trouvent pas de médecins à moins de 50 kilomètres ou à moins de six mois de délai pour une consultation. Il a été établi que 8 millions de Français vivent dans un désert médical. Comment ces contribuables peuvent-ils accepter la posture actuelle du corps médical et ne pas se sentir abandonnés par les instances publiques ? Après des années de pénurie liées à l’application d’un numerus clausus délétère, la France a désormais un nombre suffisant de médecins (densité de 340 médecins pour 100 000 habitants), mais ils ne sont pas bien répartis, avec des écarts de densité de 1 à 3 sur le territoire national.

Maillage territorial

Dans ce contexte, entendre les représentants du corps médical s’offusquer des timides propositions gouvernementales pour davantage réguler le choix du site d’installation est déplacé, voire choquant. Un maillage territorial (zonage) existe dans d’autres métiers de la santé sans que cela n’ait suscité une vague d’indignation : pharmaciens, kinésithérapeutes, infirmiers et, plus récemment, dentistes. Ne serait-il pas logique de demander aux intéressés une redevance d’exercice au début de leur carrière au titre de l’aide financière reçue pendant leur formation médicale ?

Ce dispositif existe dans d’autres parcours professionnels qui bénéficient de ce type de subvention d’Etat (militaires, policiers, hauts fonctionnaires…), et dans d’autres pays pour l’installation des jeunes médecins, par exemple au Canada avec obligation d’exercer deux ans dans les cantons du Nord. Il ne s’agit pas de rembourser l’aide perçue pendant les études, mais de demander un engagement (modeste) au regard de la qualité de la formation reçue. En outre, un meilleur maillage territorial des médecins pourrait désengorger les services d’urgences, réduire les retards de prise en charge, renforcer les actions de prévention en étant au contact de la population, et contribuer à revitaliser certaines régions.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Pour réduire les déserts médicaux, le gouvernement mise sur une « mission de solidarité obligatoire » pour les médecinsLire plus tard

A vouloir pérenniser une situation qui place le corps médical en dehors de la réalité, le risque est grand de voir se creuser le fossé entre des professionnels perçus comme des nantis et le reste de la population. Les études médicales sont certes longues et difficiles et le métier de médecin exigeant, mais il est temps que les médecins reconnaissent les avantages dont ils ont bénéficié depuis longtemps.

Etre médecin, c’est faire tout notre possible pour soigner des êtres humains, les soulager et mettre à leur profit notre expérience, que nul ne conteste. Ce métier reste formidable, passionnant, épanouissant. Notre rôle social est immense. Ne gâchons pas cette occasion de nous montrer à la hauteur des attentes légitimes de nos patients.

Didier Payen est ancien chef du service anesthésie-réanimation du CHU Paris Lariboisière et professeur émérite en médecine à l’université Paris Cité Sorbonne ; Jean-Francois Payen est ancien chef du service anesthésie-réanimation du CHU Grenoble Alpes et professeur émérite en médecine à l’université Grenoble Alpes.

Commentaire Dr Jean Scheffer:

Ce plaidoyer pour faire accepter la nécessité d’un maillage territorial de la profession de médecin est bien construit et convainquant sauf pour ceux qui ont des œillères.

Il y manque l’argument de l’exemple positif des pays qui pratiquent cette régulation, en particulier l’Allemagne citée à tord comme contre exemple par certains syndicats de médecins libéraux.

Par ailleurs il n’est centré que sur les soins ambulatoires.

Comme je l’ai répété à de très nombreuses reprises, les déserts médicaux ne sont pas exclusivement dans les zones rurales et dans les quartiers. Il sont aussi dans les Hôpitaux avec 30 % des postes vacants (40% dans les hôpitaux généraux), 50% dans les hôpitaux psychiatriques, les CMPP, les PMI, les crèches, la médecins scolaire, universitaire, la médecine du travail, la santé publique, la médecine pénitentiaire…y compris les centres de santé public, les maisons de santé pluri-professionnelles…

Le manque des médecins est partout, dans toutes les disciplines, dans toutes les formes d’activité, salariées et libérales. Il s’agit donc à mon sens de voir l’ensemble des problèmes et de les solutionner en même temps, ce qui est possible.

La solution c’est un Clinicat-Assistanat pour tous, en fin d’internat, obligatoire pour tous les futurs généralistes et les futurs spécialistes, d’une durée de 3 ans.  L’activité serait partagée entre divers établissements à l’image des assistants partagés actuels entre CHG et CHU: entre CHU et CHG pour les futurs spécialistes; entre CHG-CHU et PMI, CMP, santé publique, santé scolaire, médecine pénitentiaire, médecine du travail… ; entre CHG et centres de santé et maisons de santé… Il  s’agit donc par un seul et même dispositif de solutionner en quelques années l’ensemble des manques criants et urgents de médecins dans tous les domaines, dans toutes spécialités, sans pénaliser une catégorie, les futurs  généralistes par exemple, ou les étudiants en médecine peu fortunés, obligés de s’installer dans un désert pour se payer ses études. Cela évitera de plus le dumping entre villes, entre départements pour recruter ou débaucher, les jeunes en fin d’internat, ou ceux déjà installés et répondant à une offre plus alléchante. Il faudra définir par région, département et territoire, les manques les plus urgents en généralistes et spécialistes, et en tirer les conséquences sur la répartition par spécialité pour la première année d’internat.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire