De nouveaux traitements anti-cancéreux vendus à prix d’or par les groupes pharmaceutiques qui font de cette maladie leur principal axe de développement. 

Comment les traitements anticancéreux font la fortune des laboratoires pharmaceutiques

Les avancées médicales en oncologie se traduisent par de nouveaux traitements vendus à prix d’or par les groupes pharmaceutiques qui font de cette maladie leur principal axe de développement. 

Par Zeliha Chaffin

Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 19h10 https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/04/26/comment-les-traitements-anticancereux-font-la-fortune-des-laboratoires-pharmaceutiques_6600182_3234.html

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Dans un laboratoire de Miltenyi Biotec, qui développe des thérapies contre le cancer, à Teterow (Allemagne), le 24 octobre 2023.
Dans un laboratoire de Miltenyi Biotec, qui développe des thérapies contre le cancer, à Teterow (Allemagne), le 24 octobre 2023.  JENS BÜTTNER/PICTURE ALLIANCE VIA GETTY IMAGES

Au panthéon des stars de l’industrie pharmaceutique, le Keytruda a, sans nul doute, gagné ses lettres de noblesse. L’anticancéreux, vedette du laboratoire américain Merck Sharp and Dohme, qui célébrait, en septembre 2024, son dixième anniversaire de commercialisation, accumule les succès financiers. Depuis sa mise sur le marché en 2014, il a rapporté plus de 130 milliards de dollars (114 milliards d’euros) à son fabricant. Médicament le plus vendu au monde, adoubé par l’ex-président des Etats-Unis, Jimmy Carter, auquel il avait permis, en 2015, une rémission quasi inespérée d’un mélanome de stade avancé, il est devenu, il y a trois ans, le premier traitement dans l’histoire de la pharmacopée (hors vaccins contre le Covid-19) à avoir atteint un chiffre d’affaires annuel dépassant 20 milliards de dollars. Un montant record qu’il n’a de cesse depuis de pulvériser. En 2024, ses ventes ont frôlé les 30 milliards de dollars.

Si le Keytruda peut s’enorgueillir d’une telle réussite, c’est qu’il a marqué une révolution dans l’arsenal thérapeutique des médecins en popularisant le recours aux immunothérapies, ces traitements qui s’attellent à déverrouiller l’activité des cellules tueuses du système immunitaire, bloquées par le cancer, afin qu’elles attaquent la tumeur. Un changement de paradigme comparé aux chimiothérapies, dont l’objectif est de bombarder massivement les cellules cancéreuses de produits toxiques pour les détruire, avec le risque d’abattre également des cellules saines dans la bataille.

Dès la fin du XIXe siècle, un chirurgien américain, William Coley, reconnu aujourd’hui comme le père de l’immunothérapie, s’était lancé sur les traces du système immunitaire après avoir constaté, par le plus grand des hasards, que « certains patients présentant des infections postopératoires subissaient une régression spontanée de leurs tumeurs », raconte le médecin chercheur en oncologie Jean-Emmanuel Bibault dans le livre Cancer Confidential. L’histoire du cancer, des secrets d’hier aux révolutions de demain. Il aura toutefois fallu attendre les travaux de recherche, à partir des années 1990, des immunologistes James Allison et Tasuku Honjo, récompensés en 2018 par un prix Nobel, pour que la piste de l’immunothérapie se concrétise.

Les premières thérapies ciblées

Amorcée en 2011 avec le lancement du Yervoy, commercialisé par l’américain Bristol Myers Squibb, puis les arrivées successives du Keytruda, de l’Opdivo ou encore du Tecentriq, l’utilisation des immunothérapies a chamboulé la donne en offrant à des patients atteints de cancers aux pronostics, jusqu’alors très sombres, l’espoir de profiter de rémissions longues, voire, pour certains, de chances de guérison. Elle a aussi donné un formidable coup de fouet au marché du cancer. Non pas que celui-ci dépérissait. Depuis de nombreuses années déjà, les ventes d’anticancéreux connaissaient un réel essor grâce à une autre avancée scientifique majeure : l’arrivée, au début des années 2000, des premières thérapies ciblées.

Elles marquent le commencement d’une nouvelle ère d’avancées médicales en oncologie, qui va se traduire par un foisonnement de nouveaux traitements. « En vingt-cinq ans, il y a eu un changement de paradigme extraordinaire dans la prise en charge des cancers », confirme François Guilhot, professeur émérite d’hématologie et membre de l’Académie de médecine. Ce dernier a été, en 1999, aux avant-postes sur le Vieux Continent de l’arrivée du Glivec, en étant le premier médecin européen à traiter un patient avec ce médicament développé par le suisse Novartis, l’une des premières thérapies ciblées de l’histoire de l’oncologie, et dont les résultats spectaculaires dans la leucémie myéloïde chronique en font encore aujourd’hui le médicament de référence dans ce cancer rare. « Cela a été une avancée incroyable. Avant cette molécule, la moitié des malades mourraient dans les trois à cinq ans. Depuis, le taux de survie à quinze ans est de plus de 90 % », constate-t-il.

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Les nouveaux traitements soignent mieux les malades. Mais à quel prix ? Depuis vingt-cinq ans, leur coût ne cesse de grimper. Aux chimiothérapies, facturées quelques dizaines d’euros la cure mensuelle, se sont ainsi peu à peu substituées des thérapies ciblées vendues plusieurs centaines voire milliers d’euros, puis des immunothérapies, encore plus onéreuses. Dans un rapport publié en 2023, l’Académie de médecine s’inquiétait de cette surenchère. « En 2017, le coût de la prise en charge du mélanome métastatique a été estimé à 269 682 euros par patient, soit un coût multiplié par environ 165 depuis 2004 », notait-elle.

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La tendance ne semble pas près de s’inverser. Encore à leurs balbutiements, les thérapies géniques, certes prometteuses, se négocient entre 250 000 et 350 000 euros le traitement. Au grand dam des systèmes de santé, qui peinent de plus en plus à soutenir la dépense. Les laboratoires justifient la facture par l’innovation thérapeutique qu’apportent ces médicaments, et par les importants coûts de recherche et développement, et de production qu’ils nécessitent. Ces derniers sont indéniables, mais, faute de données détaillées sur ces investissements, et des considérables marges qu’enregistre l’industrie pharmaceutique, la pertinence des prix des médicaments innovants continue d’alimenter les conjectures.

« Il faut se préparer à un tsunami »

Fin 2014, les ventes mondiales en oncologie avaient ainsi atteint le cap symbolique des 100 milliards de dollars. Dix ans plus tard, l’attractivité de ce gigantesque marché ne se dément pas, bien au contraire. En 2023, les ventes d’anticancéreux pesaient 223 milliards de dollars, selon le spécialiste des données de santé Iqvia. Elles devraient franchir le seuil des 300 milliards avant la fin de la décennie.

De quoi attirer les laboratoires pharmaceutiques, de plus en plus nombreux à tenter leur chance. Il faut dire que le marché a tout pour séduire les industriels en quête de juteux profits. De fait, le nombre de malades, sous l’effet d’une population de plus en plus dense et vieillissante, ne cesse de croître. Chaque année, plus de 20 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués à travers la planète, rapporte l’Organisation mondiale de la santé. Avec un décès sur six qui lui est attribué, le cancer est ainsi la deuxième cause de mortalité dans le monde, derrière les maladies cardiovasculaires. En France, c’est même l’ennemi public numéro un, 25 % des décès annuels lui étant dus.

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Les plus âgés ne sont d’ailleurs plus les seuls à être victimes de ce fléau. Lors d’une conférence de presse le 22 janvier, le professeur Fabrice Barlesi, directeur général de l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), s’alarmait d’une hausse des cas de cancers chez les moins de 50 ans, notamment de tumeurs touchant la sphère digestive (côlon, pancréas, intestin grêle, estomac…). Face à la menace, l’oncologue a sonné le tocsin de la mobilisation générale auprès des médecins et chercheurs. « Il faut se préparer à un tsunami », a-t-il averti.

Sans surprise, les laboratoires pharmaceutiques se ruent donc sur l’oncologie. C’est le cas du britannique GlaxoSmithKline, qui, depuis 2019, a entamé son retour dans le domaine du cancer. L’industriel, qui s’était délesté de son portefeuille de médicaments oncologiques auprès de Novartis en 2014, a lancé trois nouveaux traitements ces dernières années, dont deux ciblant les femmes, le Zejula, pour le cancer des ovaires, et le Jemperli pour celui de l’endomètre, « un domaine où il n’y avait quasiment eu aucune évolution depuis vingt ans », détaille Mouna Champain, directrice médicale France du laboratoire. Si le britannique est encore un acteur modeste du marché – les anticancéreux représentent moins de 5 % des revenus du groupe en 202 4 –, il n’en a pas moins de fortes ambitions. « En plus de ces produits déjà approuvés, nous avons une quinzaine de molécules en cours de développement clinique », poursuit Mme Champain.

L’industriel n’est pas le seul à avoir musclé son jeu. L’américain Pfizer a consacré, en 2024, 40 % de ses investissements en recherche et développement à ses actifs dans le cancer. En 2023, il a déboursé 43 milliards de dollars pour racheter Seagen, un spécialiste de l’oncologie. Réputée pour son expertise dans les anticorps conjugués, une approche technologique très en vogue dans le secteur, la biotech a permis au laboratoire new-yorkais de doubler son portefeuille de produits en développement dans le cancer. « Nous acquérons la poule aux œufs d’or », s’était réjoui, à l’annonce du rachat, son PDG, Albert Bourla.

Avant lui, le britannique AstraZeneca, à la recherche d’un nouveau souffle, s’était aussi tourné vers l’oncologie dès 2013. Avec succès : il est aujourd’hui l’un des leaders du marché, avec 22,4 milliards de dollars de ventes d’anticancéreux, soit 41 % de son chiffre d’affaires, aux côtés des géants de longue date du domaine, les suisses Roche et Novartis, ou encore l’américain Bristol Myers Squibb.

Recherche longue et incertaine

Preuve supplémentaire de l’attractivité du marché, sept des dix plus grands laboratoires mondiaux réalisent aujourd’hui plus de 20 % de leurs ventes grâce aux anticancéreux. Les petits et moyens laboratoires ne sont pas en reste. En France, Pierre Fabre, Ipsen, ou encore Servier se sont ainsi positionnés, en préférant miser sur des traitements de niche afin d’éviter la collision frontale avec les mastodontes du secteur. « On s’est concentrés sur des pathologies sur lesquelles on pense pouvoir faire une différence, et qui sont souvent délaissées, soit parce que le marché est moins gros, soit parce qu’elles sont réputées plus compliquées », explique Claude Bertrand, directeur de la recherche et du développement de Servier.

Car la concurrence est rude. D’autant plus que la recherche s’avère longue et incertaine. Il faut en moyenne une décennie pour développer un nouveau médicament. Quand encore, il parvient sur le marché : en oncologie, les taux de réussite, du premier essai sur l’homme au lancement du produit, avoisinent à peine 10 %. « Pour les biotechs, qui n’ont pas les moyens d’avoir des dizaines de produits en développement, c’est un risque considérable. D’autant plus que les essais cliniques sont chers. En oncologie, il faut compter 120 000 à 150 000 euros par patient », explique Paul Bravetti, directeur général de Brenus Pharma. La biotech lyonnaise, qui développe un vaccin thérapeutique contre le cancer colorectal, va débuter son premier essai clinique en mai.

Elle fait partie de la multitude de jeunes pousses qui sont parties à l’assaut du cancer, et qui sont devenues le principal terreau d’innovation. Plus de 60 % des essais cliniques lancés en oncologie en 2023 étaient portés par des biotechs. Car si les grands laboratoires disposent d’une recherche en interne, ils s’appuient de plus en plus largement sur les biotechs, à travers des partenariats ou des acquisitions pour renouveler leurs portefeuilles de produits. Ce fut le cas de l’anticancéreux vedette de Bristol Myers Squibb, l’Opdivo (9,3 milliards de dollars de ventes en 2024), le grand rival du Keytruda. Initialement développé par la biotech Medarex, il a rejoint l’escarcelle du géant pharmaceutique lorsque celui-ci a racheté la jeune pousse en 2009 pour 2,4 milliards de dollars.

Zeliha Chaffin

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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