Les récifs coralliens en proie au pire épisode de blanchissement mondial
En raison des températures anormalement hautes des océans, plus de 80 % des zones coralliennes sont exposées au blanchissement, une réaction qui peut entraîner la mort de ces organismes symbiotiques abritant un tiers de la biodiversité marine.
Zone de coraux blanchis dans un récif à Koh Mak, une île du parc national marin de Mu Ko Chang, en Thaïlande, le 8 mai 2024. NAPAT WESSHASARTAR / REUTERS
Alerte blanche sur tous les coraux du monde. Espèces sentinelles du réchauffement climatique, les colonies de polypes subissent de plein fouet les conséquences des températures record de 2023 et 2024, les deux années les plus chaudes depuis le début des relevés.
Selon les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA, l’agence météo américaine), 83,7 % des zones coralliennes ont connu depuis janvier 2023 des conditions propices au blanchissement des coraux, un stress lié aux canicules marines. « L’épisode de blanchissement corallien mondial le plus intense jamais enregistré est toujours en cours », s’inquiète, dans un communiqué diffusé mercredi 23 avril, l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI), une alliance d’Etats et d’institutions scientifiques.
En avril 2024, la NOAA avait confirmé qu’« un nouvel événement mondial de blanchissement des coraux » se déroulait depuis février 2023, le deuxième en moins de dix ans. En avril 2025, l’agence a actualisé ses données de températures marines, aboutissant à ce taux record de 83,7 %. Depuis à peine un peu plus d’un quart de siècle, les conditions de vie des polypes s’aggravent très rapidement. Lors du premier épisode mondial, en 1998, 21 % des récifs avaient subi ce stress. Ce taux avait grimpé à 37 % lors du deuxième épisode, en 2010, et à 68 % pendant le troisième (2014-2017).
La moitié des coraux a déjà disparu
« C’est malheureusement la chronique d’une mort annoncée et je suis un peu las, car cela fait des années que tous les scientifiques répètent la même chose. Sans actions climatiques plus ambitieuses, les coraux blanchiront, puis mourront », décrypte, fataliste, Jean-Pierre Gattuso, océanographe (CNRS) au Laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Selon les scientifiques, environ la moitié des coraux a déjà disparu depuis le milieu du XXe siècle.

Impossible de savoir pour le moment quel pourcentage de colonies ne survivra pas à ces deux années de stress thermique. Car le blanchissement n’est pas forcément synonyme de mort. Face à la chaleur, au froid, à l’acidification ou à certaines maladies qui se multiplient à cause des pollutions marines, les coraux peuvent expulser les algues avec lesquelles ces animaux vivent en symbiose, ce qui leur fait perdre leur couleur, d’où le terme de blanchissement. Si l’épisode ne dure pas trop longtemps et ne se répète pas trop souvent, ils peuvent survivre.
Mais le réchauffement d’origine humaine, qui rend plus intenses et plus fréquentes les canicules marines, laisse de moins en moins de répit aux zones coralliennes qui abritent entre 25 % et un tiers de la biodiversité marine. « Selon la profondeur, les courants, la diversité des espèces, il y a une forme de résilience. Mais cet épisode est le plus inquiétant depuis 1998 », résume Jean-Benoît Nicet, biologiste marin qui effectue en ce moment des relevés à La Réunion, dans le cadre de l’Initiative française pour les récifs coralliens. En 2024, 40 % des coraux de Mayotte implantés jusqu’à quinze mètres de profondeur ne se sont pas remis des canicules successives.
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Le phénomène du blanchissement actuel touche quasiment toutes les zones du monde, de la mer des Caraïbes aux îles du Pacifique, en passant par la mer Rouge, jusque-là plutôt épargnée. Pour évaluer les conséquences concrètes de cet épisode, une équipe de chercheurs a suivi pendant cent soixante et un jours l’état de santé de 462 colonies de coraux de l’Île One Tree, un récif situé à environ 80 km de la côte australienne, dans la partie méridionale de la Grande Barrière de corail. Le lieu est intéressant car il est protégé des activités extractives, du tourisme et de la pollution. Le résultat de leur étude, publiée le 16 janvier dans la revue Limnology and Oceanography Letters, est plus qu’inquiétant.
En février 2024, en plein été austral, 66 % des colonies étaient blanchies. En avril, ce taux atteignait 80 %. En mai, 44 % des colonies blanchies étaient mortes et en juillet, 53 %. Certaines espèces, comme Goniopora, ont développé la maladie des bandes noires. Et une autre, Acropora, a connu un taux de mortalité de 95 %. « Ce que nous avons observé était catastrophique, écrivent les auteurs. En raison de la forte vague de chaleur, de nombreux coraux sont morts en quarante à soixante-dix jours. Les squelettes d’Acropora ont rapidement été encrassés par les algues, et certaines colonies ont commencé à se fragmenter et à se transformer en débris. »
L’atmosphère terrestre est en surchauffe
Ce nouvel épisode de blanchissement global survient, sans surprise, à un moment où l’atmosphère terrestre et les océans sont en surchauffe. Les deux dernières années ont été les plus chaudes enregistrées au niveau mondial. En 2024, la température moyenne mondiale a été supérieure de 1,6 °C aux niveaux de 1850-1900. Un rapport de l’institut européen Copernicus, publié le 30 septembre 2024, révélait que plus d’un cinquième de la surface océanique mondiale avait connu une vague de chaleur sévère en 2023. Le rythme de réchauffement des océans, qui absorbent « plus de 90 % de l’excès de chaleur du système climatique » depuis les années 1970, a presque doublé depuis 2005, selon les scientifiques. Une pente fatale pour les coraux incapables de s’adapter à la rapidité du changement climatique.
Dans leur rapport spécial sur l’océan et la cryosphère de 2019, les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) écrivaient que 70 % à 90 % des coraux pourraient disparaître avec une augmentation des températures de l’atmosphère de 1,5 degré, l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris.
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Pour freiner la mortalité, les scientifiques de l’ICRI préconisent, dans un article publié par la revue Nature, le 16 mai 2024, d’étendre les aires marines protégées et de lutter contre d’autres fléaux, comme la pollution ou le surtourisme. Localement, la restauration et l’implantation d’espèces plus résistantes peuvent être des pistes de préservation. Mais vu l’immensité des zones à couvrir, ces solutions seront balayées si le réchauffement global se poursuit. Tous les scientifiques travaillant sur les coraux espèrent donc une atténuation des émissions des gaz à effet de serre d’origine humaine pour freiner le changement climatique dans les décennies à venir.
« Quand j’ai fait ma thèse, il y a vingt ans, nous étions à 20 % de zones concernées par le blanchissement et nous parlions déjà d’une catastrophe et d’une crise. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 80 %. Les dégâts du réchauffement ont lieu maintenant, et le corail, qui ne pourra pas s’adapter, devrait nous faire prendre conscience de cette réalité », conclut Alexander Venn, biologiste marin au Centre scientifique de Monaco.
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