Les normes du code minier déjà assouplies il y a quelques mois, encore plus souples au détriment de l’environnement.

Guyane : le Code minier s’assouplit encore et l’environnement en paye le prix

21 avril 2025 | https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=%2BDC%2BBQunEcxnEF7w%2BMRHEK%2Bt0UTRU470j%2BrfmfIat%2BF4kAEp2gGgElu6joBkzl4H4EPVfYHPrZCShVF0o3fyC53SpImF1

Par Guillaume Reuge (Guyaweb)

Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit l’allègement du Code minier, notamment pour faciliter l’exploitation du sous-sol de la Guyane.Les normes ont pourtant déjà été assouplies il y a quelques mois, favorisant les gains économiques, au détriment de l’environnement.

En gestation depuis près d’un an, le projet de loi de « simplification de la vie économique » est arrivé mardi dernier dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour être débattu. Présenté comme un vecteur pour faciliter la vie des entreprises avec la suppression de dizaines d’instances et de procédures administratives, le projet de loi veut également faciliter les projets industriels ou d’infrastructures.

En tout, plus de 2 600 amendements ont été déposés sur ce projet de loi objet d’une intense bataille politique. Débuté mardi 8 avril, l’examen du texte a été suspendu vendredi 11 avril, la semaine n’ayant pas permis d’étudier tout le texte. Les débats reprendront le 29 avril avec l’examen des 1 000 amendements restants et des articles non encore votés. Parmi ceux-ci figure l’article 19 qui prévoit d’alléger le Code minier, pourtant récemment réformé, ce qui impactera directement la Guyane.

En effet, le territoire concentre l’essentiel (82 %) des enjeux les plus actuels liés à l’extraction minière en France, selon le ministère de la transition écologique. Cela représente 102 mines légales sur les 123 actuellement ouvertes en France, 65 % des concessions minières en termes de surface et 27 % des permis de recherche.

L’intégralité de la production minière en Guyane est aurifère. La Nouvelle-Calédonie, troisième productrice mondiale de nickel – une filière en difficulté ces dernières années –, regroupe aussi des enjeux miniers, mais le territoire du Pacifique dispose d’un droit minier spécifique.

Le site minier aurifère de Yaou en Guyane française. © Photo Jody Amiet / AFP

Concrètement, pour la Guyane, l’article 19 du projet de loi du gouvernement, s’il est voté en l’état, prévoit notamment de réduire le délai d’instruction des permis exclusifs de recherche et de supprimer l’avis conforme que l’Office national des forêts (ONF) est tenu de délivrer dans le cadre d’un dossier d’autorisation de recherche minière (ARM).

Cette procédure spécifique à la Guyane permet de prospecter un gisement en vue d’une demande d’AEX (autorisation d’exploitation minière), autre titre dérogatoire délivré par la préfecture et créé pour faciliter l’installation de petites mines alluvionnaires. 

« 500 hectares par an »

À ce jour, pour effectuer cette recherche, l’exploitant doit obtenir l’accord du propriétaire (l’État) ou du gestionnaire du sol (l’ONF) qui, dans le périmètre de leurs compétences, s’assurent de la compatibilité du projet avec les zones d’intérêt écologique définies. Ces zones représentent environ 20 % du domaine forestier permanent de l’État en Guyane, d’après l’ONF.

En effet, l’implantation d’une exploitation minière est synonyme de perturbation des cours d’eau et de déforestation, en moyenne de « 500 hectares par an », selon la direction régionale de l’ONF. Soit autant que la filière illégale, ajoute-t-elle. 

S’il est voté en l’état, le texte de loi écartera l’Office national des forêts des prises de décision sur la délivrance des titres et concentrera ce pouvoir dans les seules mains de la préfecture.

L’Office national des forêts joue ainsi le rôle de garde-fou sur la gestion durable de la forêt et les enjeux environnementaux, nombreux en Guyane. Le territoire est recouvert à plus de 90 % de forêt amazonienne, à la biodiversité inégalée. Un hectare de forêt en Guyane peut abriter plus de 300 espèces d’arbres, soit plus d’essences qu’il n’y en a dans toute l’Europe continentale.

De nombreuses espèces sont par ailleurs endémiques au plateau des Guyanes, qui abrite 10 % de la biodiversité végétale mondiale et « 10 à 15 % des réserves mondiales d’eau douce »d’après le WWF (Fonds mondial pour la nature). Selon les données établies, la région Guyane possèderait 5 500 espèces végétales, environ 700 espèces d’oiseaux, près de 200 espèces de mammifères, plus de 500 espèces de poissons et plus d’une centaine d’espèces d’amphibiens.

Or, s’il est voté en l’état, le texte de loi écartera l’Office national des forêts des prises de décision sur la délivrance des titres et concentrera ce pouvoir dans les seules mains de la préfecture, excluant ainsi « le seul acteur qui pouvait s’opposer pour motif environnemental », souligne Nolwenn Rocca, coordinateur de l’association Guyane nature environnement (GNE).

En 2024, l’ONF a prononcé 13 désaccords sur 80 dossiers d’ARM. « La seule fois où l’État a rejeté un projet pour préserver l’environnement, c’est Montagne d’or », rappelle le juriste siégeant en commission départementale des mines (CDM). Un projet de mégamine industrielle qui était fortement contesté politiquement.

L’environnement au second plan 

Contactée, l’ONF Guyane nous indique qu’elle appliquera la loi« telle qu’elle est votée par la représentation nationale », mais que « trop de simplification pourrait mettre en danger la protection de la forêt », alerte son directeur, François Korysko.

L’ONF conserverait néanmoins ses compétences de police forestière et d’instance de contrôle des réhabilitations de sites miniers après exploitation. De plus, l’office disposerait toujours d’un avis consultatif en commission départementale des mines. Mais pour l’association GNE, le texte du gouvernement s’apparente à « un projet de loi bâillon », visant à « museler les établissements publics ».

« C’est un gros problème qui va avec l’ambiance générale d’un retour vers un extractivisme sans vision nationale, sans stratégie, sans logique d’ajuster des trajectoires aux besoins », abonde le député écologiste d’Indre-et-Loire Charles Fournier, aux avant-postes contre le projet de loi de simplification.

Déjà prévu dans le récent Code minier, l’allègement des procédures de délivrance des titres va encore plus loin dans la dérégulation environnementale avec le projet de loi de simplification, confirmant « la volonté de l’État de simplifier l’exploitation minière en amenuisant les prescriptions environnementales », alors que le Code minier a été réformé pour « davantage prendre en compte le droit de l’environnement »dans la gestion des ressources du sous-sol, rappelle Guyane nature environnement.

Or, selon Charles Fournier, « la réforme du Code minier n’a pas permis ce rééquilibrage ». Le régime a bien été modifié pour l’attribution des titres miniers – passant d’une obligation de notice d’impact à l’obligation de rédiger un mémoire environnemental, économique et social –, mais les exigences environnementales n’ont pas évolué.À lire aussiEn Amazonie, le mythe de la nature infinie permet l’économie de la destruction

Stéphanie Mahé, adjointe au chef du service de prévention des risques et industries extractives de la DGTM (la Direction générale des territoires et de la mer, le service qui instruit les demandes de titres), reconnaît que les exigences environnementales n’ont pas augmenté.

Du moins jusqu’à la décision du Conseil d’État en juillet sur Auplata Mining Group (AMG) et ses trois concessions de Saint-Élie. « Le Conseil d’État a dit qu’il fallait un avis d’une autorité environnementale indépendante. La décision s’est répercutée sur toutes les instructions de titres, donc la réforme du Code minier fait passer les titres comme des plans et programmes du Code de l’environnement qui nécessitent une évaluation environnementale. La jurisprudence fait qu’on prend plus en compte les enjeux environnementaux », explique la fonctionnaire.

Par ailleurs, le nouveau Code entré en vigueur en juillet impose aux miniers des garanties financières, gages d’une réhabilitation des sites après exploitation, jusqu’alors non codifiée et jugée insuffisante ces dernières années, notamment par la DGTM. « Il y a besoin de mieux suivre les réhabilitations, ça s’est vu ces dernières années. Dans le précédent Code minier et le décret AEX, il n’y avait rien de réglementaire qui encadrait la réhabilitation du site minier. La réhabilitation et la fin des travaux sont désormais encadrés pour les AEX », explique Stéphanie Mahé. 

« Les miniers ont quand même des contraintes », ajoute-t-elle, citant notamment le Schéma départemental d’orientation minière (Sdom), qui interdit l’exploitation dans un gros tiers de la Guyane et impose des restrictions sur certains types de zones comme les séries forestières de l’ONF, où l’exploitation est autorisée mais sous contrainte. 

De l’or pour doper l’économie locale

Aujourd’hui, la volonté d’accompagner le secteur minier est clairement reconnue par le gouvernement. Le 25 mars, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, répondant à une question du député de la 1recirconscription de Guyane, Jean-Victor Castor (groupe GDR), qui dénonce régulièrement la « mise sous cloche » d’une Guyane « écrasée par le poids des normes », a assuré à l’élu guyanais être la ministre « qui a voulu la révision du Code minier afin de faciliter les activités minières, notamment dans ce territoire ».

Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’industrie de 2020 à 2022, a aussi affirmé croire « d’autant plus en une activité minière dont les retombées profiteraient directement aux Guyanais », l’extraction d’or et d’autres éléments contribuant également, selon elle, « à la transition ».

Le secteur « contribue peu à l’économie locale », estime au contraire Guyane nature environnement. « C’est 1 % du PIB de la Guyane en 2024 et 1 % des emplois. » En 2018, l’exploitation minière n’était que le 35e secteur contributif à l’économie guyanaise sur les trente-six étudiés, selon un rapport commandé par WWF France au cabinet Deloitte.

Actuellement, la taxe sur l’or introduite en 2008 rapporte 10 millions d’euros par an à la collectivité territoriale de Guyane (CTG). Elle s’ajoute à la taxe sur le gazole routier, également captée par la CTG. Mais la fiscalité du secteur aurifère reste marginale au regard de la valeur créée par le secteur.

Pourtant, lors de son déplacement en Guyane en mars 2024, le chef de l’État a lui aussi affiché sa volonté politique d’accompagner une filière légale guyanaise peu structurée, qualifiée d’« artisanale et fragile ». Emmanuel Macron avait fait de ce sujet l’un des thèmes forts de sa visite, avec plusieurs annonces depuis la commune de Camopi.

Dans certaines économies, on donne des subventions, là, on permet d’assouplir les normes.

Jean-Luc Le West, vice-président de la collectivité territoriale

Cette stratégie de l’État s’inscrit dans un contexte où la France et l’Union européenne cherchent à sécuriser leurs approvisionnements en métaux stratégiques pour la transition écologique, les technologies de pointe ou le secteur de l’armement. La réindustrialisation de la France passe en effet par des besoins miniers. Le développement de la filière légale est aussi vu comme un moyen d’enrayer l’orpaillage illégal, fléau aux impacts environnementaux, sanitaires et sociaux désastreux en Guyane depuis trois décennies.

L’enjeu est également économique. Selon la préfecture, 5 tonnes d’or ont été extraites illégalement en 2023. À 88 euros le gramme d’or au cours actuel, le manque à gagner via la fiscalité pour l’État et la Guyane, un des départements les plus pauvres de France, est important.

« Aller vers l’industrialisation »

« L’objectif de la réforme du Code minier est d’avoir une mine légale beaucoup plus forte qui arrive à supplanter la mine illégale », explique Jean-Luc Le West, vice-président de la CTG délégué à l’économie. « Dans certaines économies, on donne des subventions, là, on permet d’assouplir les normes », ajoute l’élu, qui appelle la filière « à changer d’échelle » et à repenser son modèle basé aujourd’hui sur la mine alluvionnaire artisanale.

« Il faut se saisir de cette réforme pour aller vers l’industrialisation. Tous nos voisins travaillent comme cela »,souligne Jean-Luc Le West. « Il faut travailler à une autre échelle. Partout dans le monde où l’on a fait de la mine, on l’a fait à une échelle industrielle. Tant que l’on fait à petite goutte, on fait des garimpeiros [des orpailleurs clandestins – ndlr] en mieux, mais on ne structure pas », estime l’élu, qui appelle à la création d’une grande coopérative des mines et d’une chambre régionale des mines, sorte de chambre consulaire permettant d’encadrer la profession. Une meilleure structuration de la filière permettrait également d’améliorer la réhabilitation des sites miniers, nous indique une source des services de l’État.

L’industrialisation, le député Jean-Victor Castor est pour sur le papier, lui qui a fait de l’exploitation des ressources endogènes de la Guyane sa marotte. Mais le cap n’est pas évident à passer, selon le député, alors que les entreprises guyanaises de la mine sont essentiellement des petites entreprises.

Ainsi, le projet de loi de simplification et son article 19 profiteraient essentiellement aux « grosses entreprises qui ont les moyens de répondre aux prescriptions environnementales et qui sont peut-être déjà en négociation avec l’État pour exploiter les minerais stratégiques de la Guyane », alerte l’élu. Jean-Victor Castor demande que le cadre soit assoupli aussi pour les petites entreprises locales qui ne pourront, dans le cas contraire, exploiter d’autres minerais « car elles n’ont pas les moyens financiers pour s’industrialiser ».

Cette diversification dans les minerais extraits en Guyane n’est pas encore à l’œuvre. Aujourd’hui, l’exploitation est uniquement aurifère en Guyane et le débat est polarisé sur le métal précieux. Il existe bien trois permis de recherche pour des mines de coltan, minerai hautement stratégique qui sert notamment à la fabrication des smartphones, mais pour l’instant ces projets ne sont pas concrets.

Pourtant, le territoire regorge d’autres minerais, plus stratégiques que l’or, comme le coltan donc, mais aussi la bauxite, les diamants, le fer, le manganèse. Une richesse reconnue par l’État, qui a lancé depuis le 13 février une mise à jour de l’inventaire des ressources par le BRGM (le Bureau de recherches géologiques et minières), dans cinq zones géographiques jugées « prioritaires »dont la Guyane. Toujours dans une volonté de sécuriser les approvisionnements en métaux stratégiques.

Selon nos informations, confirmées par deux sources, le BRGM a d’ailleurs fait son entrée dans la commission départementale des mines. En tant que nouveau membre invité, il dispose désormais d’une voie consultative.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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