Le traité sur les pandémies: une occasion manquée ou une avancée notable ?

Traité sur les pandémies : l’OMS conclut enfin un accord mondial pour plus d’équité, après trois ans de négociations

Les 194 Etats membres, moins les Etats-Unis, l’Argentine et le Costa-Rica, ont adopté un traité sur la réponse mondiale aux menaces pandémiques. Parmi les articles phares, un renforcement du transfert de technologies vis-à-vis des pays du Sud. 

Par Florence RosierPublié le 16 avril 2025 à 09h50, modifié le 16 avril 2025 à 14h29 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/04/16/traite-sur-les-pandemies-l-oms-conclut-enfin-un-accord-mondial-pour-plus-d-equite-apres-trois-ans-de-negociations_6596592_3244.html

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Les laborantins de l’entreprise BioNtech simulent les dernières étapes de la production du vaccin contre le Covid-19, à Marburg, en Allemagne, le 27 mars 2021.
Les laborantins de l’entreprise BioNtech simulent les dernières étapes de la production du vaccin contre le Covid-19, à Marburg, en Allemagne, le 27 mars 2021.  BORIS ROESSLER/PICTURE-ALLIANCE/DPA/AP

La gestation a été longue – plus de trois ans – et difficile, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fini par accoucher, dans la nuit du mardi 15 au mercredi 16 avril, d’un traité sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies. Ou plutôt, d’un « accord de principe » sur ce traité, qui ne sera ratifié qu’en mai, lors de l’Assemblée mondiale de la santé, à Genève (Suisse).

Au terme de treize cycles de négociations, la trentaine d’articles de ce traité ont été adoptés par les 194 Etats membres de l’OMS – à l’exception du Costa-Rica, de l’Argentine et des Etats-Unis, qui se sont retirés des négociations fin janvier, mais font encore officiellement partie de l’organisation jusqu’en janvier 2026.

« Les nations du monde entier ont marqué l’histoire aujourd’hui à Genève, a déclaré le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, vers 3 heures du matin, quand les Etats membres ont fini par transiger. Elles ont démontré que le multilatéralisme est bel et bien vivant. »

Un texte « faible et structurellement injuste »

Officiellement, cet accord est le fruit d’un consensus. Il résulte plutôt, en réalité, d’une série de compromis, arrachés au terme de tractations parfois rudes, témoignant des fractures persistantes entre les pays du Nord et ceux du Sud.

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Beaucoup y voient malgré tout une avancée notable. « C’est un engagement important des pays pour mieux se préparer à une prochaine pandémie », estime Daniela Morich, qui coordonne l’initiative de gestion des pandémies du Global Health Centre, à Genève. Elle salue une « volonté collective », face à une nouvelle menace pandémique, de « promouvoir une réponse mondiale plus équitable, de renforcer la coopération entre Etats et de protéger les systèmes de santé nationaux ».

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Pour d’autres, en revanche, il s’agit d’une occasion manquée. C’est un texte « faible, édulcoré et structurellement injuste, qui donne la priorité à la protection des intérêts commerciaux des grandes sociétés pharmaceutiques, plutôt qu’à la santé de la population [mondiale] », regrette ainsi German Velasquez, ancien directeur du département de la santé publique de l’OMS. « Les voix du Sud ont été systématiquement ignorées et affaiblies », ajoute celui qui est aujourd’hui conseiller spécial de The South Centre, une organisation intergouvernementale de pays en voie de développement, installée à Genève.

La proposition d’accord était attendue samedi 12 avril. La semaine précédente avait été marquée par des « discussions intenses entre Etats membres, un vrai marathon », rapporte Mme Morich. Mais l’accord achoppait sur plusieurs obstacles. Au centre des débats, l’article 11 encadrant le transfert de technologies et de connaissances au bénéfice des pays en développement pour la production de produits de santé liés aux pandémies (tests, vaccins, traitements…). Tout l’enjeu était de faciliter l’accès équitable à ces produits, mais les débats ont buté sur un point essentiel : les laboratoires pharmaceutiques pouvaient-ils librement décider de quand et avec qui négocier ces transferts de technologies ? Ou bien devaient-ils être contraints par les gouvernements de négocier avec certains partenaires ? Jusqu’à la fin des négociations, cette notion de volontariat, ou au contraire de contrainte, est restée au cœur des discussions.

La question du partage de données

Les pays du Sud plaidaient pour un renforcement de ce transfert de technologies, et pour le caractère contraignant. Mais c’est, en définitive, la base d’une « décision volontaire mutuelle » qui est évoquée dans la proposition d’accord. « Les pays développés ne voulaient pas imposer à leur industrie pharmaceutique un devoir de transfert technologique », commente Mme Morich. « L’industrie pharmaceutique était derrière toutes les négociations », regrette M. Velasquez.

Autre objet d’âpres négociations, l’article 12. Il porte sur un volet crucial de l’accord, « complexe et difficile » selon MmeMorich : l’accès aux agents pathogènes et la répartition des bénéfices issus de ce partage. Un volet qui porte un nom abscons, l’acronyme « PABS » (pathogen access and benefit sharing). L’enjeu est ici de favoriser le suivi des agents pathogènes susceptibles de provoquer des pandémies, mais aussi le partage rapide de ces informations au sein de la communauté scientifique internationale. « Dans un contexte d’urgence pandémique, l’accès aux échantillons de ces agents pathogènes et aux données sur leurs génomes est fondamental, rappelle Mme Morich. C’est à partir de ces données que pourront être rapidement développés des outils de lutte contre une épidémie. »

Si, durant la pandémie de Covid-19, celles-ci ont été largement partagées, aucune règle internationale n’oblige cependant les gouvernements à un tel partage, pas même le « règlement sanitaire international » établi par l’OMS, récemment modifié. Une lacune juridique qui augmente le risque pandémique.

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De fait, de nombreux pays à faible revenu hésitent à accepter de telles obligations sur le partage de données. Ils craignent, non sans raisons, de se voir limiter ou refuser l’accès aux produits de santé éventuellement mis au point à partir des échantillons et des données qu’ils auraient partagés. Car, lors de la pandémie de Covid-19, pas plus de 10 % des outils sanitaires (tests, vaccins, médicaments) développés grâce au partage de données ont été rendus accessibles aux pays du Sud, rappelle M. Velasquez. Une situation qualifiée d’« apartheid sanitaire » par le docteur Tedros.

« On institue l’injustice en norme »

Dans le cadre des négociations sur ce traité, cependant, ces pays ne se sont pas vu proposer mieux qu’un accès garanti à 10 % des produits de santé. « Autrement dit, on institue l’injustice en norme, s’indigne M. Velasquez. C’est une honte. »

« Les négociations se sont focalisées sur le pourcentage de ces dons, mais en oubliant un problème de fond, relève de son côté Michel Kazatchkine, ancien directeur du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Toute la production pharmaceutique ou presque a été déléguée au secteur privé. Considérer un bien commun de santé comme une marchandise commerciale c’est tout de même incroyable. »

Sur ce point, cependant, les Etats membres de l’OMS ont préféré botter en touche. Ou plutôt surseoir. Le principe du partage est acté, mais « les détails en seront négociés ultérieurement, dans une annexe, d’ici à un à deux ans peut-être, indique Mme Morich. Pour autant, c’est un volet concret de la notion d’équité qui est institutionnalisé. »

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Cette proposition de traité acte aussi la nécessité de favoriser une approche préventive, en se préparant, en amont, à l’émergence d’une future pandémie. Il défend également le concept One Health (« une seule santé »), qui tient compte des liens complexes entre la santé animale, la santé humaine et l’environnement, favorisant une approche globale des enjeux sanitaires. « C’est la première fois qu’un traité international de l’OMS intègre une approche One Health », note MmeMorich. Un concept « scientifiquement incontestable », estime M. Velasquez, mais à double tranchant, qui pourrait diluer la responsabilité de l’OMS par rapport à d’autres instances « au moment où son leadership dans la gestion des futures crises mondiales devrait être renforcé ». Ce texte, par ailleurs, affirme la souveraineté des pays pour traiter les questions de santé publique à l’intérieur de leurs frontières.

Reste un autre point de fragilité de l’accord, inhérent au fait que l’OMS n’a pas la capacité d’édicter des lois. « Ce traité n’a donc pas de caractère contraignant », regrette M. Velasquez.

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Quid du nerf de l’effort de financement ? Aucun fonds nouveau n’a été créé. Certes l’OMS dispose de mécanismes de coordination de fonds. « Mais, dans le contexte actuel, les fonds internationaux diminuent », souligne Mme Morich. M. Kazatchkine, cependant, veut voir dans la naissance de ce traité une lueur d’espoir. « Même s’il n’a pas une très grande clarté opérationnelle, il est la preuve que le multilatéralisme est encore possible, malgré le triste état de la santé mondiale. C’est un magnifique message face à Trump. »

Florence Rosier

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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