La défense du climat et de l’environnement se retrouve piétinée dans le chaos géopolitique créé par l’administration Trump

Sur l’écologie, un grand renoncement à l’œuvre en France et dans le monde

Déjà marginalisée en France et en Europe depuis l’irruption de la guerre en Ukraine, la défense du climat et de l’environnement se retrouve piétinée dans le chaos géopolitique créé par l’administration Trump

Par Audrey GarricMathilde GérardMatthieu GoarStéphane Mandard et Léa SanchezPublié le 14 mars 2025 à 05h00, modifié le 14 mars 2025 à 15h04 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/03/14/ecologie-l-heure-du-grand-renoncement_6580637_3244.html

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COLCANOPA

En ce jeudi 20 février, la planète apprend à vivre au rythme des annonces du climatosceptique Donald Trump. Et le moral est au plus bas au sein du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), la structure censée mettre en musique la promesse d’Emmanuel Macron : le quinquennat « sera écologique ou ne sera pas ». Dans une note destinée aux cabinets du président de la République et du premier ministre que Le Monde s’est procurée, le SGPE alerte sur une trajectoire des émissions de CO2 qui « marque un tournant » en 2024, en raison d’une « baisse des émissions [qui]ralentit nettement alors que le plan prévoit d’accélérer ».

Les hauts fonctionnaires, qui ont appris trois jours plus tôt la démission de leur patron et tête pensante, Antoine Pellion, accusent le coup. « On observe un backlash [“contrecoup”] écologique, avec une hausse des pressions antinormes environnementales, contre le pacte vert [européen], voire des objectifs de l’accord de Paris, y compris au sein même du gouvernement », énumère la note. Les objectifs en matière de protection de la biodiversité, de lutte contre les pollutions chimiques des eaux et de zéro artificialisation nette sont « fortement remis en cause », poursuivent les experts.

Dix jours plus tôt, ce sont 12 éminents scientifiques – l’écologue Luc Abbadie, la diplomate Laurence Tubiana ou encore l’économiste Céline Guivarch – qui s’apprêtent à démissionner en bloc pour marquer leur désaccord avec ce grand renoncement. Au sein du groupe d’appui à la transition écologique des agents de la fonction publique, ils sont chargés depuis novembre 2022 d’accompagner le déploiement de l’ambitieux plan de transformation écologique de l’Etat, notamment la formation de 2,5 millions de fonctionnaires jusqu’en 2027. Un travail de l’ombre que ces personnalités du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ou du CNRS ont accepté avec entrain et, même, un peu d’espoir.

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Mais, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, les ministres sont absents. Le courrier qu’ils ont envoyé à l’Elysée a reçu une réponse polie les renvoyant vers les cabinets ministériels. « Il n’y a plus aucun portage politique », observe le climatologue Christophe Cassou. En visioconférence, le 10 février, les hauts fonctionnaires qui gèrent ce dossier ont glissé aux scientifiques qu’un départ les affaiblirait. « C’était trop risqué pour eux. Nous avons décidé de continuer pour ne pas saper le travail des gens qui déploient une énergie considérable sur le terrain », résume M. Cassou, tiraillé par des sentiments divergents où le besoin d’agir se fracasse sur le contexte global.

« Détricoter ce qui a été amorcé »

Ces scientifiques, plongés dans des courbes toujours plus rouges, auraient rêvé d’un autre début d’année. Pour la première fois depuis le début des relevés, la température mondiale a franchi, en 2024, 1,5 °C de réchauffement, soit le seuil le plus ambitieux de l’accord de Paris sur le climat adopté en 2015. Une énième alerte qui aurait pu déclencher une nouvelle prise de conscience et ouvrir une période de débats sur la mise en œuvre de la transition énergétique.

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Mais, dix ans après la COP21, ce rêve a tourné à la dystopie. Le retour au pouvoir de Donald Trump, un président qui décrit les énergies fossiles comme de « l’or liquide sous nos pieds » et balaie la science à grands coups de hashtags #BackToPlastic, percute aussi la transition naissante en Europe et en France. « Nous aurions dû le sentir arriver, mais nous n’avons pas forcément pris la mesure de ce projet politique global d’opposition », analyse Yves Marignac, expert énergie au sein de l’association NégaWatt.

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Déjà marginalisée depuis l’irruption de la guerre en Ukraine ou à Gaza, la cause climatique se retrouve piétinée dans le nouveau chaos géopolitique créé par l’administration Trump. A grands coups d’executive orders [« décrets présidentiels »], le 47e président des Etats-Unis hystérise la compétition entre des blocs poussés dans une course à la compétitivité immédiate.

Lors du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, qui se tenait au moment de l’investiture de Donald Trump, de nombreux grands patrons européens ont ainsi appelé à une simplification des normes. Le 6 janvier, devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron avait déjà réclamé, « dans le moment que nous vivons », une suspension des régulations « tant qu’on n’a pas retrouvé la capacité à rentrer dans la compétition ». Alors, fin janvier, la France a demandé une « pause réglementaire massive », avec notamment le report sine die de la mise en œuvre de la directive de mai 2024 sur le devoir de vigilance, qui impose aux entreprises de veiller au respect de l’environnement et des droits humains dans toutes leurs chaînes de production à travers le monde.

Le pacte vert européen – la « bible » de la Commission d’Ursula von der Leyen version 2019-2024 – est remplacé par la « boussole pour la compétitivité », selon les termes de la Commission européenne. Le 26 février, Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, a présenté aux eurodéputés ce « business plan » censé permettre à l’Europe de rester dans la course avec les Etats-Unis et la Chine. Au menu, notamment, l’affaiblissement important de la directive CSRD qui oblige les entreprises à une transparence sur leur impact environnemental et social. « La tronçonneuse [du président argentin Javier] Milei, les propos de Musk contre l’Etat… Tout le monde a les yeux rivés vers des donneurs d’ordre qui ne parlent que de simplification, observe Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la Fondation pour la nature et l’homme. Certains ont compris que c’était le moment de détricoter ce qui a été amorcé ces dernières années. Ils pensent pouvoir jouer un coup politique, mais c’est un jeu très dangereux. » Autre signe du basculement, les Européens donnent la priorité aux dépenses militaires, quitte à enfreindre la règle européenne des 3 % de déficit. Exactement ce que réclamaient certains défenseurs de la cause climatique, qui nécessite, elle aussi, des investissements de long terme.

« Un scalp écolo »

En France, même s’ils n’ont rien à voir avec le coup de balai trumpiste, les reculs se multiplient aussi depuis le début de l’année, dans une ambiance d’attaques répétées de la droite et de l’extrême droite contre les opérateurs de l’Etat comme l’Office français de la biodiversité (OFB) ou l’Agence de la transition écologique (Ademe). Coupes budgétaires dans des secteurs cruciaux comme le soutien aux voitures électriques, la rénovation énergétique des bâtiments avec MaPrimeRénov’, le fonds vert des collectivités ; perte du portefeuille de l’énergie par le ministère de la transition écologique ; révision à la baisse des ambitions de développement du solaire et du soutien au secteur ; désintérêt du premier ministre… l’écologie est en berne.

Les dossiers agricoles, en particulier, se sont transformés en champs de bataille. Vendredi 17 janvier au soir, l’Agence bio, chargée de l’accompagnement et de la promotion de la filière, est ainsi supprimée par un amendement au Sénat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, sans que le ministère de l’agriculture s’y oppose. Le cabinet de la ministre Annie Genevard mettra deux jours à rappeler les responsables de l’agence, et plus d’une semaine avant de rétropédaler. « Ils nous ont donné l’impression de vouloir un scalp écolo. Comme l’Ademe et l’OFB sont trop gros, alors ils s’en prennent à l’Agence bio », glisse un des responsables de cette structure.

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L’idée que l’écologie est forcément un repoussoir est peu à peu distillée. Cité 21 fois dans le projet de loi d’orientation agricole initialement présenté par le gouvernement au printemps 2024, le terme « agroécologie » disparaît dans la version adoptée en février, effacé par les coups de gomme des sénateurs. Un symbole significatif.

Car ce texte cultive l’idée que la protection de l’environnement nuirait à la production. Il introduit la notion de « non-régression de la souveraineté alimentaire », présentée comme un miroir de la non-régression du droit de l’environnement. Une proposition de loi adoptée en janvier par le Sénat accentue cette tendance : il propose de réautoriser les insecticides néonicotinoïdes et de renforcer la tutelle politique sur l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. La communauté scientifique s’étrangle face à cette offensive tous azimuts des sénateurs.

Ne pas « emmerder les Français »

Dans cette ruée contre les normes vertes, le gouvernement revient sur des acquis. Le 12 février, le ministre des outre-mer, Manuel Valls, a été jusqu’à demander d’ouvrir le débat sur la loi Hulot de 2017 interdisant la recherche et l’exploitation de nouveaux hydrocarbures, parce que « nous voyons les pays voisins de la Guyane accélérer en matière de prospection et d’exploitation, au Guyana, au Suriname ou au Brésil ».

Agnès Pannier-Runacher a dit à son collègue Manuel Valls que cette hypothèse était inenvisageable. Dans ce marasme où elle apparaît isolée sur ces sujets au sein du gouvernement, notamment au moment de défendre les opérateurs placés sous sa tutelle, la ministre de la transition écologique a réussi à remettre sur ses rails la programmation pluriannuelle de l’énergie à l’automne 2024 et surtout à lancer le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, tançant, lors de son discours, lundi 10 mars, les populistes qui voient le « réchauffement climatique » comme une « vue de l’esprit »« L’agenda trumpiste est libertarien, il assume d’écraser toute régulation. Ce n’est pas du tout la culture de la France, relève-t-elle. Face aux risques climatiques, la transformation doit se faire, et elle se fait à marche forcée dans beaucoup d’endroits dans le monde. Mais, partout, elle rencontre des résistances populistes. La transition se construira peut-être comme ça, avec des reculs, mais aussi, à rebours, de grandes avancées. »

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Si le déferlement trumpiste semble désinhiber une partie du personnel politique et des milieux économiques, les premiers accrocs à la transition sont apparus dès 2022. Depuis la guerre en Ukraine et les tensions sur les prix de l’énergie, une partie des gouvernements européens s’est raidie sur cette question, avec comme conséquence un pacte vert européen mis sur pause à partir de 2023. Cette période a d’abord contribué à invisibiliser la question écologique, de moins en moins évoquée par des dirigeants très attentifs à ne pas « emmerder les Français », selon une expression entendue à maintes reprises au sujet des zones à faible émission ou du zéro artificialisation nette.

D’abord effacée des feuilles de route, la cause environnementale a été peu à peu instrumentalisée. La crise agricole de l’hiver 2023-2024, durant laquelle le gouvernement de Gabriel Attal tente de se sortir de l’ornière en sabrant des normes importantes, a renforcé l’idée que l’écologie entrave les citoyens et les entrepreneurs. « Le gouvernement et certains partis politiques, de droite et d’extrême droite, ont choisi d’utiliser la transition écologique comme bouc émissaire, alors que la colère agricole portait surtout sur des enjeux de revenus et de concurrence internationale jugée déloyale », regrette Anne Bringault, la directrice des programmes du Réseau Action Climat, qui rassemble une quarantaine d’ONG.

Cocktail de fausses informations

La poussée des extrêmes droites aux élections européennes et l’arrivée de 143 députés du Rassemblement national (RN) et de ses alliés à l’Assemblée nationale ont entériné cette bascule politique où « la droite court après l’extrême droite et le centre ne parvient pas à résister à cette dérive », analyse le député (socialiste) de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier.

Le 14 novembre 2024, Ursula von der Leyen vient d’annoncer le report de la loi contre la déforestation, dernier texte fondateur du pacte vert européen qui n’avait pas encore été détricoté. Marie Toussaint, eurodéputée française, prend la parole pour expliquer que « 800 000 terrains de football vont partir en fumée » dans les douze mois à venir, sous les huées de la droite et de l’extrême droite. « Ça donnait le ton de ce qu’allait être la nouvelle mandature, une attaque en règle contre l’écologie », commente l’élue.

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De Laurent Wauquiez, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, aux députés du RN, en passant par le premier ministre, François Bayrou, les critiques et les insinuations se succèdent contre les défenseurs de l’environnement. Le 20 juin 2024, lors des assises de la pêche et des produits de la mer à Lorient, le vice-président de la région Bretagne, Daniel Cueff, a ainsi qualifié certaines organisations non gouvernementales de « terroristes ».

Ce cocktail de fausses informations, de petites phrases sur l’argent consacré à la transition et de posts Instagram – comme lorsque M. Wauquiez évoque un exploitant qui « risque trois ans de prison à cause d’un castor » – ne contribue pas à calmer des tensions grandissantes sur le terrain. A Gap, le 27 novembre 2024, une trentaine d’agriculteurs déboulent dans une rue piétonne avec un tracteur, une bétonnière et montent un muret de parpaing devant les locaux de la Société alpine de protection de la nature (SAPN). Sur les briques, l’association est rebaptisée « Secte des autocrates prônant la nuisance ».

« Un discours de renoncement »

« A l’intérieur, nous étions en train de préparer une table ronde sur les haies à laquelle la chambre d’agriculture avait accepté de participer, se remémore Hervé Gasdon, président de la SAPN. Je pensais que ces moyens d’action faisaient partie d’un autre temps. Nous avons des relations plutôt apaisées, mais nous sommes embarqués par une colère qui vient d’ailleurs. » La plainte de France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d’Azur a été classée sans suite.

Même les scientifiques se retrouvent interpellés. La climatologue Valérie Masson-Delmotte, qui parcourt le pays pour donner des conférences, observe une évolution. « Désormais, la première question du public est toujours de me demander pourquoi on devrait agir en France ou en Europe alors que les autres ne font rien, raconte-t-elle. Il y a un discours de renoncement de la population et des personnes aux responsabilités sur la nécessaire transformation des pratiques et modes de vie. »

Progressif depuis le retour de la guerre en Europe, puis brutal sous les coups de boutoir de Donald Trump, ce grand retournement des dirigeants et d’une partie de l’opinion vis-à-vis de la transition écologique arrive au pire moment.

Après l’accord de Paris, beaucoup de pays, dont la France, avaient tracé des trajectoires de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Restait à mettre en œuvre ces politiques dans les décennies à venir, le Green Deal ou l’Inflation Reduction Act de Joe Biden ne devant être que des premiers actes. A peine entamée, leur mise en œuvre se retrouve enlisée et, parfois, conspuée. Les scientifiques craignent déjà des répercussions. Les rejets carbonés français sont repartis à la hausse au troisième trimestre (+ 0,5 %). « Nous sommes brutalement confrontés à un changement d’ère, conclut Yves Marignac. Depuis des années, nous espérions pouvoir contribuer à aider les sociétés à aller vers un monde plus désirable. Aujourd’hui, nous devons entrer de façon urgente dans une résistance pour préserver les progrès déjà existants. »

Audrey Garric,  Mathilde Gérard,  Matthieu Goar,  Stéphane Mandard et  Léa Sanchez

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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