Fin de vie : les députés optent pour étendre le droit à l’euthanasie
Quentin Haroche| 15 Avril 2025 https://click.email.jim.fr/?qs=eb37093681f52f0930421bff7b02e7cfc3971ce135753a10aadec152a07db0577e7356296bb9447275d70dd6ccc9531ef8241282c4dd8bbb9a6ccb2dc2993854
A la commission des affaires sociales, les députés sont entrés dans le vif du sujet ce vendredi. Ils examinent actuellement la proposition de loi sur la fin de vie ou plutôt les propositions de loi, puisque le texte a été, à la demande du Premier Ministre François Bayrou, scindé en deux, avec une proposition de loi sur les soins palliatifs et l’autre sur l’aide à mourir.
Après que le premier texte, consensuel, ait été adopté à l’unanimité par la commission ce vendredi, la commission a commencé à se pencher sur le sujet bien plus épineux de l’aide à mourir.
Ce texte, qui occupe le débat politique depuis près de 18 mois, prévoit d’autoriser l’accès à l’aide à mourir aux personnes qui remplissent cinq conditions cumulatives : être majeur, Français ou résident français, être « atteint d’une affection grave et incurable », « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection » et « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ».
« Un texte d’abandon » selon Bruno Retailleau
Le texte initial prévoyait de faire du suicide assisté le principe et de l’euthanasie l’exception (ces termes tabous ne sont jamais employés par la proposition de loi !). Le patient ne pourrait ainsi demander à ce qu’une substance létale lui soit administré par un médecin ou un infirmier que « lorsqu’il n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».
Ce vendredi, les députés ont cependant adopté un amendement porté par la députée LFI Elise Leboucher prévoyant de laisser le libre choix au patient éligible entre le suicide assisté et l’euthanasie.
L’examen de cet amendement n’a pas manqué de réveiller les oppositions au sein du « socle commun » soutenant le gouvernement. Plusieurs députés Modem ont ainsi voté l’amendement et le député Olivier Falorni, rapporteur du texte, a estimé qu’il « ne bouleversait pas l’équilibre du texte ». A l’inverse, le député LR Patrick Hetzel estime que « l’encadrement juridique n’est plus de même nature », avec « un texte de suicide assisté et d’euthanasie, et non plus de suicide assisté et d’exception euthanasique », ce qui remet en cause l’«équilibre » du texte.
Le débat sur la question de l’accès à l’euthanasie a d’ailleurs débordé hors des murs du Palais Bourbon. Sur LCI ce dimanche, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a dénoncé un « texte tellement permissif, un texte d’abandon ». « C’est un texte qui va cumuler aussi bien le suicide assisté que l’euthanasie. Or, dans tous les pays qui ont autorisé ce double choix, et bien, c’est toujours l’euthanasie qui a écrasé le suicide assisté » poursuit le nouveau champion de la droite conservatrice. « Demain, ce que je crains, c’est qu’il soit beaucoup plus facile de demander la mort que d’avoir des soins ».
Le Pr Philippe Juvin craint une extension de l’aide à mourir
Les députés se sont également penchés sur l’épineuse question des conditions d’accès à l’aide à mourir. Alors que le projet de loi du gouvernement élaboré l’an dernier indiquait que le patient devait voir son pronostic vital engagé à « court ou moyen terme », la proposition de loi actuelle, qui reprend les amendements adoptés par les députés l’an dernier avant que l’examen du texte ne soit interrompu par la dissolution, parle d’ « affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ».
Une expression jugée flou et propice à une extension excessive du droit à mourir notamment par une partie de la droite. Dans une tribune publiée ce dimanche dans le JDD, le Pr Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), estime que « ce qui devait être une réponse à des situations exceptionnelles de fins de vie intolérables pourrait, en l’état, s’appliquer à des centaines de milliers de personnes, y compris à certaines à qui il reste plusieurs années à vivre ».
Pour celui qui est également député des Hauts-de-Seine, une interprétation trop extensive du texte pourrait conduire, par exemple, à ouvrir l’aide à mourir aux malades psychiatriques.
Certains souhaitent donc revenir au critère du pronostic vital engagé. En ce sens, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a indiqué aux députés que la Haute Autorité de Santé (HAS) devrait rendre « dans les prochains jours » un avis sur la notion de « court ou moyen terme ».
Les députés n’ont cependant pas eu le temps de trancher cette question avant minuit. Ils ont en revanche pu rejeter un autre amendement LFI proposant d’ouvrir l’accès au droit à mourir aux personnes qui en auraient fait la demande dans leurs directives anticipées.
L’examen du texte reprendra après les congés parlementaires le 28 avril prochain. Le vote en séance publique est prévu pour la semaine du 19 mai.nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS
On ne peut qu’espérer que la décision finale de chaque parlementaire ne soit pas motivée par des considérations politiciennes qui semblent hors de propos sur un sujet aussi fondamental.
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Aide à mourir : les députés mettent à égalité l’accès au suicide assisté et celui à l’euthanasie
La commission des affaires sociales a adopté, vendredi 11 avril, un amendement instaurant la liberté pour le malade de choisir entre autoadministration de la substance létale et administration par un médecin ou un infirmier.
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Qui accomplira le geste létal ? La question promet d’être, mi-mai, l’un des sujets les plus clivants lors des débats à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi sur la fin de vie, portée par Olivier Falorni, député (apparenté MoDem) de Charente-Maritime. Qui du malade ou du médecin doit mettre en œuvre une aide à mourir (euthanasie et suicide assisté) prévu par ce texte ? Le dilemme offre aussi un angle d’attaque aux adversaires de ce nouveau droit.
Vendredi 11 avril, la question a été provisoirement tranchée. La commission des affaires sociales qui examinait la proposition de loi a adopté un amendement de la députée « insoumise » de la Sarthe Elise Leboucher instaurant la liberté pour le malade de choisir entre autoadministration de la substance létale et administration par un médecin ou un infirmier.
En adoptant cet amendement, les députés ont indirectement porté un coup de canif au projet de loi d’Emmanuel Macron sur l’accompagnement de la fin de vie dont l’examen au Palais-Bourbon, au printemps 2024, a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale. La proposition de loi de M. Falorni est – sur ce point précis – l’exacte réplique du texte initial de l’exécutif.
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La proposition de loi soumise en commission prévoyait que la personne malade s’administre elle-même la substance « ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier ». Grâce au vote de l’amendement, « nous avons remis de l’égalité entre les deux possibilités : suicide assisté et euthanasie », s’est félicité, vendredi, le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj.
Tout en donnant une position de « sagesse » sur cet amendement, M. Falorni s’est employé à en relativiser la portée. « Dans les faits », Ia formulation dans la proposition de loi rendait déjà possible, soutient-il, pour le malade, l’« alternative » entre les deux modalités.
« Cela rompt l’équilibre du texte »
De fait, le texte initial de la proposition de loi ne précisait pas comment ni par qui la capacité physique du malade à accomplir le geste serait évaluée. Ce qui laissait une place à l’autoévaluation par le malade de son aptitude et donc à son libre arbitre. « Quand un malade n’est pas en capacité physique de faire le geste, c’est aussi dans certains cas parce qu’il est “paralysé”, si j’ose dire, par la crainte, confie M. Falorni au Monde. Donc autant être clair via un amendement qui formule explicitement qu’il a le libre choix. »
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Pour autant, « dire que, avec cet amendement on a transformé le texte, honnêtement, c’est un effet de tribune », insiste-t-il. « Même si ce changement est important, abonde Laurent Panifous, président du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, il n’y aura pas une personne de plus qui aura accès à l’aide à mourir en raison de cet amendement. »
Malgré la volonté de circonscrire ses conséquences, l’amendement ébranle les députés soucieux de ne pas voter une modification qui induirait des « dérives » dans la mise en œuvre de l’aide à mourir. « Je suis inquiète », déclarait, vendredi, la députée Renaissance de Seine-Maritime Annie Vidal en commission. « Cet amendement change l’équilibre du texte puisqu’il modifie son esprit qui prévoyait l’autoadministration par le malade. Cela va élargir l’accès à l’aide à mourir », s’alarme celle qui a, par ailleurs, porté la proposition de loi sur les soins palliatifs, adoptée à l’unanimité en commission des affaires sociales, vendredi.
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« Bien sûr que cela rompt l’équilibre du texte ! », alerte, de son côté, Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre de la santé et cheville ouvrière du projet de loi voulu par M. Macron. Redevenue députée (Horizons) de Seine-Maritime, elle rappelait le principe, en juin 2024 : « L’auto-ingestion est la règle, l’hétéro‑ingestion, l’intervention d’un tiers [en l’occurrence d’un soignant], l’exception. » Une raison impérieuse dictait cette stratégie, « la nécessité de convaincre un maximum de professionnels d’accompagner les patients jusqu’au bout, expliquait-elle alors. Or, un grand nombre d’entre eux accepteront de le faire parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas à effectuer le geste ».
« Tout sauf anodin »
Catherine Vautrin, ministre de la santé chargée de défendre le projet de loi en juin 2024, avait aussi érigé « l’autoadministration » de la substance létale en vertu cardinale du texte, propre à garantir « l’autonomie » du malade. Le 9 avril, devant la commission des affaires sociales, Mme Vautrin, qui portera à nouveau la voix du gouvernement en mai, s’était félicitée que la proposition de loi de M. Falorni « n’instaure pas un modèle euthanasique. L’intervention d’un tiers n’est envisagée que si le patient physiquement empêché ne peut s’administrer lui-même la substance létale ». L’amendement voté vendredi a rendu caduque cette affirmation.
Il ouvre enfin une brèche dans laquelle s’engouffrent les adversaires de l’aide à mourir. Patrick Hetzel, député (Les Républicains) du Bas-Rhin, a dénoncé, vendredi, « cet amendement tout sauf anodin », mettant en garde contre l’affirmation d’« un droit individuel » qui impliquerait « de se reporter sur un tiers pour administrer une substance létale. Il ne faut pas imaginer que psychologiquement cela n’a pas d’incidence sur le tiers ».
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Les modalités de l’administration de la substance létale ont également été évoquées au cours des auditions des professionnels de santé en commission des affaires sociales avant l’examen de la proposition de loi.
Le 25 mars, le professeur Régis Aubry a notamment rappelé les raisons qui ont conduit le comité national consultatif d’éthique, dont il est membre, à se prononcer, en septembre 2022, pour un accès au suicide assisté avec exception d’euthanasie. « L’expérience des pays ayant dépénalisé l’assistance au suicide [assisté] montre que les personnes ayant fait une demande jugée recevable conservent la possibilité d’exprimer leur ambivalence et de changer d’avis », a exposé M. Aubry, corapporteur de l’avis. Il avait ajouté : « L’assistance au suicide soulève moins de questions éthiques pour les professionnels de santé que l’euthanasie active. Dans le cas de l’assistance au suicide, le professionnel agit comme facilitateur, et non comme acteur direct. Cette distinction fondamentale est bien explicitée dans la proposition de loi. »Elle ne l’est plus à ce stade.