Traitement contre les maladies mentales : malgré leur efficacité thérapeutique, certains centres experts sont menacés de fermeture

écouter (5min)

Alors qu’ils ont montré leur efficacité selon les psychiatres qui y travaillent, plusieurs des 54 centres experts que compte le pays pourraient fermer leurs portes dès cette année, faute de dotation.

Article rédigé par Anne-Laure Dagnet

Radio France

Publié le 14/04/2025 06:45Mis à jour le 14/04/2025 06:47 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/reportage-traitement-contre-les-maladies-mentales-malgre-leur-efficacite-therapeutique-les-centres-experts-sont-menaces_7161753.html

Temps de lecture : 5min

Dans les couloirs du centre expert psychiatrie de Créteil, dans le Val-de-Marne, en avril 2025. (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Dans les couloirs du centre expert psychiatrie de Créteil, dans le Val-de-Marne, en avril 2025. (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Ils sont essentiels pour tous ceux qui souffrent de graves maladies psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Les centres experts sont menacés car leur mode de financement a changé cette année et certains des 54 établissements sont privés de dotations publiques. Or ce sont les seuls à fournir aux malades un bilan complet et des thérapies innovantes. franceinfo a rencontré des patients et des équipes qui les suivent à l’hôpital Albert Chenevier de l’AP-HP à Créteil, dans le Val-de-Marne.

:à lire aussiREPORTAGE. « C’est gagnant-gagnant pour tout le monde » : à Paris, une unité mobile de psychiatrie, alternative à l’hospitalisation pour des schizophrènes

Dans le bâtiment un peu décrépit du pôle psychiatrie, un père et son fils de 26 ans ont rendez-vous avec l’un des psychiatres du centre. « Aujourd’hui, c’est une consultation qui va durer à peu près une heure, explique le docteur Franck Schürhoff. Après, on fera le bilan. » Ce père est venu à l’hôpital Albert Chenevier de l’AP-HP de Créteil sur recommandation du psychiatre qui suit son fils en ville. « On veut définir exactement ce qui se passe pour pouvoir trouver une parade à tous ses freins », dit-il. « Ce qui me gêne actuellement, ce sont des pensées intrusives… complète son fils d’un ton hésitant. J’ai un trouble aussi un peu délirant. J’ai une mauvaise mémoire… »

Et son père de reprendre : « En fait, il s’apercevait qu’il ne pouvait pas être avec les autreset qu’il avait l’impression d’être vu, regardé, qu’on va l’attaquer, qu’il est sous écoute… Ça a été très dur. »

Un bilan global

Ce jeune homme est schizophrène et son traitement ne suffit pas à canaliser ses troubles. Ce jour-là, c’est le psychiatre qui coordonne le centre expert de Créteil qui le reçoit dans une petite salle, équipée d’une table et d’un ordinateur : « On va faire un point général sur l’histoire des problèmes psychologiques. Là, j’ai cru comprendre que ça avait démarré depuis à peu près deux ans. Et ensuite, je vous listerai tout un tas de symptômes, qu’on voit dans différentes pathologies d’ailleurs, et, pour chacun, vous me direz si vous les avez déjà eus ou si vous les avez actuellement. »

Après cette consultation, le professeur Franck Schürhoff dressera un bilan global avec un infirmier pour des analyses de sang, une prise de tension, un électrocardiogramme. Il fera aussi intervenir un neuropsychologue. Et à l’issue de ce bilan étalé sur deux jours, le psychiatre proposera à ce jeune homme toute une gamme de soins, c’est ce qui rend ces centres experts uniques. « On est indispensable parce qu’on propose une amélioration dans la prise en charge des patients avec des armes thérapeutiques qui n’existent pas forcément ailleurs », soutient Franck Schürhoff.

« Améliorer la mémoire des patients, améliorer leurs capacités intentionnelles, améliorer leur fonctionnement dans le quotidien, leur façon de penser quand elle est pathologique. On peut travailler avec les patients sur leur capacité à sortir de l’isolement social, du repli. »Franck Schürhoff, psychiatre à l’hôpital Albert Chenevier de l’AP-HP à Créteil

à franceinfo

L’équipe à Créteil reçoit une dizaine de nouveaux patients par semaine pour réaliser ces bilans particulièrement poussés. Et dans toute la France, ce sont plus de 20 000 personnes qui ont été évaluées par les 54 centres experts en psychiatrie.

Plébiscité par les patients et les médecins

Les centres experts s’occupent aussi de l’autisme et des dépressions sévères. Ils sont plébiscités par les patients, parce que cela fonctionne. Cela a permis à Patricia, professeure d’histoire à la retraite bipolaire, de maîtriser sa maladie. Elle a été suivie pendant trois ans par un centre expert qui lui a recommandé un médicament qui lui a changé la vie. « Ça m’a donné des outils pour pouvoir reprendre ma vie en main, dans le sens où quand j’ai été diagnostiquée bipolaire, le monde s’est écroulé. C’est-à-dire qu’en fait, je ne savais plus qui j’étais. J’étais persuadée que j’étais folle. Ce qui n’est pas le cas. Mais quand on a un diagnostic comme ça, on ne sait pas », explique-t-elle.

« J’ai réussi en 10 ans ce que peut-être certains ne pourraient que réussir en 20 ou 30 ans, parce que le centre expert a été un environnement très positif pour m’aider, pour me soutenir aussi vers le rétablissement. »Patricia, patiente bipolaire

à franceinfo

Depuis, Patricia n’a plus jamais été hospitalisée à cause d’un épisode maniaque ou d’une phase dépressive. C’est ce type de succès thérapeutiques que la psychiatre Marion Leboyer met en avant face aux menaces qui pèsent sur ces centres.

Patricia, une patiente bipolaire dans un centre expert psychiatrie à Créteil, dans le Val-de-Marne. (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Patricia, une patiente bipolaire dans un centre expert psychiatrie à Créteil, dans le Val-de-Marne. (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Le ministère de la Santé a en effet modifié leur mode de financement, mais la dirigeante de la fondation FondaMental a des arguments pour défendre son réseau : « On a montré qu’il y a une diminution de 50% des journées de réhospitalisation, 12 mois après un passage sur un centre expert. Donc, on imagine bien que si ses patients vont mieux, le système global s’améliore parce qu’ils vont moins aux urgences, parce qu’ils coûtent moins cher et qu’on peut réallouer des budgets à d’autres choses. Donc globalement, ce système a montré toute son efficacité », affirme la psychiatre.

Faute de dotations suffisantes pour les hôpitaux dont ils dépendent, certains centres experts comme ceux de Clermont-Ferrand ou de Strasbourg pourraient fermer leurs portes dès cette année.

Commentaire :

Geneviève HenaultGeneviève Henault • 1er1erPsychiatre à l’hôpital publicPsychiatre à l’hôpital public 15 h • Modifié • Il y a 15 heures

] Encore de la publicité pour les centres experts, portée par une chaîne d’information publique.

Il faut le dire et le répéter puisque le ou la journaliste n’a pas jugé bon de le faire ici : les centres experts font du diagnostic et ne proposent pas de soins.

Allez, encore une fois : les centres experts diagnostiquent et renvoient les patients vers l’adresseur. C’est-à-dire vers le médecin psychiatre qui a sollicité une consultation « experte ». Quand ce médecin travaille en psychiatrie publique, l’immense majorité du temps il n’est pas en mesure de pouvoir proposer la mise en oeuvre des préconisations. Et c’est probablement le cas également pour les psychiatres en privé et libéral.

Tout simplement parce qu’il n’y a pas de moyens sur l’aval. La psychiatrie est détruite par des années de sous-financement et par un désintérêt total des politiques de santé. La psychiatrie publique meurt et soigne de moins en moins à mesure que les besoins explosent. Les centres experts, financés en grande partie par des « mécènes » grands groupes du CAC40, sont nés sur les cendres fumantes de la psychiatrie publique.

Encore une fois puisque le ou la journaliste ne l’a pas mentionné : les centres experts sont en grande partie financés par l’industrie privée, dont des laboratoires pharmaceutiques (1) (2).

Dire qu’ils sont « essentiels pour tous ceux qui souffrent de graves maladies psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires » est FAUX. Les psychiatres de l’hôpital public, les confrères en clinique ou en libéral, sont compétents pour diagnostiquer une schizophrénie ou une bipolarité ou tout autre trouble psychiatrique.

Alors moi, quand j’adresse des patients en centre expert – cela m’arrive quand ils ou elles me le demandent – et qu’ils reviennent avec une longue liste de préconisations impossibles à leur proposer, je dois expliquer. Expliquer encore le gouffre immense entre ce que l’on vend et la réalité, le gouffre entre la théorie et les pratiques de terrain, là où l’on essaye de bricoler tant bien que mal avec des moyens toujours très insuffisants et à mille lieues de toute la « gamme de soins » comme dit le confrère dans l’article.

Dernier exemple en date, il y a quelques jours seulement. Un de mes jeunes patients autistes revient avec une liste de préconisations d’un centre expert. Je travaille en région parisienne, pas au fin fond d’un département rural. Mon patient est autonome dans les transports. Je cherche des lieux, institutions, publiques ou privées peu importe, qui pourraient proposer le type de « soins » préconisés par le centre expert. Je passe des coups de fil. J’écris des mails. Je demande à mes collègues. A chaque fois : « Ah non, il n’y a pas ça, dans le coin. Ni ça ». A Paris.


(1) https://lnkd.in/e_vtWDwx
(2) https://lnkd.in/e38NhU-m

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire