Les premiers déserts médicaux sont les hôpitaux publics

Déserts médicaux : « Tout le monde souhaite une répartition équitable des médecins sur le territoire, mais comment répartir ce qui n’existe plus ? »

Tribune

Trois médecins hospitaliers réagissent, dans une tribune au « Monde », au débat parlementaire sur les déserts médicaux. Pour eux, il ne s’agit pas tant de mieux répartir les professionnels de santé que de s’assurer qu’ils soient suffisamment nombreux.

Publié hier à 08h00, modifié hier à 10h50  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/14/deserts-medicaux-tout-le-monde-souhaite-une-repartition-equitable-des-medecins-sur-le-territoire-mais-comment-repartir-ce-qui-n-existe-plus_6595826_3232.html#:~:text=Une%20v%C3%A9rit%C3%A9%20gla%C3%A7ante%20s,territoire%20aussi%20d%C3%A9laiss%C3%A9%20qu’hostile.

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Une vérité glaçante s’impose alors que les députés ont voté, le 2 avril, un article visant la régulation de l’installation des médecins libéraux : les premiers déserts médicaux sont les hôpitaux publics eux-mêmes, devenus un territoire aussi délaissé qu’hostile.

Le nombre de postes de praticiens hospitaliers vacants a explosé. En 2024, plus d’un sur trois n’était pas pourvu. En 2008, on comptait déjà 20 % de postes vacants, un chiffre global qui cache une réalité encore plus sombre pour certaines spécialités. En 2024, seuls 52 % des postes en psychiatrie étaient occupés par des titulaires, contre près de 75 % dix ans auparavant. L’anesthésie-réanimation et la radiologie subissent une désaffection médicale similaire, alors même que le caractère transversal de leur pratique a des répercussions sur l’ensemble des disciplines hospitalières.

Tout le monde souhaite une répartition équitable des médecins sur le territoire, cette question est au cœur de la loi récemment votée. Mais comment répartir ce qui n’existe plus ? La ressource humaine s’effondre, la pénurie devient la norme, le désespoir guette. Et ce même au sein d’institutions établies comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ou éminemment respectables comme l’Institut mutualiste Montsouris, pour lesquelles l’Etat doit engager sa responsabilité.

Ne nous trompons pas de combat

Patients, soignants, territoires… tous paient le prix d’un hôpital public vidé lentement de ses forces vives. Et pendant que l’on cible les jeunes libéraux en formation, les services hospitaliers tombent en friche. Nous, médecins hospitaliers, amoureux et défenseurs du service public, ne voulons pas de « régulation de l’installation », selon les termes employés dans la proposition de loi. Nous ne voulons pas des coquilles vides, mais des postes attractifs et des effectifs à la hauteur des besoins au sein d’hôpitaux vivants permettant de prendre soin d’une population qui nous fait confiance.

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Notre système de soins ne répond pas au défi de l’attractivité des carrières. Ce n’est pas en ajoutant de la contrainte et de la coercition que nos députés aideront à mieux soigner nos concitoyens. Ne nous trompons pas de combat. Ce qui manque, c’est une vision, une volonté politique de reconstruire un système de soin global efficient, au cœur duquel se trouverait un hôpital attractif, formateur et soutenable.

Ce constat alarmant pour les centres hospitaliers vaut tout autant pour les centres hospitalo-universitaires. On pourrait croire que leur caractère universitaire les ferait bénéficier d’une attractivité et de meilleures conditions pour retenir les vocations. Il n’en est rien.

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La chute d’attractivité des postes de chefs de clinique en est un symbole accablant. Jadis considérés comme le Graal pour les jeunes médecins souhaitant conjuguer soins, recherche et enseignement, ces postes peinent désormais à trouver preneurs. En 2024, près de 15 % de ces postes sont restés vacants, un phénomène inédit. Ce sont eux qui aident les professeurs à assurer l’enseignement et la formation des plus jeunes, internes et étudiants en médecine. Si la transmission du savoir médical n’est plus assurée, qui nous soignera dans le futur ? Qui assurera la transmission de l’apprentissage de la recherche et de l’innovation de demain ?

Engagement professionnel et équilibre de vie

Comment est-il possible que nous en soyons là ? Parmi les facteurs d’explication : des charges d’enseignement de plus en plus lourdes, une pression clinique constante qui s’ajoute au manque de praticiens titulaires, des semaines dépassant largement les cinquante heures, le tout sans reconnaissance, au sein de structures suradministrées et sous-gérées. Les jeunes médecins ne fuient pas la mission hospitalière, ils refusent une forme de maltraitance institutionnelle qui se diffuse en cascade. Un hôpital qui épuise ceux qui soignent finit par maltraiter ceux qui sont soignés.

Affiche de recrutement de médecins locaux à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor), le 11 avril 2025.
Affiche de recrutement de médecins locaux à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor), le 11 avril 2025. DAMIEN MEYER/AFP

En 1958, le gouvernement, sous l’impulsion de Michel Debré, avait saisi l’urgence de la situation, et assumé la responsabilité sociale majeure que représente l’hôpital public. Cela s’était traduit par une série d’ordonnances, avec l’intuition majeure que soins, enseignement et recherche sont indissociables. Cette certitude a permis d’asseoir le prestige international de nos centres hospitalo-universitaires. La difficulté d’accès aux soins que tous constatent aujourd’hui s’accompagne d’une réduction de l’offre d’enseignement et de recherche. Nous avons besoin d’une prise de conscience similaire à celle de 1958.

Dès lors, nos revendications ne sont ni exceptionnelles ni irréalistes. Nous demandons d’abord une défense de toutes les disciplines sans exception et de tous les statuts, titulaires ou contractuels, hospitaliers ou hospitalo-universitaires. Nous insistons ensuite sur l’importance d’observer un temps de travail choisi, respectueux de la vie personnelle, qui permette de concilier engagement professionnel et équilibre de vie. Il est également impératif d’accéder à une juste rémunération du travail, en journée comme lors des gardes et astreintes, ainsi qu’à une protection sociale et de prévoyance digne de ce nom.

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Enfin, nous demandons une valorisation de l’innovation, de la pertinence et de la qualité des soins, avec une formation réelle, accessible et appropriée, pour les étudiants et les internes comme pour leurs aînés, et ce tout au long de la carrière. De la même manière, il est souhaitable de procéder à une simplification des exercices professionnels libéraux et publics, notamment pour ceux souhaitant bénéficier de temps partiel, tout au long de la carrière, mais aussi du cumul emploi-retraite.

Espérons que la clairvoyance sur l’état réel de nos hôpitaux et de notre système de soins en ces temps de crise permettra de faire prendre conscience à tous de l’impérieuse nécessité de prendre des mesures courageuses. Il s’agit de traiter la cause réelle et profonde du mal, et non de se focaliser uniquement sur des mesures symptomatiques ou cosmétiques, qui ne feront que retarder encore la nécessité de considérer notre système de soins dans son ensemble.

Sadek Beloucif est professeur d’anesthésie-réanimation et président du Syndicat national des médecins des hôpitaux publics ; Myriam Edjlali-Goujon est professeure de neuroradiologie à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; Norbert Skurnik est psychiatre des hôpitaux et président de la Coordination médicale hospitalière.

Commentaire Dr Jean SCHEFFER

Par ces temps où on ne parle que de déserts médicaux en généralistes, il était bon de souligner que le manque de praticiens était criant en milieu hospitalier. surtout dans les hôpitaux généraux (-40%) et psychiatriques(-50%).

Ces praticiens comptent sur l’augmentation du nombre de médecins formés , mais cette augmentation existe depuis un an pour les généralistes et bien avant pour les spécialistes et ceci sans aucun résultat. Les déserts médicaux en généralistes continuent de s’aggraver depuis de même que la perte d’attractivité des postes hospitaliers.

Cette attractivité ne reviendra pas en un jour, et c’est pourquoi, d’urgence, il est impératif de créer le « clinicat assistanat pour tous *» que je souhaite depuis plus de dix ans (que de temps perdu!).

Par contre il est navrant de voir des collègues hospitaliers critiquer la PPL inter-partisane de Guillaume Garot qui se propose d’améliorer l’accès aux généralistes et aux spécialistes a travers une régulation de l’installation (mais d’une trop faible partie) des jeunes médecins. Mais il ne faut pas s’en étonner de la part de praticiens orientés a droite politiquement dans leurs syndicats hospitaliers respectifs (CMH et SNMHP) et proches des syndicats de médecins libéraux.

Dans le même état d’esprit, on n’est pas étonné que ces derniers ne parlent pas de démocratisation de la gestion des services dans le cadre de départements, qui associeraient l’ensemble des personnels soignants et non soignants avec l’expression des besoins exprimés a partir du service. Ce serait un des moyens de restauration de l’attractivité…

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*Le manque des médecins est partout, dans toutes les disciplines, dans toutes les formes d’activité, salariées et libérales

Il s’agit donc à mon sens de voir l’ensemble des problèmes et de les solutionner en même temps, ce qui est possible.

La solution c’est un « Clinicat-Assistanat pour tous », en fin d’internat, obligatoire pour tous les futurs généralistes et les futurs spécialistes, d’une durée de 3 ans. L’activité serait partagée entre divers établissements, à l’image des assistants partagés actuels entre hôpitaux Généraux (CHG) et CHU. Les chefs de clinique-Assistants auraient leur activité entre CHU et CHG pour les futurs spécialistes; entre CHG-CHU et PMI, CMP, santé publique, santé scolaire, médecine pénitentiaire, médecine du travail, EHPAD… ; entre CHG et centres de santé et maisons de santé… Il s’agit donc par un seul et même dispositif de solutionner en quelques années l’ensemble des manques criants et urgents de médecins dans tous les domaines, dans toutes spécialités, sans pénaliser une catégorie, les futurs généralistes par exemple, ou les étudiants en médecine peu fortunés, obligés de s’installer dans un désert pour se payer leurs études.  Cela évitera de plus le dumping entre villes, entre départements pour recruter ou débaucher, les jeunes en fin d’internat, ou ceux déjà installés et répondant à une offre plus alléchante. Il faudra définir par région, département et territoire, les manques les plus urgents en généralistes et spécialistes, et en tirer les conséquences sur la répartition par spécialité pour la première année d’internat et pour les postes de « Clinicat-Assistanat »

La motivation de ma proposition est sur le lien « Vision Globale -Solution globale »:

HTTPS://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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