« Il serait judicieux de limiter la régulation territoriale aux médecins pratiquant des dépassements d’honoraires »
Date de publication : 15 avril 2025

Le Monde publie la tribune d’un collectif de médecins (dont François Bourdillon, médecin de santé publique, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019 ; ou encore André Grimaldi, diabétologue, professeur émérite de médecine) qui « appelle (…) à réguler l’installation en secteur 2 des professionnels de santé. Ils expliquent que les difficultés dans l’accès aux soins relèvent autant d’inégalités financières que géographiques ».
Les signataires écrivent ainsi que « l’Assemblée nationale a voté en première lecture (…) l’article 1 d’une proposition de loi d’initiative transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux et instaurant la régulation de l’installation pour les médecins. C’est une première et l’événement est vécu comme un coup de tonnerre par les médecins libéraux, qui défendent bec et ongles la liberté d’installation ».
Ils notent que « l’ensemble des syndicats médicaux libéraux, (…) les associations d’internes et d’étudiants en médecine et l’Ordre des médecins ont signé un communiqué de presse dénonçant le danger d’une telle mesure qui, selon eux, contribuerait à «détourner les jeunes médecins de l’installation au profit d’autres exercices, ou d’une fuite vers l’étranger», et aboutirait à une aggravation de la situation qu’elle prétend combattre ».
Les signataires remarquent que « ces prédictions alarmistes ne s’appuient sur aucune donnée sérieuse, car ce n’est pas ce qui a été observé à la suite de la régulation de l’installation des autres professionnels de santé (pharmaciens, infirmières, kinésithérapeutes…) en France, ni en Allemagne ou au Canada, où l’installation des médecins est régulée ».
Le collectif note que « de nombreuses initiatives ont vu le jour, sans réel succès, pour tenter de remédier à ces difficultés d’accès aux soins. (…) Un certain degré de contrôle est donc devenu incontournable. Lorsque la ressource est rare, il est indispensable qu’elle soit régulée. De la même manière, lorsque les acteurs sont incapables d’organiser cette régulation, il est logique de demander à la puissance publique d’agir dans l’intérêt général ».
Les signataires indiquent ainsi que « la mesure de régulation adoptée par l’Assemblée nationale se veut une restriction d’installation sur le modèle qui existe déjà pour les autres professions de santé. Très limitée, cette restriction ne touchera que 13% du territoire, où l’offre de soins est jugée suffisante. Dans ces territoires, l’autorisation d’installation de médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés, sera conditionnée au départ en retraite d’un médecin de la même spécialité ».
Ils ajoutent que « le législateur respecte par sa proposition la hiérarchie des valeurs médicales et la hiérarchie des normes républicaines : l’égalité des citoyens à l’accès aux soins de qualité inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 passe avant la liberté totale et sans restriction de l’installation médicale ».
Les signataires concluent : « La proposition de loi sera-t-elle définitivement adoptée par le Parlement ? Nul ne peut le savoir, tant l’histoire a montré que le front syndical médical libéral est puissant et déterminé à faire prévaloir l’intérêt de la corporation médicale sur l’intérêt général ».
« Pour éviter un blocage et un nouveau recul dans l’accès aux soins, il serait judicieux de prendre en compte les inégalités financières d’accès aux soins, en limitant l’application de la régulation territoriale aux seuls médecins installés en secteur 2 pratiquant les dépassements d’honoraires, tout en préservant la liberté complète d’installation pour les médecins du secteur 1 qui respectent les tarifs de la Sécurité sociale », écrit le collectif.
« Il serait judicieux de limiter la régulation territoriale aux médecins pratiquant des dépassements d’honoraires »
Tribune
Le 2 avril, l’Assemblée nationale a voté en première lecture, et ce contre l’avis du gouvernement, l’article 1 d’une proposition de loi d’initiative transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux et instaurant la régulation de l’installation pour les médecins. C’est une première et l’événement est vécu comme un coup de tonnerre par les médecins libéraux, qui défendent bec et ongles la liberté d’installation, alors même que plus de 90 % des Français et Françaises sont favorables à un « encadrement de l’installation ».
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Depuis ce vote, l’ensemble des syndicats médicaux libéraux, toutes tendances confondues, les associations d’internes et d’étudiants en médecine et l’ordre des médecins ont signé un communiqué de presse dénonçant le danger d’une telle mesure qui, selon eux, contribuerait à « détourner les jeunes médecins de l’installation au profit d’autres exercices, ou d’une fuite vers l’étranger », et aboutirait à une aggravation de la situation qu’elle prétend combattre.
Ces prédictions alarmistes ne s’appuient sur aucune donnée sérieuse, car ce n’est pas ce qui a été observé à la suite de la régulation de l’installation des autres professionnels de santé (pharmaciens, infirmières, kinésithérapeutes…) en France, ni en Allemagne ou au Canada, où l’installation des médecins est régulée.
La situation s’aggrave
Les Français sont confrontés à des déserts médicaux de plus en plus nombreux et à des difficultés majeures d’accès aux soins. La variation d’un territoire à l’autre du nombre de médecins par habitant peut aller du simple au triple pour les médecins généralistes et de 1 à 6 pour les ophtalmologistes et les psychiatres.
Plus de 15 millions de Français rencontrent des difficultés pour accéder à un médecin généraliste et 600 000 patients en affection de longue durée n’ont pas de médecin traitant. Et la moitié des médecins généralistes n’élargissent plus leur patientèle.

Près d’un quart des patientes de plus de 15 ans réside dans un désert gynécologique et près de 20 % de la population vit dans un désert ophtalmologique. D’une manière générale, la situation, toutes professions confondues, est particulièrement dégradée dans la France dite « périphérique ». Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, la situation tend à s’aggraver : en 2010, les 10 % des départements les mieux dotés avaient une densité de médecins spécialistes 2,2 fois supérieure à celle des 10 % des départements les moins bien dotés, un rapport qui passe à 2,9 en 2024.
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Rappelons également que l’inégalité d’accès aux spécialistes est encore accentuée par des facteurs économiques, dans la mesure où plus de la moitié d’entre eux sont installés en secteur 2, ce qui autorise les dépassements d’honoraires. Par conséquent, le nombre de patients qui renoncent à des soins pour des raisons financières ne cesse de croître.
Mais alors, que faire ? De nombreuses initiatives ont vu le jour, sans réel succès, pour tenter de remédier à ces difficultés d’accès aux soins : augmentation du nombre de professionnels formés, incitation à l’installation par des aides financières diverses, développement du cumul emploi-retraite, mise en place de « médicobus »… Il faut encore souligner les actions visant à favoriser une meilleure organisation territoriale des soins et le travail en équipe pluriprofessionnelle médicale et paramédicale. L’Académie de médecine a même été jusqu’à proposer un service d’intérêt général de santé pour les jeunes médecins.
L’égalité des citoyens passe avant la liberté totale
Un certain degré de contrôle est donc devenu incontournable. Lorsque la ressource est rare, il est indispensable qu’elle soit régulée. De la même manière, lorsque les acteurs sont incapables d’organiser cette régulation, il est logique de demander à la puissance publique d’agir dans l’intérêt général.
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La mesure de régulation adoptée par l’Assemblée nationale se veut une restriction d’installation sur le modèle qui existe déjà pour les autres professions de santé. Très limitée, cette restriction ne touchera que 13 % du territoire, où l’offre de soins est jugée suffisante. Dans ces territoires, l’autorisation d’installation de médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés, sera conditionnée au départ en retraite d’un médecin de la même spécialité.
En zone sous-dotée, soit 87 % du territoire, l’autorisation serait délivrée de droit pour toute nouvelle installation. Ce faisant, le législateur respecte par sa proposition la hiérarchie des valeurs médicales et la hiérarchie des normes républicaines : l ’égalité des citoyens à l’accès aux soins de qualité inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 passe avant la liberté totale et sans restriction de l’installation médicale.
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La proposition de loi sera-t-elle définitivement adoptée par le Parlement ? Nul ne peut le savoir, tant l’histoire a montré que le front syndical médical libéral est puissant et déterminé à faire prévaloir l’intérêt de la corporation médicale sur l’intérêt général. Pour éviter un blocage et un nouveau recul dans l’accès aux soins, il serait judicieux de prendre en compte les inégalités financières d’accès aux soins, en limitant l’application de la régulation territoriale aux seuls médecins installés en secteur 2 pratiquant les dépassements d’honoraires, tout en préservant la liberté complète d’installation pour les médecins du secteur 1 qui respectent les tarifs de la Sécurité sociale.
Cette mesure mettrait en lumière la volonté de lutter contre les inégalités territoriales et sociales de santé en même temps que contre les inégalités de revenus entre médecins. En matière de santé, l’égalité est une valeur conforme à la fois à l’éthique médicale et au principe républicain.
François Bourdillon, médecin de santé publique, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019 ; Mady Denantes, médecin généraliste ; Anne Gervais, hépatologue ; André Grimaldi, diabétologue, professeur émérite de médecine ; Dora Lévy, médecin généraliste ; Olivier Milleron, cardiologue.
Commentaire Dr Jean SCHEFFER
Les auteurs après des affirmations très fortes * semblent prévoir une nouvelle défaite de ceux qui souhaitent réguler les installations des praticiens généralistes et spécialistes.
Pourtant la PPL tans-partisane de Guillaume Garot est déjà une proposition à minima puisqu’elle ne concerne que 13% du territoire et que 20% des généralistes sur une promotion !
Alors, acceptant la défaite, ils proposent une mesure encore moins restrictive en demandant à ce que les médecins en secteur 2 (dépassements d’honoraires) soient les seuls à être soumis à la régulation proposée par la PPL trans-partisane. En pratique comme il n’y a que moins de 3% de dépassements par les actes effectués par les généralistes cela signifie que les généralistes échappent à toute régulation !
C’est à croire que ces universitaires vivent dans un milieu où tout le monde pratique des dépassements d’honoraires.
Pour mémoire, les déserts médicaux sont loin d’être uniquement dans les soins ambulatoires de médecine générale ou spécialisée. On ne parle depuis quelques temps que de ces secteurs. Il sont aussi dans les Hôpitaux avec 30 % des postes vacants (40% dans les hôpitaux généraux), dans les hôpitaux psychiatriques, les CMP, les PMI, la médecins scolaire, médecins du travail, santé publique, médecine pénitentiaire…Le manque des médecins est partout, dans toutes les disciplines, dans toutes les formes d’activité, salariées et libérales. Il s’agit donc à mon sens de voir l’ensemble des problèmes et de les solutionner en même temps, ce qui est possible.
La solution c’est un Clinicat-Assistanat pour tous, en fin d’internat, obligatoire pour tous les futurs généralistes et les futurs spécialistes, d’une durée de 3 ans. L’activité serait partagée entre divers établissements à l’image des assistants partagés actuels entre CHG et CHU: entre CHU et CHG pour les futurs spécialistes; entre CHG-CHU et PMI, CMP, santé publique, santé scolaire, médecine pénitentiaire, médecine du travail… ; entre CHG et centres de santé et maisons de santé… Il s’agit donc par un seul et même dispositif de solutionner en quelques années l’ensemble des manques criants et urgents de médecins dans tous les domaines, dans toutes spécialités, sans pénaliser une catégorie, les futurs généralistes par exemple, ou les étudiants en médecine peu fortunés, obligés de s’installer dans un désert pour se payer ses études. Il faudra définir par région, département et territoire, les manques les plus urgents en généralistes et spécialistes, et en tirer les conséquences sur la répartition par spécialité pour la première année d’internat. Voir: https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=C9jccc
* l ’égalité des citoyens à l’accès aux soins de qualité inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 passe avant la liberté totale et sans restriction de l’installation médicale.
Un collectif plaide pour limiter la régulation de l’installation aux médecins de secteur 2
Face à la forte opposition des libéraux et pour « éviter tout blocage », un collectif de médecins appelle dans Le Monde à limiter la mesure de régulation territoriale aux médecins pratiquant des dépassements d’honoraires.
Par Aveline Marques

Face à la progression des inégalités d’accès aux soins, la régulation de l’installation des médecins est une mesure devenue « incontournable », affirme dans Le Monde un collectif de six médecins. « Lorsque la ressource est rare, il est indispensable qu’elle soit régulée. De la même manière, lorsque les acteurs sont incapables d’organiser cette régulation, il est logique de demander à la puissance publique d’agir dans l’intérêt général », écrivent les Prs André Grimaldi et François Bourdillon ou encore la généraliste Maddy Denantes. Pour ces derniers, « l’égalité des citoyens à l’accès aux soins de qualité inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 passe avant la liberté totale et sans restriction de l’installation médicale », estiment-ils.
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Mais bien que soutenue par 90% de la population française, rappellent-ils, la régulation de l’installation votée le 2 avril par les députés dans la proposition de loi Garot est encore loin d’être adoptée. « L’histoire a montré que le front syndical médical libéral est puissant et déterminé à faire prévaloir l’intérêt de la corporation médicale sur l’intérêt général », lance ce collectif de médecins.
Lutter « contre les inégalités de revenus entre médecins »
« Pour éviter un blocage et un nouveau recul dans l’accès aux soins, il serait judicieux de prendre en compte les inégalités financières d’accès aux soins, en limitant l’application de la régulation territoriale aux seuls médecins installés en secteur 2 pratiquant les dépassements d’honoraires, tout en préservant la liberté complète d’installation pour les médecins du secteur 1 qui respectent les tarifs de la Sécurité sociale », suggèrent-ils dans cette tribune. « Cette mesure mettrait en lumière la volonté de lutter contre les inégalités territoriales et sociales de santé en même temps que contre les inégalités de revenus entre médecins », plaident-ils.
[avec LeMonde.fr]