Haro sur l’atteinte à la liberté d’installation, mais où sont les propositions ?

Régulation de l’installation des médecins : un remède pire que le mal ?

Aurélie Haroche | 04 Avril 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/régulation-linstallation-des-médecins-remè-2025a1000864?ecd=wnl_all_250413_jim_top-jim_

Contre l’avis du gouvernement (dont la position n’est par ailleurs pas univoque), l’Assemblée nationale a adopté en première lecture mercredi le premier article de la proposition de loi portée par l’élu socialiste de Mayenne Guillaume Garot.

Ce texte vise à restreindre la possibilité pour les médecins de s’installer dans les zones qui ne sont pas considérées comme « sous denses » où les nouvelles installations seront limitées aux remplacements de praticiens en partance.

Nul doute que la mobilisation des médecins dont les représentants sont unanimes (comme en témoigne le communiqué signé par l’ensemble des syndicats dès mercredi soir) devrait conduire à une évolution du texte au cours du parcours législatif. Il n’empêche que cette adoption constitue comme un « coup de tonnerre ».

Les praticiens n’ignorent pas qu’ils devront redoubler de conviction pour faire entendre leurs arguments, alors que la classe politique est de plus en plus largement gagnée par l’idée que cette forme de contrainte est désormais incontournable, apparemment jusqu’au Premier ministre lui-même (bien que sa position n’ait pas été exposée parfaitement clairement). 

Une loi anti jeunes

Les médecins devront d’abord écarter les accusations habituelles de corporatisme. Beaucoup de critiques leur reprochant également d’empêcher les transferts de compétence vont ainsi dans ce sens.

Mais sur ce terrain de la liberté d’installation, les syndicats de médecins libéraux, qui sont immédiatement montés au créneau, le rappellent : il s’agit de défendre les jeunes praticiens mais aussi l’accès aux soins des Français.

« C’est une proposition anti libérale et anti jeunes » a ainsi lancé le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le Dr Franck Devulder, tandis que du côté de l’Union française pour une médecine libre (UFML), le Dr Jérôme Marty fustige un texte qui méprise les contraintes qui pèsent sur les internes. « En France, un interne se suicide tous les 18 jours » assène-t-il. 

Déshabiller Paul…

Mais défendre leurs futurs et jeunes confrères n’est pas suffisant pour convaincre du désintéressement des médecins. Les praticiens doivent œuvrer pour démontrer que cette régulation n’est qu’une fausse bonne idée, un gadget politique plébiscité par certains élus pour se donner bonne conscience mais qui pourrait se révéler un « remède pire que le mal » prophétise Franck Devulder.

Verra-t-on réellement plus de médecins dans les territoires désaffectés grâce à ce dispositif ? Même le Dr Stéphanie Rist, député très investie sur l’amélioration de l’accès aux soins et à l’origine d’une loi visant à accélérer les transferts de compétences, qui a fait plus que tiquer certains médecins, n’en est pas convaincue.

« Halte aux fausses promesses ! Prenons au sérieux l’idée (biaisée) de M. Garot que 400 médecins pourraient s’installer dans les déserts médicaux, soit 90 % du territoire. 400 par an, pour 32 760 communes, c’est mince. C’est un médecin pour 81 communes. Si on prend le Loiret, il faudrait 90 ans pour compenser les départs en retraite. La régulation est donc votée. Mais avec ce résultat, on ment aux Français sur son efficacité ! » démonte-t-elle sur X.

De leur côté, les syndicats invitent également à se pencher sur la situation des territoires considérés comme suffisamment dotés : « Son seul effet sera d’interdire des installations dans les 4 580 communes non classées comme sous dotées, pourtant loin d’être sur dotées, alors même que la demande de soins augmente, que de nouveaux habitants s’y installent, et que cela répond à une logique locale », remarquent-ils dans un communiqué commun.

« Est-ce qu’on a déjà vu une seule commune en France dire « J’ai trop de médecins pour mes habitants, tenez on vous en donne » ? Non, parce que ça n’existe pas », résume de façon plus tranchée le médecin répondant au pseudonyme Toubib (urgentiste) sur X.

« Interdire de nouvelles installations dans certaines communes « bien pourvues » reviendrait à priver ces territoires de renforts alors même que les médecins en place sont débordés et ne peuvent plus accepter de nouveaux patients ! » abonde le Dr Jérôme Barrière (oncologue). 

Des effets secondaires nombreux et négligés 

Miroir aux alouettes, la mesure pourrait donc avoir des conséquences plus délétères encore que sa simple inefficacité.

Outre le possible développement d’un désert médical généralisé, Franck Devulder en esquisse une autre avec la possible préférence de jeunes médecins pour la médecine salariée, à l’hôpital bien sûr, mais aussi dans des centres de santé, dont on sait que l’activité par praticien est moindre, ce qui conduira potentiellement à une réduction de l’offre de soins.

Toujours plus direct, comme à son accoutumée, le Dr Marty énumère de son côté les probables effets secondaires de la loi selon lui « déplaquage, abandon des études, expatriation (comme certains l’ont évoqué sur X, ndrl), aggravation des conditions de soin ». 

Et demain… 

De son côté, le Dr Thibaut Jacques (radiologue) s’essaye sur X à un exercice d’uchronie que d’aucuns qualifieront peut-être de dystopique.

« Imaginons que cette loi passe. Sachant qu’elle ne gère pas le problème de fond (la pénurie), et qu’elle oublie les difficultés actuelles (baisse des financements, arrivée massive des fonds d’investissement financiers dans le domaine de la santé) voici ce qu’il se passera ensuite : J1 grève des internes, externes et de quelques médecins rendue caduque par une campagne de dénigrement ciblée sur les médecins, ces nantis qui ne veulent plus aider la population, d’ailleurs c’était mieux avant quand il y avait des médecins dans tous les villages (…). Trois mois plus tard, quand ça sera définitivement acté (…) : ceux qui hésitaient déjà à arrêter le feront, ou commenceront des démarches pour aller à l’étranger (qui recrute). Ce n’est pas une majorité, mais il y en aura (ce qui n’améliorera pas la pénurie). Au bout de 6 mois, certains voudront s’installer. Comme il y a quand même des départs à la retraite, ils trouveront quand même des cabinets hors des zones sous dotées. Mais les futurs retraités vont faire monter les enchères s’il y a plusieurs candidats (…). Au bout d’un an les ARS vont enfin étudier le dossier et serrer les vis en se rendant compte que pour l’instant leur truc ne marche pas. Donc des gens vont se faire activement refouler. Mais plutôt que d’aller s’installer dans des endroits inconnus à 35 ans, ils vont contourner. Comment ? En ne s’installant pas, c’est simple ! Il n’est pas nécessaire de s’installer en libéral pour exercer, on peut par exemple : être salarié d’un centre de santé, faire de la téléconsultation, de la télé-imagerie, être salarié d’un hôpital (et ceux des métropoles recrutent). Nous voilà donc au bout de 2 ans et il ne se passe toujours rien car le problème de fond ce sont les effectifs et la démographie (…). Donc les ARS se font remonter les bretelles avant la présidentielle. Nous voilà en 2027 et les gens commencent à râler qu’ils ne voient toujours pas de médecin près de chez eux. Les pouvoirs publics passent donc à la vitesse suivante en rendant leurs critères d’installation dans les grandes métropoles encore plus sévères, et en étendant au salariat. Les groupes financiers et fonds d’investissement internationaux commencent à flairer l’aubaine : ils ouvrent donc des réseaux de centres multi-sites, incluant des centres dans les petites villes (soins primaires) et des centres dans les grandes villes (plateaux techniques). Pour ça, ils rachètent à prix d’or les plateaux déjà existants, ce qui fait l’affaire des futurs retraités qui signent des deux mains. Officiellement, les jeunes médecins seront bien installés en libéral dans le petit centre. En réalité ils n’y feront qu’un jour par semaine. Nous voilà en 2028: il n’y a toujours pas de médecins dans les villages, la médecine de ville telle qu’on l’a connue n’a plus rien à voir : les retraités ont pris un parachute doré, les jeunes sont exploités, les cadences augmentent, la médecine à deux vitesses s’accentue. Au final, les seuls qui en sortiront gagnants sont les groupes financiers (…) qui se gaveront sur cette nouvelle organisation (avant de se revendre), sans avoir à rendre de comptes sur la qualité des soins, et certains CH qui renfloueront (un peu) leurs effectifs », prophétise-t-il. 

Vous avez dit pénurie ? 

Bien sûr la démonstration pourrait ne pas convaincre pleinement, notamment parce que cette notion de pénurie est peut-être à nuancer. L’Ordre des médecins vient en effet de publier son atlas de la démographie médicale qui signale que la tendance à une (légère) augmentation des effectifs se poursuit et qui s’interroge même sur le risque d’un nombre trop important de médecins dans quelques années.

A travers cette analyse, l’Ordre confirme bien que l’enjeu principal concerne la répartition médicale plus que la pénurie (même si bien sûr l’Ordre est totalement hostile à la régulation). Cependant, l’atlas de l’Ordre confirme également la désaffection pour la médecine libérale, avec une diminution du nombre d’installations, ce qui est rappelé avec insistance par tous les syndicats.

Au-delà, la démonstration du Dr Jacques met en évidence le fait que la contrainte sera inévitablement contournée avec potentiellement une aggravation de la situation actuelle. Elle invite donc à se méfier des raisonnements simplistes qui voient dans ces dispositifs de régulation un mécanisme logique et donc implacable. 

Ceux qui se sont toujours trompés peuvent-ils avoir raison ? 

Dans le même esprit, mais de façon plus théorique, l’économiste spécialiste des questions de santé, Franck Bizard décrypte les « sophismes » associés à la régulation dans une contribution publiée par La Tribune *. Rappelant tout d’abord le triste précédent du numerus clausus, il juge que cette expérience malheureuse aurait dû vacciner les pouvoirs publics contre toute velléité de contrôler aveuglément la démographie médicale.

« L’histoire du numerus clausus nous a (…) appris qu’un outil aussi simpliste ne pouvait pas gérer une problématique aussi complexe, une deuxième leçon non retenue par les auteurs de la PPL 682. D’apparence séduisante, l’adaptation de la démographie médicale et de l’ensemble des ressources aux besoins de santé exige une organisation spécifique et est d’une grande complexité », introduit-il.

Franck Bizard récuse par ailleurs l’idée que la médecine libérale « une médecine universelle, de proximité (…) remplissant par essence l’esprit de service public » serait un frein à la lutte contre les déserts médicaux.

Il met en garde contre une étatisation à marche forcée, ignorant les attentes des principaux acteurs, à l’instar de ce qui s’est peu à peu imposé à l’hôpital. « Le professionnel hautement qualifié est devenu un pion au service d’une administration sans vision et ignorante des questions médicales », décrit-il. « Ainsi, le législateur de la PPL 682 s’apprête à confier à l’administration une tâche qu’elle est incapable de remplir dans le contexte actuel » conclut-il avant d’appeler à une réforme systémique. 

Des preuves imparfaites

Face à ces différents arguments, démonstrations et exemples, il est possible que les défenseurs de la régulation campent sur leur position, évoquant notamment comme souvent les cas des pharmaciens ou encore des chirurgiens-dentistes.

Pourtant, les situations de ces professions ne seraient non seulement pas tout à fait comparables à celle des médecins, mais n’offriraient en outre pas tout à fait la preuve de l’efficacité des systèmes de régulation. En effet, comme le rappelle le Dr Marty, des pharmacies ferment chaque année en France : 4 000 ont disparu depuis 2007, dont 300 pour la seule année 2023.

La très grande majorité étaient des pharmacies rurales. Quant aux chirurgiens-dentistes, la régulation dont ils sont l’objet a été acceptée par la majorité (mais non l’ensemble) de leurs représentants, notamment dans l’espoir d’échapper aux méfais de la financiarisation. 


Quand des médecins fustigent la liberté d’installation 

Il n’empêche, nous l’avons dit, les élus se sentent de plus en plus pressés d’adopter une mesure qu’ils appréhendent comme simple pour donner des gages à une population qui souffrirait de plus en plus de la désertification et qui est largement favorable aux mesures contraignantes comme l’ont montré plusieurs sondages récents.

Ainsi, en 2023, alors qu’une proposition de loi visant à limiter la liberté d’installation était déjà examinée par l’Assemblée, l’institut IPSOS signalait que 74 % des Français se déclaraient « favorables à une telle mesure » (même si parallèlement une étude de la DREES signale que 87 % des Français indiquent que le délai d’attente de leur dernière consultation n’a pas été un problème, invitant peut-être à s’interroger sur certaines définitions de la notion de désert, mais c’est une autre histoire).

Or aujourd’hui, on compte même des médecins la soutenant la limitation à l’installation, tels certains de nos lecteurs (comme nous l’avons observé dans les commentaires) ou encore le Pr Guy Vallancien qui en octobre jugeait ni plus ni moins dans Les Echos : « La liberté d’installation doit disparaître ». 

D’accord, mais que faire ? 

Et si la défense de ces contraintes convainc de plus en plus largement, c’est aussi parce que manquent des mesures libérales ayant fait la preuve de leur efficacité. Les études pour identifier les déterminants à l’installation n’ont cependant pas manqué, suggérant notamment que les médecins ne sont pas des grands voyageurs et qu’ils aiment à s’installer à proximité des lieux où ils ont fait leurs études.

Aussi, les syndicats insistent-ils pour « Valoriser les maîtres de stage universitaires et les Docteurs Junior afin de soutenir les expériences professionnelles chez les praticiens libéraux toutes spécialités confondues et favoriser l’installation de médecins généralistes dans les territoires ».

De la même manière, les exemples d’implantations réussies dans des déserts médicaux tentent d’expliquer leur recette. Ainsi, à Sauveterre-de-Guyenne (commune rurale du Sud Gironde) qui de trois médecins généralistes en 2008 (dont deux en partance) est passé à un pôle de santé complet comptant des praticiens, des infirmiers ou encore des chirurgiens-dentistes, on explique sur le site Boulevard Voltaire : « Ce succès repose d’abord sur un choix fort : la liberté ! Liberté de conception et de fonctionnement, sans contraintes administratives ni obligations statutaires. Les loyers ont été fixés à 300 euros par mois, permettant aux praticiens de s’installer sans pression financière. Et surtout, chacun est resté maître de son exercice. La liberté de s’installer et la liberté de partir. (…) Deux dispositifs nationaux ont cependant joué un rôle déterminant : le classement de notre communauté de communes en zone de revitalisation rurale (ZRR), qui permet aux médecins nouvellement installés de bénéficier d’une exonération fiscale pendant cinq ans, et l’obligation faite aux étudiants en médecine ayant bénéficié de bourses de s’installer dans des zones sous-dotées, comme la nôtre, à l’époque » relèvent les initiateurs du projet. 

De l’analyse de ces exemples et de l’expérience des syndicats naissent de nombreuses propositions qui convergent presque toutes pour exhorter au renforcement de l’attractivité de la médecine libérale. 

Une chose est sure, la PPL Garot est pour sa part un repoussoir certain. 

Dr Franck Devulder : https://x.com/msmed__

Dr Jérôme Marty : https://x.com/drjeromemarty/status/1907667676278804813?s=51&t=D_KG_3zX5j6MIwmUpvHQDg

Dr Stéphanie Rist : https://x.com/stephanie_rist

Communiqué commun des syndicats de médecins libéraux : https://www.mgfrance.org/actualites/publication/communiques-en-commun/la-ppl-garot-fait-lunanimite-contre-elle

Dr Toubib : https://x.com/NightHaunter/status/1907064885436875213

Dr Jérôme Barrière : https://x.com/barriere_dr/status/1906602220080271725

Dr Thibaut Jacques : https://x.com/docteur_TJ/status/1907153997968048261

* La tribune de Frédéric Bizard : https://www.latribune.fr/idees/tribunes/opinion-les-cinq-sophismes-de-la-lutte-contre-les-deserts-medicaux-1021856.html et https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/10/les-impasses-de-la-loi-du-depute-garot-par-f-bizard/

La tribune du Dr Guy Vallancien : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/en-finir-avec-limmobilisme-du-systeme-de-sante-2117249

Boulevard Voltaire : https://www.bvoltaire.fr/sante-contre-les-deserts-medicaux-le-choix-de-la-liberte-locale-concretement/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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