Des études scientifiques sur neuf grands cours d’eau montrent une pollution « alarmante » en microplastiques.

Microplastiques : une pollution invisible mais massive dans tous les fleuves européens

Des études scientifiques sur neuf grands cours d’eau montrent une pollution « alarmante » en petites particules. Pour la première fois, une bactérie virulente pour les humains a été retrouvée sur des microplastiques. 

Par Stéphane Mandard

Publié hier à 00h01, modifié hier à 08h26 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/04/07/microplastiques-une-pollution-invisible-mais-massive-dans-tous-les-fleuves-europeens_6592126_3244.html

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Prélèvement à l’aide d’un filet manta sur la Seine, le 20 juillet 2019.
Prélèvement à l’aide d’un filet manta sur la Seine, le 20 juillet 2019.  ELODIE BERNOLIN/FONDATION TARA OCEAN

Chaque minute, l’équivalent d’un camion-poubelle rempli de plastique se déverse dans les océans. Mais, avant d’échouer, ces débris parcourent un long périple qui emprunte les méandres des rivières et des fleuves. La partie émergée de cette pollution saute aux yeux avec les images spectaculaires des amoncellements de déchets sur les berges des grands cours d’eau asiatiques. En comparaison, ceux d’Europe semblent préservés. Mais, quand on s’intéresse aux microplastiques, invisibles à l’œil nu et les plus dangereux pour les organismes vivants, tous les grands fleuves européens sont pollués, et à des concentrations jugées « alarmantes » par les scientifiques. Telle est l’une des principales découvertes publiées lundi 7 avril dans un numéro spécial de la revue Environmental Science and Pollution Research, qui réunit pas moins de 14 articles scientifiques consacrés à l’étude – de la source aux effets – des déchets plastiques dans le continuum terre-mer en Europe.

Ces publications sont issues de la mission « Tara Microplastiques » menée en 2019. Pendant sept mois, la célèbre goélette de la Fondation Tara Océan a remonté neuf grands fleuves européens : la Loire, la Seine, le Rhin, l’Elbe, la Tamise, l’Ebre, le Rhône, le Tibre et la Garonne. Au cours de l’expédition, près de 2 700 échantillons ont été prélevés puis analysés dans 19 laboratoires par 40 chercheurs, sous la coordination du CNRS.

Echantillonnage à l’aide d’un filet manta sur le Tibre, Italie, le 12 septembre 2019.
Echantillonnage à l’aide d’un filet manta sur le Tibre, Italie, le 12 septembre 2019.  FRANÇOIS AURAT

« Nous ne nous attendions pas du tout à ces résultats. Nous avons retrouvé des microplastiques dans tous les prélèvements. Tous les fleuves européens sont pollués, commente Jean-François Ghiglione, directeur scientifique au CNRS en écotoxicologie microbienne marine, qui a piloté la mission. On est face à une pollution majeure. » Les scientifiques divisent les microplastiques (plus petits qu’un grain de riz) en deux catégories : les « grands » microplastiques (entre 500 micromètres et 5 mm) qu’on peut distinguer à l’œil nu et les « petits » microplastiques (entre 25 micromètres et 500 micromètres), invisibles. Les premiers sont les plus étudiés. D’un point de vue quantitatif, les chercheurs ont mis en évidence une concentration moyenne de l’ordre de 3 particules par mètre cube d’eau. Cela signifie qu’un fleuve comme la Seine en charrie 900 par seconde. C’est comparable aux données collectées dans les autres régions du monde, mais inférieur aux niveaux relevés dans les rivières les plus polluées du monde (Mékong, Gange, Nil) qui peuvent atteindre 40 particules par mètre cube.

Des radeaux pour les micro-organismes

Deuxième résultat qui a sidéré les chercheurs, la concentration « alarmante » de « petits » microplastiques dans les fleuves européens : jusqu’à une centaine de microgrammes par mètre cube, soit jusqu’à 1 000 fois plus importante en nombre et masse que les « grands » microplastiques. Très peu étudiés, ces « petits » microplastiques préoccupent les scientifiques, car ils sont encore plus susceptibles d’être ingérés à tous les échelons de la chaîne alimentaire, du microzooplancton aux poissons. Pour les mesurer, il a fallu développer une nouvelle technologie alliant spectrométrie de masse et pyrolyse : « un saut technologique qui nous permet de voir l’invisible », explique Alexandra Ter Halle, directrice de recherche au CNRS et une des meilleures spécialistes mondiales des microplastiques. Cette découverte doit conduire les scientifiques à investir « à fond » ce nouveau champ de recherche, selon M. Ghiglione.

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Alors que les « grands » microplastiques se trouvent principalement en surface, le travail des chercheurs révèle que, si 65 % des « petits » flottent à la surface des cours d’eau, 35 % coulent dans les profondeurs, se déplacent avec les courants marins et touchent donc tous les écosystèmes, de la surface aux abysses.

Quels sont les effets de cette dispersion ? Les microplastiques charriés par les fleuves fonctionnent comme des radeaux pour les micro-organismes qui vont s’y accrocher et s’y développer. Ces micro-organismes peuvent être pathogènes. Pour la première fois, les chercheurs ont réussi à identifier une bactérie particulièrement virulente pour l’homme sur des particules plastiques : Shewanella putrefaciens.

Bactéries sur du microplastique récolté par les équipes de la mission Tara Microplastiques.
Bactéries sur du microplastique récolté par les équipes de la mission Tara Microplastiques.  LABORATOIRE SOFTMAT/CNRS

Cette bactérie est responsable de bactériémies, d’otites, d’infections des tissus mous ou encore de péritonites. Elle a été identifiée dans la Loire, et les analyses ont démontré qu’elle conservait sa virulence sur le plastique. « Ce résultat pose la question de la dispersion de maladies sur de grandes distances par les plastiques, commente M. Ghiglione. La dissémination de ces pathogènes dans l’environnement est démontrée, le danger existe, il reste désormais à quantifier le risque pour l’homme par d’autres études. »

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Outre les bactéries, les microplastiques fonctionnent aussi comme des « éponges » à polluants. En exposant des moules – qui sont de redoutables filtres à pollution – à des granulés de plastique retrouvés sur des berges, les chercheurs ont mis en évidence que les particules de plastique pouvaient capter et relarguer des produits chimiques toxiques comme des métaux lourds, des hydrocarbures ou des pesticides en plus des additifs – on en recense plus de 16 000 – qui entrent dans leur composition. Pour les chercheurs, la toxicité des plastiques ne se limite donc pas à leur composition chimique intrinsèque, mais doit aussi prendre en compte le « cocktail chimique » que le plastique capte telle une éponge.

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Une initiative de science participative impliquant 12 000 élèves et 400 classes a enfin permis de révéler qu’un quart des « grands » microplastiques récoltés sur les berges des rivières et des fleuves français ne sont pas des déchets, mais des granulés de plastiques industriels. Ces petites billes à la base de la fabrication des articles en plastique s’échappent dans l’environnement lors de leur transport. Le reste est principalement constitué de débris de plastiques à usage unique et majoritairement d’emballages alimentaires. Ces résultats rappellent que les microplastiques ne sont pas seulement issus de la fragmentation de déchets sous l’effet du soleil ou de l’abrasion, comme on le croit souvent, mais aussi de l’usure de tous les objets incorporant du plastique (vêtements, pneus), et que des particules sont par exemple émises à chaque ouverture ou fermeture de bouteille en plastique. La réponse à la crise du plastique ne se résume donc pas à la question de la gestion des déchets.

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« Ces résultats démontrent que la seule solution pour lutter contre cette pollution catastrophique, ce n’est pas d’améliorer le recyclage, qui ne fonctionne pas, mais de réduire la production de plastique », rappelle M. Ghiglione. Les négociations autour d’un futur traité international sur la pollution plastique achoppent précisément sur ce point. Estimée à 460 millions de tonnes par an, la production mondiale de plastique devrait tripler d’ici à 2060. A cet horizon, si on ne ferme pas le robinet, ce sera l’équivalent de trois camions-poubelles remplis de plastique qui se déversera chaque minute dans les océans.

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Stéphane Mandard

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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