Sexisme et complotisme : les méthodes de la défense de Depardieu en question
| Par Marine Turchi
Les « méthodes » de l’avocat de Gérard Depardieu ont été au cœur du procès pour agressions sexuelles de l’acteur. Jérémie Assous a déployé théories du complot et attaques sexistes. Dans une tribune, quelque 200 avocat·es dénoncent une défense « sexiste » et « misogyne » allant « bien au-delà des “droits de la défense” ».
« Adopter une stratégie clairement sexiste ne doit plus avoir sa place, jamais, dans une enceinte judiciaire française. » Vendredi 28 mars, quelque 200 avocat·es ont dénoncé, dans une tribune publiée dans Le Monde, le « sexisme » et la« misogynie » de l’avocat de Gérard Depardieu lors du procès pour agressions sexuelles de l’acteur, estimant qu’il allait « bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler […] les “droits de la défense” ».
Le texte pointe aussi « l’absence de réaction » du tribunal et de l’ordre des avocats, dont des représentants étaient par moments présents à l’audience. Une autre défense était possible, a aussi considéré l’avocate Anne Bouillon, qui défend des femmes victimes de violences, dans une tribune dans Libération, samedi.

Gérard Depardieu et son avocat Jérémie Assous au tribunal correctionnel de Paris, le 24 mars 2025. © Dimitar DILKOFF / AFP
Les « méthodes » de Jérémie Assous, le conseil de Gérard Depardieu, ont été au cœur de ces quatre jours de procès, à l’issue duquel le parquet a requis la condamnation du comédien à dix-huit mois de prison avec sursis probatoire. Le conseil de l’acteur a déployé une défense virulente, mêlant attaques sexistes et théories du complot, loin du devoir de modération et de délicatesse qui s’impose aux avocat·es.
« C’était un chemin de croix. C’était vraiment très éprouvant, a déclaré jeudi Amélie, une des deux plaignantes, qui n’a pas souhaité assister à la plaidoirie de la défense au tribunal correctionnel de Paris. Je ne vais pas rester à l’écouter encore nous salir pendant des heures. J’en ai assez entendu, et moi j’ai dit ce que j’avais à dire. » Toute la semaine, cette décoratrice ensemblière de 54 ans avait écouté calmement, au côté de l’autre plaignante, Sarah*, une ancienne assistante à la réalisation de 34 ans, l’avocat dénoncer leurs « mensonges ».
« Apologie du sexisme »
Le temps d’audience a plus que doublé, tant l’avocat a accaparé la parole, multipliant les demandes de nullités tout en plaidant sur le fond, réclamant de nouveaux actes d’enquête, digressant en permanence et reprenant constamment les avocates dans leurs questions aux témoins. « Ça s’appelle le contradictoire ! », a justifié Me Assous. « Non, ça s’appelle le cirque », lui a rétorqué Claude Vincent, l’avocate de Sarah. Une « stratégie dilatoire », n’a cessé de dénoncer Carine Durrieu-Diebolt, l’avocate d’Amélie, qui porte l’affaire Depardieu depuis 2021 et a défendu deux autres plaignantes (Charlotte Arnould et Lucile Leidier).
Les deux pénalistes ont essuyé de nombreuses attaques ou remarques sexistes de la part du conseil de Gérard Depardieu : « C’est insupportable, déjà votre voix, c’est dur » ; « Vous êtes abjecte » ; « Chère amie » ; « Ma brillante avocate » ; « C’est quoi ce rire d’hystérique ? », etc. Jérémie Assous, qui les a appelées en permanence « mes contradicteurs », refusant de féminiser leur titre, les a aussi mises sous tension en envoyant au dernier moment ses pièces et conclusions, les noyant de messages : « Minuit treize hier, encore un mail, je n’ai pas pu regarder évidemment », a relaté Carine Durrieu-Diebolt, estimant qu’il n’avait « pas respecté le principe du contradictoire ». « C’est le pot de terre contre le pot de fer. Nous, on est des petits cabinets d’avocates, on a une grosse structure en face. »À lire aussiAffaire Depardieu : onze femmes prennent la parole
Les plaignantes – que l’avocat a imitées avec des voix aiguës et a constamment désignées par leur seul nom de famille, souvent écorché – ont aussi concentré ses remarques sexistes et méprisantes, en particulier Amélie : « C’est une sainte, c’est une victime. Faut la ménager » ; « Je veux bien qu’elle ne lise pas Le Monde parce que c’est trop compliqué, mais qu’elle lise Closer ! » ; « Elle aime plaire, regardez-la sur les plateaux TV ! ». Et lorsque la plaignante a craqué et quitté la salle mercredi soir, suivie par Sarah, l’avocat leur a lancé : « Allez faire votre cinéma devant les caméras ! »
Les deux femmes ont été accusées successivement de vénalité, de « haine », de « mensonges ». Dans sa plaidoirie, Me Assous a reproché à Amélie d’avoir déclaré à TF1 que Sarah et elle étaient « très contentes d’être arrivées là quoi qu’il arrive » : « Quoi qu’il arrive, madame, le mal que vous avez fait à Gérard Depardieu, il est bel est bien là. Votre trauma, quand bien même l’agression aurait bien eu lieu, il est relatif ! C’est pas non plus Guy Georges. »
Présente dans la salle en soutien, Charlotte Arnould, dont la plainte pour viols fait l’objet d’une instruction séparée, a été la cible des attaques les plus virulentes : « Menteuse ! » ; « Arnould la mythomane » ; « Arnould, c’est “J’ai été violée, et je reviens tous les jours à l’audience pour le voir !” », a lâché Me Assous, tout en prétendant que l’actrice aurait déjà accusé « sept hommes ». « Il n’a vraiment pas de chance, Gérard Depardieu, à chaque fois qu’une femme l’accuse, c’est une femme qui a déjà été victime d’agressions sexuelles », a-t-il poursuivi, faisant le décompte pour chaque plaignante.
Lorsque Carine Durrieu-Diebolt s’est approchée de la greffière pour s’assurer que ces propos étaient bien consignés, Jérémie Assous a hurlé : « Saisissez votre bâtonnier ! Actez tout, ça me va ! Filmez tout, ça me va ! » La veille, lors d’une séquence similaire, une policière s’était inquiétée de savoir si cette jeune femme qui pleurait dans le public allait bien. « C’est moi dont il parle », lui avait répondu Charlotte Arnould.
L’avocat et son client ont plus largement fustigé le « climat de terreur » qu’imposeraient le mouvement #MeToo et les militantes féministes, qualifiées d’« hystériques » et de « folles » par Gérard Depardieu. « C’est une terreur qu’on vous met en place ! Une terreur ! Quand j’ai dit que je défendais Gérard Depardieu, des confrères m’ont dit : “Mais t’es fou ? T’es mort !” Je me mets en danger », a assuré Jérémie Assous en faisant une analogie avec la Russie et le traitement réservé à l’avocat de l’opposant Alexeï Navalny. La comparaison est cocasse : Gérard Depardieu, qui a obtenu la nationalité russe en 2013, a par le passé régulièrement affiché son amitié avec Vladimir Poutine.
Gérard Depardieu, c’est un misogyne qui a adopté une défense misogyne.
Claude Vincent, avocate de Sarah
Dans leurs plaidoiries, les avocates des plaignantes et l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT, partie civile au procès) ont toutes dénoncé les « méthodes » de la défense, son « agressivité », sa « misogynie » et ses « tentatives d’humiliation ». « En trente ans de procès, c’est la première fois que je vois une telle violence », s’est indignée Catherine Le Magueresse, qui représentait l’association.
« Je me suis fait traiter d’“avocate abjecte, ignoble, stupide”, ça ne m’est jamais arrivé », a raconté Carine Durrieu-Diebolt, qui dénonce aussi les « salissures » à l’égard de leurs clientes « depuis plusieurs mois ». Pour sa consœur Claude Vincent, on a assisté non pas « à une stratégie de défense », mais « à l’apologie du sexisme », à « un agresseur défendu par un agresseur, qui a agressé tout le monde dans cette salle, les plaignantes, les avocates, la presse ». « Gérard Depardieu, c’est un misogyne qui a adopté une défense misogyne », a-t-elle estimé.
Les avocates jugent que cette « maltraitance »durant le procès a causé un préjudice supplémentaire, et elles ont réclamé 10 000 euros d’indemnisation pour chaque plaignante au titre de la « victimisation secondaire ».
La thèse d’une « machination »
Jérémie Assous a aussi consacré deux des trois heures de sa plaidoirie à dérouler la thèse d’un complot féminin destiné à « faire tomber » le célèbre acteur. Il a dénoncé un dossier « monté de toutes pièces » par les plaignantes, leurs avocates, la policière chargée de l’enquête – qui aurait agi « sur ordre » du parquet de Paris –, Mediapart et l’autrice de ces lignes, « en service commandé » et accusée d’avoir « fourni le dossier » en demandant « en échange l’exclusivité », puis d’avoir « feuilletonné » ses révélations pour « vendre des clics ».
« On se demande qui commande qui, qui copie qui », a-t-il interrogé, en parlant de « machination », d’« une organisation », d’un « calendrier » selon lui bien choisi. À de nombreuses reprises, l’avocat a moqué la lieutenante de police – qu’il a voulu faire citer comme témoin à l’audience : « Je suis [nom de famille de la policière], j’obéis aux ordres » ; « Là, je veux bien faire tout ce que vous voulez, mais j’en ai marre ». « D’ailleurs, comme par hasard, elle n’a pas signé le rapport [de synthèse] », dit-il.
On nous a servi le complot de l’enquête de police, le complot des médias avec Mediapart et le complot des femmes.
Carine Durrieu-Diebolt
Dans leurs plaidoiries, les avocates des parties civiles ont minutieusement démonté cette « théorie du complot », pièces et témoignages à l’appui. « On nous a servi le complot de l’enquête de police, le complot des médias avec Mediapart qui voudrait faire une chasse à l’homme, et le complot des femmes », a énuméré Me Diebolt : « Non, il n’y a pas de complot contre M. Depardieu, c’est eux le complot. » L’avocate souligne que les deux plaignantes « ne se connaissaient pas quand elles ont dénoncé les faits », tout comme les trois femmes, citées à la barre, qui ont dénoncé des violences sexuelles de l’acteur.
Elle rappelle que ce qui a déclenché la prise de parole de sa cliente, « c’est la médiatisation agressive de cette affaire par Gérard Depardieu »en 2023, d’abord dans une tribune dans Le Figaro, puis à travers l’émission « C à vous », dans laquelle son avocate de l’époque a sous-entendu « que le tournage des Volets verts s’était très bien passé ».
Sa consœur Claude Vincent a aussi lu à la barre les nombreux messages que sa cliente a envoyés à ses proches dans les jours qui ont suivi les faits. « On nous explique que ce serait un complot. Le complot, dans ce cas-là, il commence le 2 septembre 2021 à 17 h 41, quand [Sarah] envoie à son amie, qui l’héberge pendant le tournage, ce message : “Gégé me touche depuis hier, ça me rend dingue, j’ai envie de lui foutre une tarte.” »
« Surmédiatisation »
Pendant ce procès, Jérémie Assous a attaqué la presse – notamment Mediapart, France Télévisions et « Complément d’enquête », Le Monde, Libération, Radio France, Télérama et TF1 –, tout en semblant plaider pour elle. Tournant le dos au tribunal pour brandir ses documents du côté des journalistes, exigeant d’eux qu’ils « relèvent » tel ou tel élément, et se précipitant devant les caméras dès les audiences terminées.

Jérémie Assous écoutant l’intervention de Carine Durrieu-Diebolt sur BFMTV, au tribunal correctionnel de Paris, mercredi soir 26 mars.
Carine Durrieu-Diebolt a dénoncé sa « surmédiatisation » et raillé « un avocat qui dénonce le tribunal médiatique et qui est le premier à le mettre en place ». « J’assume totalement de plaider pour la presse ! », a-t-il lancé mercredi. « Eh bien allez dehors ! », lui a rétorqué Me Diebolt.
À deux reprises, lorsque celle-ci et sa consœur ont réagi auprès de chaînes télévisées dans le hall du tribunal, il s’est posté juste à côté d’elles pour écouter et répliquer (voir aussi les images de France 5 à 00 min 18).
Dans sa plaidoirie, Jérémie Assous a estimé que les deux avocates étaient « plus militantes qu’avocats » et qu’elles considéraient « que c’est une agression supplémentaire que de se défendre ».
Le procureur n’a pas semblé de cet avis. « Il y a méthode et méthode », a insisté Laurent Guy, pointant une « stratégie de la saturation de la défense, à destination non pas du tribunal mais des médias », déplorant « les conditions dans lesquelles [il] a reçu des pièces tard le soir » et les « vingt minutes sans point avant une question » à un témoin. Dans un réquisitoire minutieux, le magistrat a salué les deux plaignantes « qui sont venues courageusement à la barre » et retracé une chronologie limpide des agressions présumées – que conteste l’acteur.À lire aussi« L’affaire Pelicot m’a donné beaucoup de courage » : Sarah, plaignante dans le procès Depardieu, s’exprime
Un soulagement pour les deux femmes : « C’est comme si le procureur avait été là !, a réagi Amélie dans notre émission. Jérémie Assous a mis un tel chaos dans toute cette histoire, à embrouiller lespistes. […] Et tout à coup le procureur raconte tout, c’est lisse, c’est simple, il a tout détricoté, calmement, avec une voix douce. Ça nous a fait un bien fou. »