La Constitution de la Ve République n’a pas desservi la France depuis 1958, même si elle a été fortement ébranlée par la désinvolture mystérieuse du président Macron.

« Le plus grand danger pour la démocratie et la République est que leurs valeurs sont de plus en plus minées de l’intérieur »

Après la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, l’historien britannique Julian Jackson, spécialiste de la France du XXᵉ siècle, pose dans un entretien au « Monde » un regard circonspect sur la vie politique française, entre banalisation des crises et risque pour la démocratie et la République d’être vidées de leurs valeurs. 

Propos recueillis par Gaïdz Minassian

Publié le 9 mars 2025 à 18h00

Temps de Lecture 13 min.

Résultat du vote de défiance contre le gouvernement du premier ministre, Michel Barnier, sur un écran à l’Assemblée nationale, à Paris, le 4 décembre 2024.
Résultat du vote de défiance contre le gouvernement du premier ministre, Michel Barnier, sur un écran à l’Assemblée nationale, à Paris, le 4 décembre 2024.  JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Julian Jackson est un historien britannique spécialiste de l’histoire contemporaine de la France, notamment la IIIe République et la seconde guerre mondiale. Membre de la British Academy et de la Royal Historical Society et professeur émérite, Queen Mary University of London. Il est l’auteur d’ouvrages sur la France, tels que De Gaulle. Une certaine idée de la France (Seuil, 2019) et Le Procès Pétain. Vichy face à ces juges (Seuil, 2024).

Après la motion de censure du gouvernement Barnier, le 4 décembre 2024, Emmanuel Macron a nommé, fin décembre, François Bayrou au poste de premier ministre, soit le quatrième chef de gouvernement en un an. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Inquiétude, tristesse et perplexité. Ce qui est désolant, c’est que cette situation n’était pas inévitable : elle est le résultat de la décision incompréhensible du président de dissoudre l’Assemblée. Il a transformé ce qui était pour lui une situation difficile en situation de crise politique. Même si le nouveau gouvernement réussit à tenir – ce qui est loin d’être certain –, il ne sera pas en mesure de donner « l’audace et le sens des décisions » que M. Macron a évoqué dans son message du Nouvel An. C’est un gâchis total.

N’a-t-il pas fait un début de mea culpa le soir des vœux présidentiels ?

Oui, mais du bout des lèvres, et un peu tardivement. Plus tôt et plus franchement, cela aurait eu plus de force. Mais il y a quelques semaines encore – lors de l’annonce de la composition du gouvernement Bayrou –, il était toujours dans le déni. Et malheureusement, toutes les belles ambitions esquissées dans son allocution du 31 décembre sont du domaine de la pure fantaisie. Voir le gouvernement Bayrou – que le président a été forcé de nommer à Matignon – tenir jusqu’à l’été relèverait déjà du miracle.

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde – La République sous tensions », mars-avril 2025, en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.

Pourquoi est-il difficile d’obtenir un compromis politique en France ?

On ne peut pas dire – comme certains – que les Français sont pour quelque raison culturellement inaptes au compromis. Presque tous les gouvernements des IIIe et IVe Républiques ont été des coalitions. Jusqu’à présent, la Ve République a évité cette nécessité parce que la situation politique a toujours été nette : soit une majorité présidentielle, soit une cohabitation avec une majorité d’opposition. Peut-être sera-t-il nécessaire de réapprendre la culture de compromis, mais actuellement c’est impossible tellement la personnalité du président est anxiogène. Dans les IIIe et IVe Républiques, le président pouvait aider les partis à trouver un compromis sans en bénéficier personnellement. Tandis que dans la situation actuelle, le compromis semblerait profiter à un président en réalité impuissant mais qui nourrit l’illusion qu’il peut toujours mener le jeu. Et qui a semblé faire fi des résultats des urnes parce qu’il n’a même pas appelé le Nouveau Front populaire (NFP) à tenter de former un gouvernement – quitte à montrer que cette solution ne marcherait pas. Dans un sens, ce qui est perçu comme l’arrogance du président actuel est un obstacle au réapprentissage de la culture de compromis.

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Depuis l’été 2024, la France est-elle revenue à un régime parlementaire ultraclassique, comme si le cœur du pouvoir s’était déplacé de l’exécutif vers le législatif ?

Oui, mais c’est un régime parlementaire où le président n’accepte pas la logique de la situation et tente désespérément de rester maître du jeu. Or, quand vous dites « revenu à un régime parlementaire », c’est une situation provisoire imposée par le contexte actuel. On reste dans la Ve République, et après la prochaine élection présidentielle, on peut supposer un retour au jeu normal de cette Constitution mi-présidentielle mi-parlementaire – pour le meilleur et pour le pire.

Comment caractérisez-vous la situation politique dans laquelle se trouve la France depuis les élections européennes de juin 2024 et la dissolution de l’Assemblée nationale qui a suivi ?

La France traverse à la fois une crise conjoncturelle et une crise structurelle. La première, spécifique, résulte de la dissolution de l’Assemblée. Et ce type de crise, la France en a connu d’autres dans son histoire. Par exemple, le résultat des élections législatives de 1951, sous la IVe République, a débouché sur une Assemblée ingouvernable avec cinq partis plus ou moins égaux. Ces crises conjoncturelles font partie de la vie politique de tous les pays.

Quand la crise conjoncturelle apparaît comme le reflet d’un malaise plus profond de la population envers les élites politiques, on peut parler de crise structurelle. Nous vivons une crise de la représentativité politique, les anciens partis ne représentent plus les catégories sociales. La crise structurelle actuelle pourrait s’échelonner au moins depuis la victoire du non au référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005 et la crise financière de 2007-2008. Autrement dit, la crise française est une crise générale de la démocratie libérale en Europe et en Amérique.

Peut-on parler d’une spécificité des crises politiques françaises ?

Il existe une spécificité française selon laquelle les crises politiques peuvent déboucher sur une crise de régime. Si l’on prend la première grande crise de la démocratie républicaine, la crise boulangiste durant les années 1880, il s’agit là de quelque chose de nouveau en France et en Europe : l’apparition d’un populisme nationaliste et antiparlementaire qui avait constitué une menace pour le régime. Quelques années plus tard, l’affaire Dreyfus a aussi débouché sur une tentative de renverser la République. Les mêmes personnes étaient impliquées, comme Paul Déroulède et sa Ligue des patriotes fondée en 1882. Cette tradition est réapparue avec les Ligues dans les années 1930 et a débouché sur une crise de régime au moment des émeutes du 6 février 1934. Toutes ces tensions ont éclaté sur fond de crise économique.

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Dans le cas britannique, les crises politiques ne débouchent pas sur une contestation du régime. Ici, en France, on a une vision un peu simpliste de la vie politique britannique, croyant que c’est calme, mais en fait, c’est le contraire ! L’Angleterre a connu d’énormes bouleversements sociaux, des crises politiques profondes et depuis la crise du Brexit une période de grande instabilité politique. Mais le « système » n’est pas remis en question, même si on parle de plus en plus d’une réforme du système électoral pour insérer une dose de proportionnelle : l’actuel premier ministre, Keir Starmer, a gagné une majorité parlementaire sans précédent, avec moins de 30 % du vote populaire.

Ces crises politiques de l’époque remettent-elles toujours en question l’idée de la République ?

Pas forcément. Le boulangisme était un melting-pot de courants antirépublicains, mais il comptait aussi des républicains déçus. Des radicaux plus à gauche, révisionnistes, voulaient une République plus « républicaine » et avaient fait une alliance un peu contre nature avec les conservateurs. L’une des raisons pour lesquelles le boulangisme n’a pas réussi, c’est la fragilité de cette alliance. Pendant l’affaire Dreyfus, il y avait l’Eglise catholique et des antirépublicains avec une certaine nostalgie monarchiste. Et c’est au moment de l’affaire Dreyfus qu’est née l’Action française, un mouvement monarchiste et nationaliste.

Quand s’arrête, selon vous, cette remise en question du régime républicain ?

Pour moi, le problème avec le mot « République », c’est qu’il peut comprendre beaucoup d’acceptions. Les émeutes du 6 février 1934 illustraient une contestation de la République parlementaire, mais pas nécessairement de la République en tant que telle, car les ligueurs des années 1930 voulaient une République autoritaire. Après guerre, de Gaulle était républicain à sa façon, mais sa conception de la République était contraire à toute une tradition républicaine construite au milieu du XIXe siècle contre le bonapartisme. C’est pour cela que son gouvernement a été censuré en octobre 1962. Bien entendu, il y a eu après guerre une tradition antirépublicaine où se mêlaient des soutiens de l’Algérie française et des nostalgiques de Vichy. Jean-Louis Tixier-Vignancour, l’avocat du général Salan, putschiste contre de Gaulle, a servi dans un gouvernement de Vichy. Il a aussi été un candidat contre de Gaulle à l’élection présidentielle de 1965 – avec le soutien de Jean-Marie Le Pen.

Est-ce la société qui pousse l’Etat à changer de régime par la crise ou les institutions qui imposent à la société des changements profonds ? Ou encore les deux ?

Il y a une dialectique entre les deux. Chaque crise a son propre fonctionnement. En 1940, c’était le choc d’une défaite, quelque chose d’exogène, qui a laissé entrer dans son sillage toutes les pulsions antidémocratiques des années 1930. Il y a toujours, lors les crises, des mouvements structurels et sociaux dans la société qui font qu’à un moment se crée un décalage avec les institutions. La IVe République, on le voit maintenant, n’était pas si mauvaise que cela. Elle a créé l’Europe et engagé la décolonisation. C’était aussi une période de croissance économique, mais cette République a été vécue comme une crise permanente. Je me souviens d’un article de l’historien Michel Winock, il y a très longtemps, où il disait que nous ne pouvions pas comprendre à quel point sa génération était dégoûtée par la politique à la fin de la IVRépublique. A un moment se creuse une espèce de fossé entre la perception de la capacité des institutions à gouverner et tous ces courants dans la société qui causent ce décalage.

Les crises sont-elles le résultat de convulsions des élites politiques ou la rupture de confiance entre les élites et le peuple ?

Prenons la crise de 1958, qui est une crise majeure, même si de Gaulle revient au pouvoir. Elle est le résultat d’une crise de confiance dans la IVe République. De Gaulle en a profité, mais il fait partie de l’élite, même s’il est en dehors du pouvoir. Une crise est toujours l’objet d’un mécanisme où la rupture de confiance entre les élites et le peuple donne la possibilité à une partie des élites d’effectuer une transition.

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De Gaulle revient au pouvoir en raison de l’incapacité des institutions de la République à résoudre ce problème. Mais son retour au pouvoir résulte de la perception d’élites pour lesquelles le système ne marche plus. C’est une sorte de putsch légalisé de cette partie des élites qui ne voyait pas d’autre solution pour sauver la situation.

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La France est en crise et pourtant les institutions fonctionnent normalement. Ces institutions semblent-elles assez fortes pour tout surmonter ?

Comment définir une institution « forte » ? La question est presque circulaire. Une institution forte est celle qui a le pouvoir d’amortir des crises. Prenons l’exemple des Etats-Unis, où les institutions semblaient fortes en ce sens – en dehors de la guerre civile – qu’elles sont en place depuis plus de deux cents ans. Mais on constate là aussi qu’elles peuvent être contestées. Pensez à la tentative de putsch de la part de Donald Trump, le 6 janvier 2021. Jusqu’à ce tournant, la démocratie américaine semblait tellement solide que j’étais loin d’imaginer que cela pouvait arriver. Cela m’a fait aussitôt penser au 6 février 1934 à Paris. Même les institutions qui semblent les plus enracinées peuvent apparaître fragiles d’un jour à l’autre.

Comment l’expliquez-vous ?

Toutes les démocraties libérales vivent aujourd’hui une même crise de légitimité, provenant de la crise financière et du fait que des populations ne profitent pas de la mondialisation. Ce sont des laissés-pour-compte qui pensent au déclin de leur pays et cherchent des boucs émissaires pour expliquer ces problèmes.

Pour en revenir à la stabilité et la solidité des institutions, il y a aujourd’hui une grave et profonde crise de la démocratie libérale. Les symptômes se trouvent en partie dans l’électorat de Donald Trump, du Brexit et du Rassemblement national (RN), qui ont en commun les mêmes peurs de déclassement. On oublie trop souvent que depuis la seconde guerre mondiale, la démocratie libérale comme nous la vivons actuellement est récente. Personne n’aurait dit après les crises des années 1930 en Europe que la démocratie libérale fut saine et sauve. Dans un sens, nous vivons sur un temps long quelque chose d’assez court.

La démocratie libérale est-elle en reflux du fait qu’elle appartient à ce monde post-1945 lui-même en pleine déconstruction ?

Oui. Il existe aussi un autre choc qui pèse dans la crise actuelle : la fin de la guerre froide avec la chute de l’Union soviétique en 1991. En un sens, la guerre froide, bien qu’étant dangereuse, a aussi structuré les politiques mondiales et nationales. La fin de la guerre froide et celle de la croissance lors de la période keynésienne (les « trente glorieuses », de la fin de la guerre jusqu’au choc pétrolier de 1973) marquent aussi la fin d’une structuration de la politique internationale. Ces deux bouleversements sont dramatiques pour nos jeunes démocraties libérales. Cette fragilité n’aurait pas surpris en 1925.

L’extrême droite est-elle toujours contre la République ?

Peut-on encore parler d’extrême droite pour un mouvement qui recueille près de 30 % des électeurs ? S’il existe des valeurs d’extrême droite, sont-elles en train de devenir monnaie courante de la vie politique française ? Quand on entend le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, déclarer : « L’Etat de droit, ce n’est pas intangible, ni sacré »… Si on parle d’extrême droite pour le RN, il faut ajouter que ce mouvement accepte les institutions de la République. C’est peut-être une déformation du mot « République ». La République renferme par exemple le principe du droit du sol et de la laïcité. Ces idées sont contestées. La laïcité est utilisée non pas comme un instrument de tolérance, mais comme celui de l’exclusion. Les principes de la République sont globalement acceptés, mais on est peut-être en train de vider la République de ce qui faisait sa substance. Est-ce que le concept de « Français de souche » peut faire partie de la tradition républicaine ? Peut-on donc être fidèle aux institutions républicaines en vidant la République de ses valeurs ?

Peut-on être populiste et démocrate ?

Le populisme est une version exclusive de la démocratie, car il érige une partie du peuple comme le vrai peuple. Il est fondé sur l’exclusion : il y a les vrais et les traîtres. Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous. Encore une fois, prenons des exemples à l’étranger. Lors de sa première campagne électorale en 2016, Donald Trump a dit de Hillary Clinton qu’il fallait l’enfermer. Il en a fait un slogan de meeting : « Lock her up » (« Il faut l’enfermer »). Enfermez-vous vos opposants ? ! Le populisme est dans son essence contre le pluralisme.

Certains observateurs pensent que ce changement sémantique est une simulation. Qu’en pensez-vous ?

Les dirigeants du RN jouent aujourd’hui le jeu démocratique. Mais ils ont détourné beaucoup de concepts et de valeurs de la République. Et c’est bien là le problème. La République peut s’incarner dans des institutions, mais elle est aussi une façon de concevoir le monde. La République est faite de valeurs, mais les valeurs du RN sont hostiles à l’idée que nous nous faisons des valeurs de la République. Mais il faut aussi ajouter qu’une partie des sympathisants de LR (Les Républicains) partage les valeurs du RN. Où se situe l’« extrême droite » dans ce contexte ?

La légitimité charismatique peut-elle encore avoir sa place dans les démocraties où les sociétés civiles sont de plus en plus autonomisées et individualisées ? Autrement dit, un de Gaulle, était-ce une exception ?

Oui ! C’était un acteur politique exceptionnel qui avait profité de deux choses : d’abord, de son unique légitimité historique. Ensuite, quand il revient au pouvoir en 1958, il avait plus ou moins le monopole des moyens de communication. A l’époque, de Gaulle monopolisait l’écran. Il n’y avait personne d’autre. Les conditions du leadership charismatique de De Gaulle étaient très spécifiques. Pas de réseaux sociaux ! Mais de Gaulle exploitait son charisme avec un grand sens des responsabilités et du bien commun.

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Dans une société si fragmentée et individualisée, peut-on trouver une personne capable de rassembler, une sorte d’homme providentiel, ou est-ce totalement révolu ?

Maintenant que de Gaulle est devenu une légende, on a cependant tendance à oublier à quel point il a été détesté pendant sa vie. Lors de la présidentielle de 1965, il a été poussé au second tour. La presse de gauche le détestait, même la droite du Figaro ne l’aimait pas, car il avait trahi l’Empire. En réalité, personne ne peut réunir une population. De Gaulle ne l’a jamais fait d’ailleurs, sauf une seule fois, au moment particulier de la Libération.

Le clivage droite-gauche est-il en train de mourir ?

On dit toujours qu’il est en train de mourir. C’était le rêve de De Gaulle de le transcender et c’est aussi celui d’Emmanuel Macron. Mais d’une époque à l’autre, le contenu à droite et à gauche change et ce n’est pas nécessairement la même droite et la même gauche. Mais les résultats des dernières élections législatives ont montré qu’il existe une gauche. Aujourd’hui encore, presque tout le monde s’identifie soit de droite, soit de gauche, mais la gauche mélenchoniste n’est pas la même que la gauche de Léon Blum. L’Assemblée nationale montre un clivage avec une gauche divisée, mais la gauche a toujours été divisée ! Au début du XXe siècle, en 1936, etc. Tous les réflexes de gauche en vue de ressusciter le terme « Front populaire » sont une façon de montrer qu’il existe un imaginaire de gauche qui puise sa racine dans les années 1930.

La démocratie est-elle désarmée face à la montée des extrêmes ?

Oui, la démocratie est fragilisée. Mais à la vue des résultats des dernières législatives, une grande partie de la population française prend toujours la République dans le vieux sens du terme, celui de la « défense républicaine ». Cette expression remonte à l’affaire Dreyfus, quand les menaces contre la démocratie ont poussé les gauches et le centre à s’unir. Cette vieille défense républicaine a de nouveau marché en 2024. Le RN n’a toujours pas réussi à briser le plafond de verre. Peut-être qu’il ne réussira pas. Mais le plus grand danger pour la démocratie et pour la République – et cela me semble aussi dangereux qu’une victoire du RN – est que leurs valeurs sont de plus en plus minées de l’intérieur. C’est Jean-Marie Le Pen qui disait que les Français préfèrent l’original à la copie – mais la copie est aussi nocive.

Suffit-il de changer les institutions pour régler la crise de 2024 ? Autrement dit, faut-il réformer la Ve République ou aller vers la VIe République ?

Cela me semble une déformation typiquement française de donner une puissance presque thaumaturgique aux Constitutions ! Quelle serait la Constitution idéale ? Quant à la Ve République, peut-être que son élasticité est une sorte de force, pas de faiblesse. Ce régime a été conçu comme un régime du parlementarisme rationalisé (c’est l’origine de l’article 49.3 si décrié actuellement, mais utilisé maintes fois par Michel Rocard entre 1988 et 1991). Ce qui changeait la donne, c’est le référendum de 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct, mais également la pratique du pouvoir par de Gaulle : c’est-à-dire qu’il a créé une façon de gérer les Constitutions qui vient de sa propre personnalité. Prenez l’expression « domaine réservé », dont Emmanuel Macron parle pour évoquer la politique étrangère, cela n’existe pas dans la Constitution !

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Toutes les Constitutions sont imparfaites mais l’élasticité de la Ve République est un avantage. Souvenons-nous des propos d’un historien de la Révolution française, Alphonse Aulard (1849-1928) : « Comme la République était belle sous l’Empire. » On n’est jamais satisfait de la République ! La Constitution de la Ve République n’a pas desservi la France depuis 1958, même si elle a été fortement ébranlée par la désinvolture mystérieuse du président Macron.

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde – La République sous tensions », mars-avril 2025, en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.

RIKI BLANCO POUR « LE MONDE »

Gaïdz Minassian

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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