Dans la Drôme, la santé sexuelle est mise en péril par des coupes budgétaires
Par Jérôme Hourdeaux
Le département a annoncé la fermeture des sept centres de santé sexuelle (CSS) qu’il gérait directement et une baisse de 20 % des subventions versées aux hôpitaux gérant des CSS et au Planning familial. L’association en appelle au gouvernement.
Samedi 8 mars, la journée de mobilisation pour les droits des femmes aura une tonalité particulière dans la ville de Bourg-de-Péage, située dans la Drôme, département qui s’apprête à voter la fermeture de sept centres de santé sexuelle (CSS) ainsi qu’une baisse de 20 % de la subvention accordée au Planning familial et aux hôpitaux gérant des CSS.
La commune a choisi de donner « carte blanche » au mouvement d’éducation sexuelle pour organiser ce jour-là différentes animations, chorale ou pièces de théâtre féministes. Comme le rapporte Le Dauphiné libéré, l’événement était prévu de longue date. Mais il prend, dans la situation politique actuelle, un sens particulier que les élues de la ville ont tenu à souligner.
« Ce sont des centaines de personnes qui ne pourront plus être prises en charge, s’est alarmée auprès du Dauphiné Anna Place, adjointe de Bourg-de-Péage et conseillère départementale de l’opposition. À l’heure des 50 ans de la loi Veil, il faut continuer à se mobiliser pour ces femmes qui ont besoin de ces structures. » « C’est un sujet de société et de santé publique, a également déclaré la maire socialiste de la ville, Nathalie Nieson. Les droits des femmes, ça se travaille tous les jours. »

© Photo Corinne Simon / Hans Lucas via AFP
L’annonce de ces restrictions a également suscité les réactions des syndicats du conseil départemental de la Drôme. La CGT a ainsi accusé la collectivité territoriale de renvoyer « les Drômoises et Drômois aux laboratoires et aux pharmacies pour être dépisté·es, faire des tests de grossesse, etc. ». « Le fait de renvoyer à des structures privées, lucratives, qui n’établissent que des actes, montre la méconnaissance et l’absence de considération des élu·es de la majorité pour le travail des CSS et du Planning familial », poursuit le syndicat dans son communiqué.
© Photo Corinne Simon / Hans Lucas via AFP
« Dans un contexte budgétaire national et départemental contraint, il est essentiel de rappeler que la santé sexuelle ne doit pas être considérée comme une variable d’ajustement budgétaire, pointe de son côté la CFDT Interco du département. Les CSS jouent un rôle crucial dans la prévention, l’éducation à la santé sexuelle et l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité. En les privant de ressources et de personnel qualifié, nous mettons en péril la santé et le bien-être des Drômois. »
Ces CSS proposent des consultations médicales, des tests de grossesse ou de dépistage d’infections sexuellement transmissibles (IST), ainsi que des IVG médicamenteuses. Ils sont également un lieu d’accueil et d’écoute. « Nous assurons un suivi sur le long terme indispensable pour offrir une écoute qui permettra à des femmes de parler de certains problèmes difficiles à aborder comme les violences sexuelles, l’inceste… », explique Frédérique Clausse, secrétaire générale du Planning familial de la Drôme, qui gère, grâce aux subventions du département, cinq centres.
« Nous faisons également de l’éducation à la sexualité dans les écoles, complète, sous couvert d’anonymat, une conseillère d’un des sept CSS directement gérés par le département qui devront tous mettre la clef sous la porte en cas d’adoption du budget. On fait par exemple visiter le CSS à tous les élèves de troisième pour dédramatiser ce type de lieu, pour montrer qu’on est là pour eux en cas de besoin. »
Dans une réponse transmise à Mediapart, le département justifie ces coupes en affirmant qu’il assure déjà « sa mission de santé sexuelle au-delà des obligations que lui impose la loi. Au total 50 demi-journées de consultations seront réalisées dans les centres hospitaliers […], soit 25 % de consultations supplémentaires au niveau légal. La collectivité engagera plus de 700 000 euros pour assurer cette mission tout au long de l’année » (lire l’intégralité de la réponse du département en annexe de cet article).
Pénurie de médecins
Le chiffrage est contesté par Frédérique Clausse. « La loi impose en effet aux départements de proposer un certain nombre de demi-journées pour une certaine taille de population. Dans la Drôme, ce chiffre est de 50 demi-journées. Or, actuellement, selon leurs calculs, il y aurait 80 demi-journées proposées, détaille-t-elle. Mais nous avons fait nos propres comptes et ça ne correspond pas du tout ! Le département a inclus les demi-journées que nous fournissions sans leur financement. En réalité, il ne finance que 30 demi-journées ! Donc, si à l’avenir nous ne déclarons que celles-ci, le département se retrouvera en violation de la loi. »
La secrétaire générale du Planning familial drômois conteste également cette vision selon laquelle les CSS seraient surdotés ou en sous-activité. « Sur Valence, nous sommes déjà débordés et nous allons l’être encore plus avec la fermeture des autres centres », explique-t-elle. La plupart de ces centres étaient en outre installés en territoire rural, des zones déjà touchées par une pénurie de médecins.
« Je ne sais pas où les filles vont aller, s’inquiète la conseillère du CSS départemental. Il n’y a rien à moins de trois quarts d’heure. » « On nous explique qu’elles pourront aller voir leur médecin, mais dans ces territoires, il n’y en a pas !, abonde Frédérique Clausse. À titre personnel, cela fait trois ans que je cherche un médecin généraliste. Et quand vous en avez un, il faut deux mois pour obtenir un rendez-vous. »
Sur ce point, le département explique à Mediapart qu’il « a mis place un plan de redynamisation de l’offre de soins en 2017. Grâce à ce plan, plus de 300 internes ont été accueillis en stage dans la Drôme, la plupart hébergés dans des Maisons des internes financées par le département et les villes d’accueil. Une trentaine de Maisons de santé ont également pu voir le jour grâce à des financements du département ».
C’est souvent lorsqu’elles viennent pour un test de grossesse ou de dépistage qu’on leur demande si le rapport a été consenti et qu’elles s’effondrent en larmes.
Frédérique Clausse
Il n’en demeure pas moins que c’est une offre de santé sexuelle plus complète qui va disparaître.
« Au Planning familial, nous commençons par présenter l’ensemble des moyens de contraception disponibles et c’est la personne qui va choisir celui qui lui convient le mieux, reprend-elle. Nous sommes également un lieu d’écoute. Un rendez-vous pour une contraception sera également l’occasion de discuter d’IST ou de violences sexuelles, avec peut-être plus de disponibilité qu’un médecin généraliste. C’est souvent lorsqu’elles viennent pour un test de grossesse ou de dépistage qu’on leur demande si le rapport a été consenti et qu’elles s’effondrent en larmes. Enfin, les consultations sont chez nous totalement anonymes, ce qui n’est pas le cas avec les médecins. »
Les jeunes, y compris mineur·es, peuvent aller à la pharmacie ou au laboratoire pour les tests de dépistage, y compris sans autorisation parentale. Mais cela peut être délicat.
« C’est très compliqué pour une jeune fille vivant dans un petit village et ayant besoin d’une contraception d’urgence d’aller voir son médecin de famille ou la pharmacie du coin, témoigne encore une médecin travaillant dans un CSS géré par un hôpital. Les CSS répondent à un besoin que ni les médecins de ville ni les pharmaciens ni les laboratoires ne peuvent absorber. Les centres du Planning familial sont généralement installés en centre-ville et sont ouverts le mercredi après-midi pour permettre aux jeunes d’y venir. Si l’un d’eux ferme, les lycéennes devront faire une heure de bus pour trouver quelqu’un pour les aider. Ce qui va se passer c’est que certaines vont renoncer. »
Pour le Planning familial, qui a lancé une pétition de soutien, les conséquences de cette baisse de subvention sont encore difficiles à évaluer. L’association emploie 6,5 équivalents temps plein sur ses cinq sites, tous à temps partiel. « Il va falloir que l’on réduise globalement le temps de travail, ce qui veut dire moins d’animation en milieu scolaire, moins de temps de permanence… Nous allons peut-être devoir fermer un de nos sites », craint Frédérique Clausse.
La situation est d’autant plus délicate pour l’association qu’elle fait partie des « oubliés du Ségur », ces structures du secteur social et médico-social qui devront verser, à compter du mois d’août prochain, une prime de 183 euros net à leurs salarié·es. « Pour nous, cela représente environ 30 000 euros par an, précise Frédérique Clausse. Et nous risquons des poursuites devant les prud’hommes si nous ne la versons pas. »
Nous faisons partie des secteurs facilement “compressibles”.
Frédérique Clausse
Bien que le budget ne doive être formellement voté qu’au mois d’avril, la responsable du Planning a peu d’espoir. « Nous avons vu jeudi dernier les gens du département et ils nous ont faire comprendre qu’il n’y avait aucune marge de manœuvre, raconte Frédérique Clausse. J’espérais pourtant un geste au moins symbolique, par exemple en réduisant la coupe à 10 % au lieu de 20 %. Ils ont été très aimables, ils se sont même excusés. Mais ils ont été très fermes et nous ont fait comprendre qu’il n’y avait rien à espérer. »
Les cinq CSS gérés par les hôpitaux dépendent d’un système de financement légèrement différent. « La subvention du département est versée sous la forme d’une enveloppe donnée non pas au centre mais directement à l’hôpital. Celle-ci d’ailleurs souvent ne suffit pas et l’établissement est obligé de mettre la main à la poche », précise la médecin.
Elle ajoute : « Certains hôpitaux pourront donc compenser la baisse de 20 % par un glissement de tâches, poursuit-elle. Mais tous ne pourront pas et il y aura je pense des licenciements ou du moins une réorganisation au sein des CSS. Chacun d’entre eux devra négocier avec son administration pour défendre ses activités, leur utilité et leur caractère de service public. »
« Le département a 22 millions d’économies à faire, rappelle Frédérique Clausse. Or, l’activité des CSS est difficile à chiffrer. Comment chiffrer le nombre d’IST ou de grossesses non désirées que nous avons prévenues ? Contrairement à des services d’aide aux personnes âgées ou en situation de handicap qui peuvent plus facilement évaluer le nombre de résidents qu’ils peuvent accueillir, les soins qu’ils leurs fournissent… De ce fait, nous faisons partie des secteurs facilement “compressibles”. »
« En fait, nous sommes victimes d’économies en cascade, résume-t-elle : l’État réduit le budget du département, qui réduit notre subvention. Et nous, nous devons en faire peser les conséquences sur nos salariés et les Drômois. »À lire aussi« On nous a fait savoir que nous étions trop militants » : la mise au pas politique des associations en Nouvelle-AquitaineDes militantes réclament l’inscription de la pilule abortive dans la liste des médicaments « prioritaires »
À la veille de la Journée internationale des droits des femmes, le Planning familial a publié un communiqué national rappelant que le cas de la Drôme n’était pas un exemple isolé et que l’ensemble du pays était touché par des baisses de budget.
« Le Planning familial fait face à des baisses de subventions, fragilisant ses actions de prévention, d’information et d’accompagnement. Parallèlement, la fermeture de structures comme des centres de santé sexuelle réduit encore l’accès aux droits et aux soins », écrit l’association, qui appelle « le gouvernement à prendre une position ferme et publique pour défendre » les droits et la santé sexuelle et reproductive.