Zéro artificialisation nette : Matignon réfléchit à un nouvel assouplissement
Le gouvernement envisage de décaler l’objectif de réduction de moitié de l’artificialisation de 2031 à 2034, selon un scénario présenté lors d’une réunion interministérielle lundi.

Un compromis indispensable ou la poursuite du détricotage ? Confronté à une nouvelle proposition de loi venue du Sénat et aux demandes du ministère de l’industrie et de l’énergie, Matignon a bien été obligé de se plonger dans un des dossiers les plus complexes de la politique environnementale, le zéro artificialisation nette (ZAN). Selon des documents que Le Monde s’est procurés, le gouvernement réfléchit à la possibilité de décaler l’objectif de réduction de moitié de l’artificialisation de 2031 à 2034 tout en créant une « réserve nationale de 10 000 hectares, dédiée à l’industrie, aux data centers », selon un « scénario d’assouplissement », présenté lors d’une réunion interministérielle, lundi 24 février.
Dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021, la France s’est engagée à diminuer de moitié sa consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers en 2031 pour passer de 250 000 hectares à 125 000 hectares sur une décennie, avant d’atteindre la neutralité en matière d’artificialisation en 2050. Une avancée législative très importante pour la biodiversité, mais qui rencontre l’opposition de certains élus locaux.
Après une première loi de simplification en 2023 qui garantissait à chaque commune « une surface minimale d’un hectare de consommation » sur la période 2021-2031, les sénateurs ont déposé une nouvelle proposition de loi de « trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux ».
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Ce texte, qui sera examiné en séance publique à partir du 12 mars, propose d’abroger l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation en 2031. « Il faut casser cette planification en passant à une contractualisation, avec des étapes différenciées en fonction de chaque territoire », affirme Jean-Baptiste Blanc, sénateur (Les Républicains, LR) du Vaucluse, l’un des rédacteurs de cette proposition de loi qui conserve l’objectif d’une neutralité de l’artificialisation en 2050.
« Certaines régions paient pour d’autres »
Dans son scénario mais aussi dans ses commentaires au sujet de chaque article de la proposition de loi, le gouvernement reste attaché à l’idée d’une borne intermédiaire mais la décale donc en 2034. La réduction de moitié serait donc calculée sur la décennie 2024-2034 et les années 2021, 2022, 2023 seraient considérées comme des années « blanches ». Une revendication de nombreux élus locaux qui ont continué à consommer et à urbaniser depuis 2021. « Les collectivités étaient, de 2021 à 2024, dans l’incapacité de maîtriser leur trajectoire de consommation foncière en l’absence de législation ou de dispositions législatives claires », avait déclaré François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, le 29 janvier, devant la commission des affaires économiques du Sénat. Ce jour-là, lui aussi s’était dit favorable au report en 2034.
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Pendant l’année 2022, 20 276 hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers ont ainsi été consacrés à la construction, ce qui représente à peu près les mêmes niveaux qu’en 2015 (21 046 hectares), selon les données du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). « Ce décalage de trois ans pourrait entraîner une surconsommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers de 37 500 ha sur la période 2021-2034 », prévoit le « scénario d’assouplissement ». « C’est quand même un compromis qui est intéressant car il garde l’objectif intermédiaire. Même si on laisse plus de temps, cela permet de conserver cette ambition de réduction, ce qui nous paraît indispensable », commente Michel Jacod, spécialiste de cette question au sein du réseau France Nature Environnement (FNE).
Lors d’une autre réunion interministérielle, le 17 février, le ministère de l’industrie et de l’énergie a fait savoir qu’il aurait besoin de 10 000 hectares lors de la prochaine décennie, « chiffre qui mériterait d’être objectivé car il est nettement supérieur aux estimations », selon une note rédigée par la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature et par la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages. Cette réserve d’artificialisation serait à répartir entre les régions, celles qui en auraient le plus besoin le notifiant aux préfectures. Mais cela obligerait aussi à faire des efforts supplémentaires sur d’autres terres pour respecter l’objectif global de réduction de 50 % et donc à ce que « certaines régions paient pour d’autres », selon un sénateur.
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Ce forfait de 10 000 hectares s’ajouterait ainsi à celui des Projets d’envergure nationale ou européenne (PENE). Le 10 avril 2024, le ministère de la transition écologique avait déjà révélé une liste de 167 projets (A69, canal Seine-Nord Europe, grand projet ferroviaire du Sud-Ouest…) qui totalisent déjà près de 11 900 hectares sur une première enveloppe de 12 500 hectares « réservés » à l’Etat. Avec ces enveloppes dévolues à l’industrie et aux grands projets, le plafond de consommation « serait de 92 000 ha, soit une réduction de l’ordre de 59 % [pour les régions] », pointe un des documents du gouvernement. Une équation qui résume à elle seule la complexité du dossier du ZAN, crucial pour l’environnement, mais soumis à de fortes pressions économiques et politiques.