Plusieurs textes sont menacés d’être mis en pause, vidés de leur substance ou carrément supprimés par le paquet législatif dit Omnibus

Accélérer ou dérailler : l’avenir de la RSE sous les feux du règlement Omnibus

Branle-le-bas de combat sur les directives européennes liées à la RSE. Alors que la Commission s’apprête à présenter son attirail de « simplification », voire de dérèglementation, les « pour » et les « anti » se mobilisent.

Décryptage  |  Gouvernance  |  19.02.2025  https://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-omnibus-UE-45628.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzcxNQ%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

|  N. Gorbatko

Accélérer ou dérailler : l'avenir de la RSE sous les feux du règlement Omnibus

© Dee karen Le paquet législatif dit Omnibus pourrait remettre en cause la réglementation européenne liée à la RSE.

Quel avenir pour les directives et autres réglementations européennes liées à la responsabilité sociale et environnementale des organisations et des entreprises ? Malgré les assurances d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne réélue en juillet 2024, de préserver le Pacte vert et de « maintenir le cap » sur la stratégie climatique de l’Union, plusieurs textes sont menacés d’être mis en pause, vidés de leur substance ou carrément supprimés par le paquet législatif dit Omnibus, qui devrait être présenté, mercredi 26 février, sous couvert de simplification et d’harmonisation.

La taxonomie verte, publiée en 2021 pour identifier les activités « durables », la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) entrée en vigueur en janvier 2024 sur le reporting extra-financier et la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) sur le devoir de vigilance, entrée en application en juillet 2024, sont expressément citées par la Commission. Mais le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pourrait lui aussi être visé par ce texte censé regrouper plusieurs modifications ou révisions de lois existantes.

Un manque de transparence

À ce jour, le périmètre exact du nouveau règlement n’est pas encore connu, pas plus que son contenu précis tant le processus souffre d’opacité. Les échanges sur ce thème lors de la réunion des ministres des Finances à Bruxelles, mardi 18 février, n’ont pas été détaillés et si une « consultation », plutôt proche du « tour de table », s’est bien tenue, les 5 et 6 février derniers, sous la houlette de la Commission, elle s’est déroulée à guichet fermé, avec un public choisi favorable à la démarche. « Pas moins de 31 entreprises et 26 associations d’entreprises, dont la plupart se sont déjà publiquement prononcées en faveur d’un détricotage pur et simple du Pacte vert, s’insurge l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint. Seules 10 ONG étaient conviées. » Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs interpellé la Commission, « pour atteinte aux principes de participation et de consultation inscrits dans les traités ».

Le 12 février dernier, dans sa présentation au Parlement du programme de travail de son instance, le commissaire chargé du Commerce, de la Sécurité économique et des Relations interinstitutionnelles, Maroš Šefčovič, a pour sa part mentionné onze initiatives phares sur 51 dotées d’une forte dimension de simplification, « y compris trois paquets omnibus », ainsi que quatre textes législatifs susceptibles d’être abrogés. Évoquant un programme « ambitieux », « sans précédent » de simplification des règles existantes, « afin de libérer les opportunités, l’innovation et la croissance », il s’est pourtant bien gardé lui aussi d’entrer dans les détails.

Un large champ des possibles

La notion de simplification pourrait ainsi recouvrir divers degrés, explique l’eurodéputé Renew Pascal Canfin : du simple toilettage « pour que les acteurs puissent faire moins cher, faire plus vite, faire mieux », à la véritable dérégulation « revenant sur l’essence même des textes et des objectifs que nous nous étions fixés ». Parmi les options figurent la modification de la taille des entreprises concernées par la CSRD et la CS3D, qui ne concerneraient plus qu’un tout petit nombre d’entre elles, ou celle des chaînes de valeur, l’allégement des données à reporter, celui de la responsabilité ou encore le passage des règles d’obligatoires à volontaires. La disparition de la double matérialité est également évoquée.

Face au bulldozer redouté, les prises de position en faveur de la préservation de ces piliers du Pacte vert se multiplient. D’horizons variés, elles émanent notamment de grandes entreprises, dont Nestlé, Accor, Decathlon, Ikea ou Patagonia, de syndicats, d’investisseurs et de chercheurs, par centaines, d’organisations professionnelles comme l’Association française de gestion (AFG) ou le Collège des directeurs du développement durable, mais aussi des associations, comme le Forum pour l’investissement responsable (FIR). Toutes comportent des nuances et des curseurs différents pour chaque règlement, selon les intérêts de chacun, mais prônent un minimum de modération.

Le monde de l’entreprise favorable à des règles“ Si elles sont demandeuses d’allégements, les entreprises relèvent que les normes environnementales et sociales européennes les protègent d’une concurrence déloyale et d’un dumping environnemental et social ”FIR

En contradiction avec le Medef, qui milite activement en faveur d’une forte dérégulation, beaucoup d’entreprises assurent ainsi souhaiter disposer d’un langage commun de reporting à l’échelle de l’UE, ainsi que de données fiables et comparables. « Si elles sont demandeuses d’allégements, les entreprises, notamment les PME-ETI, relèvent que les normes environnementales et sociales européennes les protègent d’une concurrence déloyale et d’un dumpingenvironnemental et social », souligne également le FIR.

Instance de concertation composée de représentants de toutes les parties prenantes, et placée auprès du Premier ministre, la Plateforme RSE s’est, elle aussi, fendue d’un communiqué, lundi 17 février, peu conforme à ses habitudes. « Au vu des immenses défis environnementaux, climatiques, sociaux et géopolitiques constatés au premier quart de ce siècle, de l’aggravation des phénomènes extrêmes et des coûts économiques, humains et sociétaux qu’ils engendrent », le rôle des entreprises dans les trajectoires de durabilité est « fondamental », rappelle-t-elle.

Beaucoup d’entre elles ont d’ailleurs déjà mené des transformations de leurs modèlesd’affaires, alliant préservation des ressources, souci de la compétitivité et meilleure gouvernance, remarquent les signataires. « Toutes doivent renforcer leurs efforts en ce sens. » En recherchant certes « les points d’amélioration pour une meilleure appropriation », mais sans mettre en cause ces piliers législatifs et réglementaires du Pacte vert, « dont l’interdépendance garantit l’efficacité ».

Désaccords au Parlement

Au Parlement européen, en revanche, l’ambiance n’est pas précisément à la nuance. Face aux socialistes et aux écologistes qui appellent à ne pas revenir sur le modèle social européen, à ne pas ignorer le changement climatique et à ne pas confondre simplicité et simplisme, tout en acceptant une réduction de la charge administrative, les élus du PPE rejettent toute tentative de revenir seulement « sur certaines virgules, certains points ». Ne rien faire pendant que des petites entreprises font faillite ou que les industries quittent le territoire européen, « cela ne rendra service ni à la planète ni à notre économie (…). Nous avons vraiment besoin de changer la donne », a ainsi martelé le député néerlandais Jeroen Lenaers, lors de l’audition du commissaire Maroš Šefčovič au Parlement européen, mercredi 12 février.

Un discours « tout en mesure » comparé aux boulets rouges tirés par les députés d’extrême droite qui fustigent « la folie verte de la législature précédente » (Nicola Procaccini, Conservateurs et réformistes européens) ou un « enfer bureaucratique dans lequel il est désormais cauchemardesque d’investir » (Jordan Bardella, Patriotes). Le président du Rassemblement national a ainsi très spécifiquement ciblé les directives en lien avec la RSE : « CSRD, CS3D, IA Act… Autant d’acronymes qui suscitent aujourd’hui le désarroi légitime d’entrepreneurs livrés à leur propre sort », a-t-il scandé, avant de se prononcer purement et simplement pour une suspension du Pacte vert.

Une possible coalition droite-extrême droite

« Le combat est rude, avec une offensive brutale d’une partie du patronat et de l’extrême droite européenne », confirme Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle. Selon le promoteur de la loi française sur le devoir de vigilance, les débats tournent même au « combat politique vital ». Pour Pascal Canfin, une coalition doit impérativement se dessiner entre le PPE, parti de la présidente de la Commission, les forces « centristes » de Renew et les socialistes, afin de convenir d’une réouverture des textes « maîtrisée », « chirurgicale », selon un programme défini à l’avance.

Dans le cas contraire, tout serait possible au Parlementprévient-il. « Y compris une alliance de droite et de droite extrême pour amener les textes bien au-delà de ce qui avait été prévu par la Commission. » En l’absence d’un cadrage en amont, le député craint aussi les effets délétères d’une période d’incertitude jusqu’au vote final des textes Omnibus, au cours du dernier trimestre de l’année 2025. « Ce paquet est le premier texte législatif qui montrera l’existence ou pas d’une majorité von der Leyen au Parlement européen. S’il n’y a eu aucune concertation, aucune tentative de préaccord sur un sujet aussi sensible, aussi visible que celui-ci, cela montrera l’instabilité d’un Parlement où tout peut arriver. Ce serait la première fois, dans toute l’histoire de la construction européenne, que la Commission mettrait un texte sur la table en prenant le risque qu’une majorité droite-extrême droite l’emporte. »

Une démarche en contradiction avec les engagements

Mais la manière d’agir d’Ursula von der Leyen, pourtant élue grâce aux voix des centristes, des socialistes et des écologistes semble peu propice au consensus. Le texte Omnibus ne faisait en effet pas partie de ses engagements initiaux. « Parmi les lettres des commissaires européens chargés de la loi Omnibus, aucune ne faisait mention de la déréglementation massive prévue pour le 26 février prochain, notent aussi les ONG environnementales. En revanche, ces lettres mettaient en avant la nécessité d’organiser de larges consultations et études d’impact avant la proposition de nouvelles lois. »

Or cette loi n’a bénéficié ni d’une réelle consultation ni d’une étude d’impact. « Nous partons donc du principe a priori que le devoir de vigilance, la taxonomie et la CSRD nuisent à la compétitivité européenne. Sachant qu’une partie de ces textes n’est même pas encore entrée en vigueur », observe Pascal Canfin. La France, qui se situait jusqu’alors aux avant-postes en Europe pour le devoir de vigilance comme pour la CSRD, fait désormais volte-face, elle aussi. Sans préavis.

Dans ses vœux aux acteurs économiques, le 23 janvier dernier, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, appelait soudainement de ses vœux un choc de simplification à l’échelle européenne, accompagné notamment du report de la CS3D. « Parce que l’UE ne perd rien de moins que 10 % de son potentiel de croissance en raison de la complexité réglementaire qui pèse sur ses entreprises », soulignait-il. D’après des documents de travail qui n’étaient pas destinés à la presse, mais qui ont été divulgués par Médiapart et Politico, le Gouvernement défendrait en réalité depuis quelques temps le report sine die de la directive au lieu d’un report d’un à deux ans. « Cela veut dire qu’on n’est pas très loin d’abandonner purement et simplement cette directive », analyse Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer pour CCFD-Terre solidaire. Il demanderait également le rehaussement des seuils du périmètre des entreprises concernées et la suppression de la clause permettant de prévoir des règles spéciales pour les services financiers.

Une bataille de narratif

« En fait, on renonce tout simplement à encadrer la transformation des entreprises. Et tout cela avec un mot magique, celui de la simplification, que personne n’interroge », déplore l’ONG Notre affaire à tous. La divulgation du texte, mercredi 26 février, devrait donner lieu à une « bataille de narratif et d’interprétation, politique et factuelle », juge au contraire Pascal Canfin. D’autant plus que le texte Omnibus sera présenté le même jour que le Clean Industrial Deal (Pacte pour une industrie propre), qui nécessitera sans doute une mise en œuvre accélérée et approfondie du Pacte vert.

« Peut-on dans le même temps déréguler complètement la CSRD et vouloir renforcer la prise en compte de l’empreinte carbone des produits dans l’accès au marché européen, dans le Clean Industrial Deal ? Et peut-on construire l’union des marchés de capitaux tout en supprimant notre grammaire commune en termes de reporting ?interroge le député. Ça ne marchera pas, c’est du mauvais en même temps. »

Un report de la présentation du texte au mois de mars est aujourd’hui évoqué. Peut-être en raison de dissensions internes à la Commission ? « L’une des principales critiques des entreprises est : « Arrêtez de changer de cap tous les six mois » », assure par exemple le commissaire européen au Climat, à la Neutralité carbone et à la Croissance propre, Wopke Hoekstra. À moins que le texte initialement prévu pour porter sur des modifications secondaires ne se soit tellement alourdi qu’il nécessite désormais plus de temps que prévu pour sa rédaction…

Nadia Gorbatko, journalis

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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