« L’enfance maltraitée, un enjeu sanitaire : « On doit pouvoir la traiter comme une maladie chronique, pleinement pédiatrique » »
Date de publication : 20 février 2025

Mattea Battaglia explique dans Le Monde que « les enfants victimes de violences accumulent les risques, perdant 20 ans d’espérance de vie par rapport à la population générale. Leur prise en charge s’est améliorée, notamment grâce aux unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger, mais elle reste insuffisante ».
La journaliste rappelle que « l’évaluation médico-sociale de tout jeune intégrant un dispositif de protection de l’enfance (ils sont un peu moins de 400.000 mineurs ou majeurs de moins de 21 ans) est entrée dans la loi en 2016. Pourtant, dans les faits, seuls 28% des conseils départementaux auraient rendu ce bilan systématique, selon des statistiques reprises par la Haute Autorité de santé. Moins du tiers des enfants «à protéger» bénéficieraient des bilans adéquats dès leur admission et, parmi eux, seul 1 sur 10 bénéficie du suivi adapté par la suite ».
« Un autre chiffre, emprunté à une étude européenne, et relayé par le Conseil économique, social et environnemental dans un avis diffusé à l’automne 2024, symbolise ce que les soignants résument sous la formule «pertes de chances» : les victimes de maltraitances dans l’enfance ont, en moyenne, une espérance de vie inférieure de 20 ans à celle de la population générale », souligne Mattea Battaglia.
Elle cite notamment la Pre Céline Greco, « à l’initiative d’équipes mobiles à l’hôpital chargées de repérer les enfants victimes de violences »,qui déclare : « Lorsqu’ils subissent des violences graves à la maison, ces enfants vivent un Bataclan tous les soirs, avec une peur réelle de mourir sous les coups ».
Mattea Battaglia poursuit : « Celle qui dirige aujourd’hui le service de médecine de la douleur et palliative à l’hôpital Necker, à Paris, convoque, lorsqu’on l’interroge sur le sujet, une autre image inattendue : une «attaque d’ours» ».
La Pre Greco explique : « Imaginez que vous croisiez un ours dans la forêt. Votre cerveau ordonne à vos glandes surrénales de sécréter de l’adrénaline et du cortisol. Ces hormones du stress provoquent une tachycardie, une augmentation de la tension artérielle, une modification de la respiration pour amener plus de sang vers vos muscles et pouvoir combattre ou fuir l’ours ».
« Le foie libère du glucose, source d’énergie, tandis que le système digestif et immunitaire se met au repos. Après avoir combattu ou fui l’ours, un thermostat interne stoppe la sécrétion d’adrénaline et de cortisol, et le corps revient à son état de base », continue la praticienne.
Mattea Battaglia remarque : « Mais que se passe-t-il si l’« ours » rentre à la maison chaque soir ? ». Céline Greco répond que « le thermostat ne fonctionne plus, l’adrénaline et le cortisol sont sécrétés en permanence et le stress chronique devient toxique pour l’organisme en développement. Ce mécanisme explique les conséquences des violences faites aux enfants sur leur santé future ».
La journaliste indique ainsi qu’« un enfant maltraité présente, à l’âge adulte, deux fois plus de risques de développer des maladies cardio-vasculaires, deux à trois fois plus de risques de maladies respiratoires, deux fois plus de risques de cancers, près de cinq fois plus de risques de dépression, trente-deux fois plus de risques de troubles des apprentissages… ».
Mattea Battaglia note que « les acteurs de terrain s’accordent sur un point : il faut un «regard pluridisciplinaire». Pouvoir «croiser les expertises», ce qui manque souvent dans les espaces fréquentés par les enfants, qu’il s’agisse de l’école ou du cabinet du médecin traitant. Une unité d’accueil comme l’UAPED [unité d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger], elle, le permet : c’est ce qui fait la spécificité de ces dispositifs aujourd’hui implantés dans une centaine de départements et dans près de 140 hôpitaux, […] pour organiser le repérage et la prise en charge des mineurs victimes ».
Tania Ikowsky, pédiatre à l’hôpital Robert-Debré (Paris), déclare ainsi : « On doit pouvoir traiter la maltraitance comme une maladie chronique, pleinement pédiatrique, en tenant compte des facteurs de risque, donc, mais aussi d’une prévalence très élevée – 1 enfant sur 10 serait victime de négligence ou de maltraitance –, et en prenant en charge, dans une approche globale, les conséquences sur la santé ».
Aide sociale à l’enfance : les conclusions de la commission d’enquête parlementaire attendues début avril
Les députés ont conclu leurs auditions, mercredi 19 février. La ministre Catherine Vautrin, en conclusion, a promis une « refondation » de l’ASE, qui concerne 400 000 enfants et jeunes majeurs.
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C’est avec l’audition d’une ministre, Catherine Vautrin, chargée du travail, de la santé, des solidarités et des familles, que la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques de l’enfance a conclu ses auditions, mercredi 19 février. L’occasion pour la responsable politique d’imprimer sa marque sur le dossier de l’aide sociale à l’enfance (ASE), dont elle a promis la « refondation » au bénéfice des près de 400 000 enfants et jeunes majeurs concernés.
Alors même que ce gouvernement ne dispose plus d’un ministère spécifique, ni même d’un secrétariat d’Etat comme dans le gouvernement Barnier, Mme Vautrin s’est engagée à ce que le nom du futur « haut-commissaire à l’enfance », attendu par les acteurs de terrain depuis l’annonce de sa création, le 28 décembre 2024 par Emmanuel Macron, soit connu d’ici « une à deux semaines ». « Je souhaite garder personnellement le sujet de l’ASE en responsabilité directe », a tenu à souligner Mme Vautrin.
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Ses premières paroles, à l’Assemblée nationale, mercredi, ont été pour prendre acte des « défaillances nombreuses » de l’ASE et dévoiler sa méthode et son calendrier. Cinq priorités ont été énoncées, parmi lesquelles la définition de normes et de taux d’encadrement dans les pouponnières, mais aussi dans les foyers – en tenant compte des difficultés de recrutement des personnels –, la parution de cinq décrets relatifs à la dernière loi de protection de l’enfance, en 2022, ou encore l’instauration d’une évaluation psychologique de chaque enfant entrant dans un parcours de protection.
Certains des sujets abordés par la ministre sont déjà pour partie inscrits dans les textes de loi, à l’image du bilan de santé en principe obligatoire depuis 2016, même si beaucoup de mineurs n’en bénéficient pas. D’autres sont plus inattendus, comme le lancement d’une réflexion en lien avec la chancellerie sur l’adoptabilité des enfants placés, un « chantier en soi », a-t-elle dit.
« Tout est cloisonné, en silo »
L’échange avec les membres de la commission, présidée par la députée de la Marne Laure Miller (Renaissance), est venu conclure un cycle d’auditions, près d’une soixantaine, menées depuis le printemps 2024 mais interrompues par la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin. Du rôle de l’Etat dans cette politique publique décentralisée à la dégradation des conditions de prise en charge des enfants confiés, en raison de la saturation des dispositifs, en passant par l’inexécution des mesures de protection, de nombreuses questions ont été soulevées. Plusieurs acteurs de l’enfance sont venus livrer leur regard, leur diagnostic, mais aussi leurs attentes devant les parlementaires. A commencer, le 14 mai 2024, par Lyes Louffok, Anne-Solène Taillardat et Diodio Metro, anciens « enfants de l’ASE » devenus des adultes engagés dans la lutte contre ses dysfonctionnements.
Parmi les temps forts de la deuxième séquence, après la reformation de la commission d’enquête en octobre 2024, il y eut les auditions des anciens secrétaires d’Etat chargés de l’enfance Adrien Taquet et Charlotte Caubel, ou de l’ex-ministre des familles et de l’enfance Laurence Rossignol. Ils se sont exprimés, notamment, sur la responsabilité de l’Etat aux côtés des départements, qui assurent diversement leur mission. Dans un jeu de miroir, leurs représentants ont aussi été entendus et ont dit leur grand désarroi devant les insuffisances des autres services régaliens (éducation, santé, justice) étroitement liés au sort des mineurs à protéger.
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La rapporteuse Isabelle Santiago (Parti socialiste, Val-de-Marne) s’est engagée à rendre un rapport et des préconisations d’ici à début avril. « En France, tout est cloisonné, en silo, cela ne permet pas de détecter, d’orienter et de prendre soin globalement des familles », estime-t-elle, marquée par les histoires de jeunes ayant connu de nombreux lieux d’accueil et autant de « ruptures du lien d’attachement ». Lors d’un échange avec Le Monde, début février, elle citait l’exemple d’un enfant de 4 ans déjà passé par dix-sept lieux de placement.
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