Coûts, sites d’enfouissement et incertitudes : ce qu’il faut savoir sur le stockage géologique du CO₂
Pour supprimer, d’ici à 2050, l’intégralité des pollutions industrielles françaises, l’Etat et les plus gros émetteurs veulent emprisonner plusieurs dizaines de millions de tonnes de CO₂ dans des failles sous-marines et d’anciens gisements d’hydrocarbures. Solution ou hérésie ? Mediacités vous dit tout de ce procédé que le Giec présente comme un « levier nécessaire » dans la lutte contre le changement climatique.

Capturer la pollution à la sortie des usines, la faire voyager plusieurs milliers de kilomètres dans des tuyaux ou par bateau puis l’enfermer pour toujours bien profondément sous la mer du Nord ou en Méditerranée. Tout ahurissant qu’il soit, ce projet n’est pas celui d’un savant fou.
C’est en effet l’avenir – très sérieux – que d’éminents ingénieurs, administrateurs d’Etat et scientifiques projettent pour l’industrie européenne. Déterminé à voir cette technologie se déployer dès 2030, le gouvernement français a déjà annoncé qu’il y investira massivement. Et pour cause, le CCS – pour « carbone capture and storage » – est considéré par le Giec [groupe international d’experts sur le climat] comme un « levier nécessaire » afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Coût des infrastructures, fonctionnement concret, incertitudes à lever et premières controverses, Mediacités, consacre une série d’enquêtes à cette solution miracle pour « verdir » l’industrie française. Et vous invite à faire un bond dans le futur…
Pour atteindre ses objectifs climatiques, Airbus brasse de l’air (littéralement)
Depuis 2022, Airbus revend aux compagnies aériennes des crédits carbone reposant sur une technologie tout droit sortie d’un livre de science-fiction : extraire le CO₂ de l’atmosphère à l’aide de ventilateurs géants. Une absurdité climatique tant cette solution énergivore pourrait émettre plus de carbone qu’elle n’en aspire.

Le Texas, ses déserts poussiéreux, ses ranchs et… ses immenses ventilateurs brassant chaque jour deux à trois kilomètres cubes d’air. Près de la ville d’Odessa, dans l’Ouest de cet Etat américain, des hélices aussi massives qu’un bloc d’immeubles de cinq étages sont en train d’être construites par l’entreprise canadienne Carbon Engineering, avec le soutien de l’avionneur toulousain Airbus. L’objectif ? Compenser les émissions de dioxyde de carbone des compagnies aériennes en extrayant du CO₂ directement de l’atmosphère, et en le stockant dans une infrastructure dédiée.
Pour ses promoteurs, la technologie du captage direct dans l’air (CDA, aussi appelée Direct Air Capture, en anglais) présente deux avantages. Elle permettrait de « neutraliser » les émissions carbone actuelles et de « nettoyer » l’atmosphère de la pollution émise il y a dix, vingt, cinquante, voire cent ans. « C’est alors ce qu’on appelle une technologie “à émission négative” », commente Florence Delprat‐Jannaud, présidente du Club CO2, le lobby français du secteur du captage‐stockage de CO2.
L’idée de ces grands ventilateurs semble néanmoins sortir directement d’un livre de science‐fiction. Et peine d’ailleurs à convaincre les scientifiques. « La concentration du CO2 dans l’air ambiant s’élevant à 400 ppm [partie par million] à peine. Essayer de l’attraper c’est comme tenter de retrouver quatre personnes dans un stade plein de 10 000 places », image Louis Fradette, professeur au département de génie chimique à l’École Polytechnique de Montréal. « C’est une hérésie thermodynamique ! Le CO2 est 300 fois plus dilué dans l’air que dans les fumées d’usine, où il est déjà compliqué de le récupérer », ajoute Éric Favre, professeur à l’École nationale supérieure des industries chimiques (Ensic) de l’université de Lorraine…
L’ahurissant chantier qui doit faire du port de Dunkerque la plaque tournante du CO₂ en France
Unités de captage du dioxyde de carbone, réseau de canalisations souterraines, terminal de liquéfaction et transport par bateaux vers des sites d’enfouissement en mer du Nord… Mediacités révèle les dessous du “verdissement” accéléré que prévoit la capitale française des pollutions industrielles.

Mousquetaire du climat. À Dunkerque, un projet baptisé “D’Artagnan” – du nom du Gascon à moustache du plus célèbre roman d’Alexandre Dumas – vise à “combattre” les pollutions industrielles. Mieux : il a pour ambition de les faire disparaître… au fin fond de la mer du Nord.
Une idée loufoque ? Pas selon ses promoteurs qui comptent y investir 800 millions d’euros, dont une très large part d’argent public. Alors que la quasi‐totalité des étapes réglementaires a déjà été franchie, la mise en service de ce vaste projet de capture et de stockage du CO₂ (CCS) est prévue pour 2028.
S’il est mené à son terme dans les délais, “D’Artagnan” ferait de la zone industrialo‐portuaire de Dunkerque, capitale française de la pollution atmosphérique, le « premier hub national dédié à la décarbonation », jubile déjà le président de la communauté urbaine Patrice Vergriete.
Reste que pour “combattre” les émissions de CO₂, il faut bien plus qu’une moustache et une épée. Avant que le port de Dunkerque n’exporte ses premières tonnes de CO₂, la construction de (très) nombreuses infrastructures sera nécessaire. Au point de laisser dubitatif sur le bien fondé d’un pareil projet…
« Prétendre que le stockage de CO₂ va sauver le climat, c’est la plus grosse arnaque du siècle »
Dans un entretien à Mediacités, Yamina Saheb, co-autrice du dernier rapport du Giec, s’indigne du recours annoncé au stockage géologique du CO₂ pour « verdir » l’industrie française et européenne. Avec force, elle dénonce un greenwashing financé à grand renfort d’argent public et appelle à un sursaut citoyen.

« Mensonge », « fausse solution », « arnaque », « fuite en avant »… Sur le captage‐stockage de CO₂, cette technique miracle qui doit « verdir » les industries les plus polluantes de France [lire l’encadré ci‐dessous], le discours de Yamina Saheb, experte des politiques d’atténuation du changement climatique et co‐autrice du dernier rapport du Giec [groupe international d’experts sur le climat] a le mérite de la clarté.
Non, enfouir du CO₂ dans des failles géologiques sous‐marines ainsi que dans d’anciens gisements d’hydrocarbures, ce n’est pas « relever le défi du changement climatique », comme le prétend TotalEnergies, le géant des hydrocarbures. Par voie de conséquence : oui, les promesses d’un ciment, d’un acier ou encore d’un aluminium « vert » sont autant de mirages.
Reste que ces diversions sont coûteuses. Pour faire émerger les très nombreuses infrastructures nécessaires au déploiement à grande échelle de ce que la chercheuse considère comme une « fausse solution », plusieurs dizaines de milliards d’euros de fonds public seront nécessaires. Autant d’argent qui pourrait, selon la créatrice d’un laboratoire mondial de la sobriété, être bien plus utilement alloué à des politiques de réhabilitation du bâti existant ou encore au développement massif des transports en commun…
Commentaire Dr Jean SCHEFFER:
Si un abonné veut bien m’adresser les articles en entier je suis preneur;
Merci d’avance