Identité nationale: Olivier Faure, premier secrétaire du PS, estime que le sujet n’est « pas tabou »

Le PS et l’identité nationale : retour à la case traquenard

Olivier Faure estime que le débat sur l’identité nationale voulu par François Bayrou n’est « pas tabou ». Dans un contexte où l’extrême droite est autrement plus forte qu’en 2009, l’opportunité de s’engager sur ce terrain est mise en question dans ses propres rangs.

Mathieu Dejean

12 février 2025 à 10h42 https://www.mediapart.fr/journal/politique/120225/le-ps-et-l-identite-nationale-retour-la-case-traquenard?utm_source=quotidienne-20250212-214553&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20250212-214553&M_BT=115359655566

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CommeComme un sentiment de déjà-vu, en version dystopique. Interrogé sur BFMTV le 10 février, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, a déclaré que la gauche devait s’emparer du débat sur l’identité nationale voulu par François Bayrou. « Ce n’est pas parce que le débat est piégé qu’il faut le fuir »a-t-il affirmé, tout en rejetant la « vision conservatrice, rance, passéiste » des ministres Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, qui plaident pour un référendum sur l’immigration.

Le PS s’était retrouvé sur la même ligne de crête en 2009, quand Éric Besson, ancien socialiste devenu ministre de l’immigration, organisait dans les préfectures, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, un « grand débat » sur l’identité nationale – que Mediapart avait refusé. Voyant la manœuvre pilotée par l’éminence grise du président, Patrick Buisson, pour siphonner l’électorat du Front national (FN), la première secrétaire du PS de l’époque, Martine Aubry, avait organisé une contre-programmation sous la forme d’un « tour de France du projet »

« Il fallait dénoncer les manipulations de la droite, qui courait déjà après l’extrême droite. Ce débat sur l’identité nationale, on l’avait retourné pour montrer les vrais priorités des Français », se rappelle Jean-Marc Germain, alors directeur de cabinet de Martine Aubry. Le PS a-t-il encore les capacités de cette prise de judo aujourd’hui ? 

L’entrée en matière d’Olivier Faure témoigne plutôt du terrain perdu, depuis seize ans, dans la bataille culturelle face à l’extrême droite. Évoquant sur BFMTV l’attitude de la gauche en 2009, il émet des critiques : « À l’époque, la gauche avait considéré que c’était un piège. C’était un piège, c’est vrai, mais je crois que parfois il faut prendre son risque. » « Une des grandes erreurs des socialistes est de ne pas avoir accepté le débat sur l’identité nationale, d’en avoir laissé le monopole à la droite », confiait-il aussi au Point fin janvier.

Il ne s’agit donc plus de faire diversion à la diversion, mais de prendre part au débat tel qu’il est posé. Le PS avait d’ailleurs déjà lancé une « convention » sur l’identité nationale avant que le sujet ne soit imposé par François Bayrou. « Le but dans cette histoire, c’est de combattre l’extrême droite et de faire reculer sa propagande », explique l’entourage du premier secrétaire. 

La route est droite, mais la pente est forte

Mais le risque d’instrumentalisation raciste d’un nouveau « grand débat » est encore plus prégnant aujourd’hui qu’à l’époque. Dans un contexte de basculement des droites vers l’extrême droite, de trumpisation des médias et de victoires idéologiques concédées au Rassemblement national (RN), ce dernier ne peut que tirer profit de cette mise à l’agenda.

D’autant plus que le premier ministre l’a d’ores et déjà cadré en dénonçant le « sentiment de submersion » migratoire. « Ça va nourrir évidemment toute la concurrence interne à la droite pour le leadership de 2027, dans une logique de surenchère », anticipe l’ancien député socialiste Christian Paul, qui encourageait le PS à « déminer le piège » en 2009.

Les déclarations d’Olivier Faure ont d’ailleurs suscité des réactions contrastées dans les rangs de son parti. Si le maire de Nancy (Meurthe-et-Moselle), Mathieu Klein, a salué ce changement de pied (« Posons la question de la fierté française, défendons l’idée d’une République humaniste et universaliste »), la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie s’est fermement opposée à « cette dérive odieuse ».

Il faut qu’on puisse avoir un discours argumenté, chiffré : si l’émotionnel l’emporte, le RN aura gagné.

Pierre Jouvet, secrétaire général du PS

L’eurodéputé et secrétaire général du PS Pierre Jouvet assume toutefois la volonté du parti de ne pas rester muet sur le sujet : « Nous ne sommes plus sur la position de 2008. On ne peut pas esquiver ce débat quand 70 % des Français considèrent que la question migratoire est un sujet majeur. Si on veut répondre aux électeurs du RN qui étaient, pour certains, des électeurs socialistes, il faut aller sur le fond », explique-t-il.

À cette fin, l’historien Patrick Weil devait être auditionné par le bureau national du PS le 11 février, comme le sociologue François Héran l’a été précédemment. « Il faut qu’on puisse avoir un discours argumenté, chiffré : si l’émotionnel l’emporte, le RN aura gagné », défend Pierre Jouvet. Les conclusions de ces consultations doivent être rendues en mars. 

Inquiétudes persistantes

Les clivages qui ont profondément divisé les socialistes depuis 2009 pourraient resurgir à cette occasion – entre critiques de la « mondialisation heureuse » et partisans du fédéralisme européen, défenseurs de la France périphérique en proie à l’« insécurité culturelle » et thuriféraires d’une « société ouverte », quitte à abandonner l’unification des catégories populaires… Comme si la bataille politique qui avait opposé la Gauche populaire (dont le politiste Laurent Bouvet était membre avant de cofonder le Printemps républicain) au think tank Terra Nova, proche du PS, se rejouait d’une autre manière. 

Jadis minoritaire au PS sur l’idée que la gauche ne devait pas déserter le débat sur l’identité nationale, la sénatrice Marie-Noëlle Lieneman, désormais membre de la Gauche républicaine et sociale (GRS), se félicite ainsi de voir la direction du parti lui donner le point a posteriori « Olivier Faure a raison de réinvestir le sujet, estime-t-elle. L’identité n’est pas de l’eau tiède, on va avoir un vrai affrontement avec la droite. Ne pas montrer qu’il y a une autre façon de défendre la France, son identité, sa cohésion, c’est laisser la porte ouverte à la nation ethnique, celle des “modes de vie” que défend Bayrou. »

C’est le même piège qu’en 2009, mais en encore plus mortel !

Benoît Hamon

Christian Paul, qui présidait le Laboratoire des idées du PS en 2009, attend de juger sur pièces ce que va proposer concrètement le parti. S’il n’est pas inintéressant à ses yeux que la gauche fasse valoir ses idées en la matière, elle ne doit en revanche rien céder aux obsessions identitaires du moment : « Ce n’est pas un débat auquel on participe, c’est une bataille culturelle et politique qu’il faut mener. On jugera Olivier Faure sur ce qu’il mettra dans la corbeille. Mais plus on formule mal les termes de l’offensive, plus on risque de se faire défoncer », alerte-t-il.

L’entreprise socialiste, encore inachevée, paraît en tout cas aventureuse à l’aune de la droitisation du paysage politico-médiatique. Déjà, la réception médiatique des déclarations d’Olivier Faure indique la tendance : selon la chroniqueuse Sylvie Pierre-Brossolette – récemment limogée du Haut Conseil à l’égalité (HCE) pour propos sexistes, racistes et homophobes –, la gauche sortirait enfin du « déni sur les questions de sécurité et d’immigration » et admettrait que « l’opinion est sensible à certains problèmes que posent certaines populations immigrées ».

C’est ce qui fait frémir Benoît Hamon, directeur de l’ONG Singa, qui était porte-parole du PS en 2009 : « C’est le même piège qu’en 2009, mais en encore plus mortel ! Il faut cesser de se comporter comme si la gauche était dépositaire de l’hégémonie culturelle : on est minoritaires », assène-t-il, jugeant que la gauche n’a « aucun intérêt » à ce que l’identité nationale soit le sujet central du débat public.

Alors qu’une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) publiée en 2024 a montré qu’une augmentation de la couverture médiatique télévisuelle du sujet migratoire tend à polariser les opinions, il appelle ses anciens camarades à une forme de sursaut : « On attend la gauche sur la question sociale, l’accès à l’éducation, les services publics. Elle se porterait mieux si elle mettait sur la table des éléments d’identification, au lieu de s’engager dans ce débat sur l’identité nationale. »

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« Dans le contexte de la percée mondiale de l’extrême droite, c’est évidemment une mauvaise idée, car le terrain de l’identité est celui des droites extrêmes, quand notre sujet est celui de l’égalité », défend aussi la députée Clémentine Autain, cofondatrice de L’Après. 

Si, dans les années 1970, le PS a été le premier parti majeur à parler d’identité nationale, comme l’a montré le politiste Vincent Martigny dans Dire la France (Presses de Sciences Po, 2016), le contexte était alors totalement différent. « L’identité nationale était décorrélée de la question migratoire, et le PS prônait le libéralisme culturel, la mise en valeur des cultures minoritaires et des identités locales », rapporte le chercheur, interrogé par Mediapart.

À ses yeux, le repositionnement du PS sur ce sujet en 2025 a tout d’une tentative de reprise en main dans un moment de différenciation vis-à-vis de La France insoumise (LFI) – Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs vertement réagi aux propos d’Olivier Faure en déclarant : « Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou. »

« Le PS veut se réaffirmer comme parti de gouvernement, il veut donc réaffirmer une position singulière sur un sujet régalien : celui du récit national », explique Vincent Martigny. Mais construire une « réponse de gauche » à la question posée par le premier ministre, « qu’est-ce que c’est d’être français ? », dans un contexte de remise en cause du droit du sol, relève de la gageure. Et le risque de la dégringolade est loin d’être écarté.

Mathieu Dejean

Le débat de l’identité nationale, nouvelle fracture au sein de la gauche

Olivier Faure, premier secrétaire du PS, estime que le sujet n’est « pas tabou ». Beaucoup pointent le risque de légitimer le discours de l’extrême droite. 

Par Sandrine CassiniPublié hier à 10h30, modifié hier à 11h33 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/02/11/le-debat-de-l-identite-nationale-nouvelle-fracture-au-sein-de-la-gauche_6541685_823448.html

Le leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, et le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, à Caen, le 8 juin 2022.
Le leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, et le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, à Caen, le 8 juin 2022.  SARAH MEYSSONNIER/REUTERS

Olivier Faure ne veut pas « fuir » un débat qu’il sait pourtant « piégé ». Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) a suscité le trouble en se disant prêt à disserter sur l’identité nationale, comme le souhaite le premier ministre, François Bayrou. « Qu’est-ce que c’est d’être français ? Qu’est-ce que ça donne comme droit ? Qu’est-ce que ça impose comme devoir ? », s’est ainsi interrogé le chef du gouvernement, vendredi 7 février sur RMC, dans la foulée de ses propos autour du « sentiment de submersion migratoire » et alors que la leader du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, souhaite un référendum sur le « droit du sol ».

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« Le débat sur l’identité nationale n’est pas tabou », a jugé Olivier Faure, rompant avec la ligne de 2009, quand le parti à la rose avait refusé de participer à un débat similaire organisé lors de la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012). Désormais, le bras droit d’Olivier Faure, Pierre Jouvet, assume : « C’est une bataille culturelle qu’on doit mener. Si on n’y va pas, on sera écrasés. On peut faire l’autruche, mais quand 70 % des Français considèrent que la question migratoire est un sujet, on ne peut pas dire “ce sont des méchants, des fascistes”. » Mardi soir, le bureau national du PS recevra le politiste Patrick Weil pour l’aider à réfléchir à cette question, avec l’idée de faire émerger des propositions concrètes.

Mais la perspective de marcher sur ce terrain miné fait frémir une grande partie de la gauche. Jean-Luc Mélenchon a vertement répondu à Olivier Faure. « Le PS a largué les amarres avec la non-censure. Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou », a grondé le leader « insoumis ». « C’est un débat de diversion, sans réponse, et qui porte en lui-même une perversité, car on ne peut en discuter de manière raisonnable », corrobore son ancien compagnon de route et député de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, pour qui « être français appelle une réponse politique, pas identitaire ou culturelle ».

« Piégeux »

Beaucoup soulignent le principal écueil d’une discussion qui, immanquablement, va « ergoter à longueur de réunion sur “qui est le bon ou le mauvais Français” », se désole l’historien du Parti communiste français Roger Martelli. « Etre français relève d’un fait juridique : on est français par le droit du sang ou du sol. Le reste – le sentiment d’appartenance, le patriotisme – ne relève que d’un choix », conclut-il. « “Identité”, c’est un mot fourre-tout qui amalgame et un signal envoyé par la droite pour trianguler avec l’extrême droite », appuie le politiste Rémi Lefebvre. « Ce qui est piégeux, c’est le terme “identité”, qui est lié à “identitaire”, comme s’il y avait quelque chose d’intangible, d’homogène, d’éternel », regrette le député du Val-d’Oise (ancien socialiste, qui siège aujourd’hui avec les communistes) Emmanuel Maurel, qui estime « ennuyeux » de lier, comme le fait le gouvernement, « identité nationale » et « immigration ».

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Même si elle rechigne à entrer dans le débat, la gauche se retrouve tout de même sur un grand principe : identité nationale et Révolution française sont intrinsèquement liées. Olivier Faure a évoqué « [leur] héritage, celui de 1789, celui du Conseil national de la Résistance, de la décolonisation, de la construction européenne »« Etre français, c’est être républicain jusqu’au bout, c’est la pleine souveraineté du peuple, la République sociale », confirme Alexis Corbière.

Mais, rapidement, les divisions pourraient surgir et nourrir l’éternelle guerre des gauches irréconciliables. La laïcité, principe également hérité de la Révolution française, oppose toujours ceux qui se présentent comme la « gauche laïque » – incarnée, par exemple, par le maire socialiste de Montpellier, Michaël Delafosse, la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, ou encore le député de l’Essonne Jérôme Guedj – et Jean-Luc Mélenchon, accusé d’en porter une vision plus souple.

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Ses détracteurs lui reprochent, par exemple, de combattre l’interdiction de l’abaya à l’école ou d’utiliser le terme d’« islamophobie ». Sur ce dossier inflammable, l’opinion évolue également. Selon le Baromètre de la confiance en politique, établi par l’institut OpinionWay pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et Le Monde, et publié mardi 11 février, 49 % des personnes interrogées pensent que la France doit aller « vers un modèle multiculturel qui permet à chaque communauté d’affirmer son identité », soit une progression de 10 points en un an. De quoi inciter les différentes formations politiques à remettre l’ouvrage sur le métier.

« Créolisation »

Jean-Luc Mélenchon est finalement le seul à avoir théorisé sa propre conception de l’identité nationale. De meeting en réunion publique, il ne s’adresse plus qu’à ce qu’il nomme la « nouvelle France », déclinaison de la « créolisation ». Ce concept qu’il a porté lors de la campagne présidentielle de 2022 désigne une France métissée, composée de citoyens aux origines et identités différentes. « Cessez d’imaginer une France du passé qui n’existe plus. Acceptez celle qui est là. C’est notre patrie ! », a encore exhorté l’ancien sénateur de l’Essonne, le 1er février, à Toulouse. Mais cette notion laisse « hors champ » une partie de la société française, note Rémi Lefebvre, et laisse sceptique une partie de la gauche.

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Le député (divers gauche) de la Somme François Ruffin accuse ainsi son potentiel rival à l’élection présidentielle de 2027 de se concentrer uniquement sur les quartiers populaires et de critiquer en creux « la “vieille France” des campagnes, racistes, colonialistes ». Pour le politiste Adrien Broche, Jean-Luc Mélenchon désigne « une coalition des identités que lui définit comme dominés, issue de la colonisation ». « Le souci, c’est qu’il fait ce qu’il reproche à l’extrême droite et à la ligne politique portée par Manuel Valls [ancien premier ministre socialiste et actuel ministre des outre-mer] : il ethnicise le débat », ajoute le politiste, auteur de Portrait moderne de la gauche française. Débats d’idées des années 2010 à nos jours (L’Aube et Fondation Jean Jaurès, 200 pages, 20 euros).

A droite et à l’extrême droite, on se félicite des déclarations de Jean-Luc Mélenchon, qui seraient un miroir inversé de la théorie complotiste du « grand remplacement ». M. Mélenchon n’a d’ailleurs pas eu peur de reprendre cette expression lors d’un discours, le 31 janvier. « Oui, M. Zemmour, il y a un “grand remplacement” ! Celui d’une génération qui vient après l’autre et qui ne ressemblera jamais à la précédente », a-t-il lancé devant des étudiants survoltés de l’université Toulouse Jean-Jaurès, insistant sur « l’importance [du] mélange » des populations. Au point que, dimanche 10 février, sur CNews, Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise (LFI), a été contraint de nuancer. « La créolisation n’est pas une substitution », a-t-il martelé. Mais, chez LFI, elle contribue à consolider le duel avec l’extrême droite dont rêve Jean-Luc Mélenchon.

Sandrine Cassini

*Avec le droit du sol et l’identité nationale, la course à l’opinion du gouvernement de François Bayrou

Le premier ministre accentue la fracture entre l’aile gauche de l’exécutif, attachée à l’immigration par le travail, et l’aile droite, qui veut assécher les flux migratoires. Et sème la discorde jusqu’à l’Assemblée nationale. 

Par Mariama Darame Publié le 08 février 2025 à 06h00, modifié le 08 février 2025 à 09h01

https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/02/08/avec-le-droit-du-sol-et-l-identite-nationale-la-course-a-l-opinion-du-gouvernement-de-francois-bayrou_6536871_823448.html

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François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 3 février 2025.
François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 3 février 2025.  JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Du durcissement du droit du sol à Mayotte, voté à l’Assemblée nationale par une alliance du centre, de la droite et de l’extrême droite, au retour d’un débat sur l’identité nationale, la question migratoire obnubile le pouvoir. A la tête d’un gouvernement minoritaire, François Bayrou revendique un agenda de réformes qui n’éludera pas l’enjeu. « On ne va pas tout repousser » à l’élection présidentielle de 2027, assure-t-il.

Le premier ministre s’est dit prêt, vendredi 7 février, à l’ouverture d’un « débat public » sur l’identité française« approfondi et beaucoup plus large » qu’une simple réflexion sur une réforme du droit du sol, brandie par le tandem formé par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, et le garde des sceaux, Gérald Darmanin.

« Qu’est-ce que c’est qu’être français ? Qu’est-ce que ça donne comme droits ? Qu’est-ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est-ce que ça procure comme avantages ? Et en quoi ça vous engage à être membre d’une communauté nationale ? A quoi croit-on quand on est français ? », s’est épanché François Bayrou, vendredi sur RMC, dans l’émission « Les Grandes Gueules », délocalisée à Pau, la ville dont il est maire.

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« Il est comme tout le monde, il voit bien que le droit du sol est un débat qui agite la société française », avance l’un des conseillers du Béarnais, estimant qu’« il essaie de voir ce que veulent les Français avant d’imposer sa ligne politique ». Dans l’entourage du premier ministre, « l’opinion » fait office de boussole. Les proches du centriste ont, d’ailleurs, remarqué sa légère embellie dans les sondages, après ses propos décriés sur le sentiment de « submersion » migratoire qui serait éprouvé dans certains territoires de la République.

En légitimant les prises de position de ses ministres régaliens, François Bayrou accentue la fracture qui subsiste entre l’aile gauche de son gouvernement, attachée à l’immigration par le travail, et l’aile droite, qui veut assécher les flux migratoires, y compris légaux.

Surenchère

Après le vote sur la restriction du droit du sol à Mayotte, jeudi 6 février, Gérald Darmanin a estimé que « le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays », notamment sur l’ensemble du territoire, réclamé par la droite et par l’extrême droite. « On n’est pas français par hasard et le droit du sol, qui a apporté beaucoup à notre pays, connaît aujourd’hui ses limites parce que l’on voit bien qu’il y a des difficultés autour de l’identité », a appuyé, vendredi, le ministre de la justice, en marge d’un déplacement dans la Sarthe.

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Son homologue de l’intérieur s’est, lui aussi, engouffré dans la brèche. « Aucune société, quelle que soit la culture, ne peut supporter une proportion où il y a, comme le disait le premier ministre, une submersion [migratoire] », a exposé, jeudi soir, Bruno Retailleau, sur LCI, confronté au désaveu de la justice qui a annulé sa procédure d’expulsion d’un influenceur algérien.

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Le lendemain, M. Retailleau réaffirmait que « la question du travail, c’est important, mais ce n’est pas tout », ajoutant qu’« il faut respecter le mode de vie »« les principes républicains », en appelant, une énième fois, à un référendum sur l’immigration, tout en faisant référence à des initiatives parlementaires prochainement examinées au Sénat.

« Le présidentialisme majoritaire mène nos politiques à flatter l’opinion et à cliver en vue de [la présidentielle de] 2027 au lieu d’essayer de trouver des points de consensus avec les autres formations pour conduire des politiques publiques concrètes », observe Samy Benzina, professeur de droit public à l’université de Poitiers.

La ministre de l’éducation, Elisabeth Borne, a désapprouvé cette surenchère, vendredi matin sur RTL. « Je pense que ce que les Français attendent de nous, ce sont des actes et pas de renvoyer à une future modification constitutionnelle », a-t-elle déclaré.

Marine Le Pen souligne une victoire idéologique du RN

Ces discours sur le droit du sol et l’identité nationale ont provoqué la discorde jusqu’à l’Assemblée nationale. Le député (jusqu’à présent Renaissance) de la Moselle Belkhir Belhaddad a annoncé, vendredi, quitter le groupe présidentiel. « Le cœur du projet républicain est remis en cause. Quand on ouvre la boîte de Pandore, on libère d’incontrôlables opinions », a-t-il regretté, auprès du Figaro, accusant son camp de paver la voie à l’extrême droite.

Le député (non inscrit, ex-Renaissance) de la Vienne Sacha Houlié considère aussi que son ancienne famille politique, par ses discours opportunistes, « prépare les esprits à relativiser les idées du Rassemblement national [RN] » et déplore « une fuite en avant où le fait de vouloir conserver le pouvoir prend le pas sur tout le reste ».

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Pour rassurer ses troupes, le président des députés macronistes (groupe Ensemble pour la République), Gabriel Attal, s’est fendu d’un message, vendredi soir. « Nous défendons un chemin guidé par le seul souci de l’efficacité et toujours fidèle à nos valeurs », a-t-il déclaré.

Jeudi, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, a souligné une nouvelle victoire idéologique lors du débat sur la restriction du droit du sol à Mayotte. « Une petite avancée – trop petite, mais elle a le mérite d’exister – vers la suppression du droit du sol dans toute la France », s’est-elle félicitée dans l’Hémicycle.

Après une opposition unanime sur le droit du sol, la gauche s’est divisée sur l’opportunité d’un débat sur l’identité nationale. Il « n’est pas tabou. Tout dépend ensuite de ce que l’on en attend : la confrontation de tous avec tous ou la cohésion », a étayé, sur X, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, rappelant qu’« en 2009, François Bayrou portait une vision inclusive qui s’opposait à celle que développe désormais une partie de son gouvernement ».

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Quinze ans plus tôt, le président du Mouvement démocrate s’érigeait contre le débat lancé sur l’identité nationale, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avec le concours de son ministre de l’immigration Eric Besson. « L’identité nationale n’appartient pas aux politiques », justifiait M. Bayrou, alors persuadé que « rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement ».

Mariama Darame

**François Bayrou et la « submersion » migratoire : « Aller sur le terrain de l’adversaire est toujours une capitulation »

Chronique

Solenn de Royer

En reprenant à son compte la rhétorique de l’extrême droite, le premier ministre valide son constat anxiogène et donc lui donne le point, estime, dans sa chronique au « Monde », la journaliste Solenn de Royer.

Publié le 30 janvier 2025 à 13h12, modifié le 03 février 2025 à 18h04  Temps de Lecture 5 min.Offrir l’article Lire plus tardPartager

Le premier ministre, François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 28 janvier 2025.
Le premier ministre, François Bayrou, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 28 janvier 2025.  THOMAS SAMSON/AFP

Il persiste et signe. Par deux fois depuis son émission de lundi soir sur LCI, le premier ministre a assumé le mot de « submersion » migratoire, qui suscite, depuis, la consternation des socialistes et d’une partie de son camp. « Ce ne sont pas les mots qui sont choquants, [ce sont] les réalités », a insisté François Bayrou, mardi, à l’Assemblée nationale, où il a maintenu que « le mot de submersion est celui qui est le plus adapté ». Mercredi, devant les sénateurs, il a invité les parlementaires à « reconstruire ensemble » un modèle d’« intégration, en panne » sans se dédire du terme de « submersion », régulièrement utilisé à l’extrême droite, de Marine Le Pen à Eric Zemmour.

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Depuis deux jours, les exégètes rivalisent d’hypothèses pour tenter de comprendre les intentions du centriste, qui ne peut être suspecté de la moindre complaisance à l’endroit du Rassemblement national (RN). La maladresse peut difficilement être plaidée, tant cet agrégé de lettres classiques choisit toujours ses mots avec un soin pointilleux. Certains évoquent une simple posture tactique : pour ne pas être renversé, le premier ministre doit composer avec des députés allant du Parti socialiste au RN. Et alors qu’il s’apprête à faire de nombreuses concessions à la gauche sur le fond (sur LCI, il a exclu le recours au référendum sur l’immigration, refusé la suppression de l’aide médicale d’Etat tout comme la remise en cause du droit du sol, sauf à Mayotte), le mot « submersion », qui reprend les gimmicks de Jean-Marie Le Pen, aurait été un moyen subliminal pour s’attirer les bonnes grâces du RN, voire celles de l’opinion. Ni bourde, ni tactique, défendent a contrario ses soutiens, qui plaident l’« empathie » du premier ministre avec « les gens » qu’il rencontre, à Pau ou ailleurs, et qui lui ont souvent confié leurs inquiétudes sur le sujet.

Qu’importe, au fond. En reprenant à son compte la rhétorique de l’extrême droite, François Bayrou valide son constat anxiogène et donc lui donne le point, alors que selon l’Insee, la population étrangère vivant en France s’élevait en 2023 à 5,6 millions de personnes, soit 8,2 % de la population totale, contre 6,5 % en 1975. Ce n’est pas la première fois que les macronistes ou ses alliés ont recours aux mots de l’extrême droite, de l’« ensauvagement » (Gérald Darmanin) aux « Français de papier » (Bruno Retailleau).

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En 2019, dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles, Emmanuel Macron avait lui-même fustigé les associations venant en aide aux migrants, les taxant de « droits-de-l’hommistes ». En 2023, il avait évoqué un supposé « processus de décivilisation », ce qui avait contraint l’Elysée à démentir toute référence à l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, auteur du livre Décivilisation (Fayard, 2011) et à l’origine de la théorie du « grand remplacement »En pleine campagne législative, en juin 2024, le président de la République avait critiqué le programme « immigrationniste » de la gauche unie.

Engrenage fatal

Peut-on reprendre la rhétorique d’un adversaire pour mieux le combattre ? Le 1er octobre 2022, l’écrivain Giuliano da Empoli avait été convié à Matignon. Devant les conseillers de la première ministre Elisabeth Borne, il avait posé la question : aller sur le terrain du populisme aide-t-il à faire barrage à celui-ci ou contribue-t-il à le banaliser ? En d’autres termes, comme il l’écrit dans son livre Les Ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), adopter « les éléments d’un style de communication populiste » constitue-t-il « l’ébauche d’un antidote possible au chaos national-populiste, ou bien, au contraire, un piège destiné à accroître le taux de populisme chaotique dans l’atmosphère » ? Da Empoli avait expliqué que l’ex-président du conseil des ministres italien Matteo Renzi, dont il fut le conseiller politique, avait eu recours au « populisme de gouvernement », afin que les thèmes populistes ne soient pas enfourchés par d’autres. Mais il avait reconnu que cette tentative s’était soldée par un échec. Six ans plus tard, l’extrême droite arrivait au pouvoir en Italie.

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En France, fin 2023, les macronistes ont voté un projet de loi sur l’immigration qui, sous la pression de la droite et de l’extrême droite, visait à introduire le principe de « préférence nationale » dans l’accès à certaines prestations sociales, avant de se voir censuré en partie par le Conseil constitutionnel. Consterné par cette séquence politique, un ancien conseiller de François Hollande à l’Elysée avait alors confié s’être replongé dans le livre du journaliste allemand Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand (Actes Sud, 2003), qui décrit l’engrenage fatal ayant permis la montée du nazisme. Devenu chancelier au printemps 1930, Heinrich Brüning, issu du centre, avait pris des mesures de plus en plus dures et liberticides, pensant paradoxalement « défendre la République » contre l’irrésistible ascension d’Hitler.

« Mais les républicains commençaient peu à peu à se demander, et on les comprend, ce qui leur restait à défendre », écrit Haffner, présentant un système « qui décourage ses propres adeptes, sape ses propres positions, se montre incapable d’opposer à la propagande ennemie une défense sur les idées, et abandonne l’initiative à ses adversaires ». Ce qui permet à ces derniers de capitaliser : aux législatives de l’automne 1930, les nazis passaient de 12 mandats à 107. « Ce fut une époque où seule la perspective d’un avenir d’épouvante tempérait la tristesse du présent », résume l’auteur.

« Victoire idéologique »

Les époques sont évidemment très différentes, les enjeux aussi, tout comme les protagonistes. Bref, comparaison n’est pas raison. Mais ce témoignage sur l’Allemagne des années 1930 décortique de manière implacable les mécanismes qui, s’enchaînant l’un après l’autre, préparent insidieusement les conditions de l’avènement du pire. « Les macronistes sont persuadés qu’en parlant comme le RN ils lui font barrage, mais au contraire, ils le consacrent », constate amèrement l’ex-président de la commission des lois et député de la Vienne Sacha Houlié, qui a rompu avec Renaissance depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024. Au lendemain du vote sur la loi « immigration », même l’ex-président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, qui a rejoint depuis les rangs de l’extrême droite et joue avec les codes populistes (il a arboré récemment la tronçonneuse du président argentin, Javier Milei, symbole de sa campagne contre les dépenses publiques), reconnaissait mezza voce que ce texte ouvrant un débat sur la préférence nationale avait conforté l’extrême droite. En 2024, le parti créé par Jean-Marie Le Pen a obtenu 143 députés, contre 89 en 2022 et 8 en 2017.

Aller sur le terrain de l’adversaire est toujours une capitulation. Chaque incursion fait sauter une digue, provoque un dangereux effet cliquet. En Allemagne, mercredi, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a fait tomber le cordon sanitaire contre l’extrême droite, en faisant passer avec son appui une résolution visant à restreindre drastiquement l’immigration irrégulière. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, un parti démocratique accepte ainsi le soutien de l’extrême droite (dont plusieurs figures ont banalisé le nazisme au cours des dernières années), alors que, le jour même, le Parlement allemand rendait hommage aux victimes de la Shoah. A trois semaines des législatives, les conservateurs allemands espèrent ainsi couper l’herbe sous le pied au parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), qui a le vent en poupe, soutenu par le milliardaire et conseiller spécial de Donald Trump Elon Musk. Mais ce vote a, au contraire, suscité l’euphorie du parti d’Alice Weidel, candidate de l’AfD à la chancellerie, qui y voit « un moment historique », l’ouverture d’une « nouvelle ère », « une victoire pour la démocratie ».

En France, l’extrême droite s’est, elle aussi, félicitée d’une nouvelle « victoire idéologique » après l’emploi du mot « submersion » par le premier ministre. « Entre submersion et grand remplacement, il y a une feuille de cigarette », a semblé se réjouir, mardi sur CNews, le présentateur vedette de la chaîne de Vincent Bolloré, Pascal Praud, quand Marine Le Pen, mercredi sur LCI, a rappelé qu’en effet le RN utilisait ce mot très souvent, comme « des millions de Français », car cette submersion migratoire « n’est pas un sentiment mais une réalité ».

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Solenn de Royer

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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