« Scandale Nestlé Waters : en eaux troubles » la dépêche

Philippe Rioux
  • Philippe Rioux DDM

   

L’édito du jour,  France – Monde,  Santé

Publié le 08/02/2025 à 06:30 https://www.ladepeche.fr/2025/02/08/editorial-scandale-nestle-waters-en-eaux-troubles-12499010.php

Philippe Rioux

by ETX Majelan

Si l’affaire Nestlé Waters n’occupe pas plus intensément le devant de la scène, c’est sans doute parce qu’aucune victime ne s’est – à ce jour – manifestée. Une chance, si l’on peut dire, car ce dossier trouble, qui éclabousse désormais jusqu’à l’Elysée, a tout de l’affaire d’État, à la fois scandale sanitaire et scandale politique.

Scandale sanitaire d’abord. Le géant suisse de l’eau en bouteille a beau se défendre et marteler que la sécurité alimentaire de ses produits « n’a jamais été en jeu », que la sécurité sanitaire des consommateurs « a toujours été assurée » et que « la microfiltration est largement utilisée dans toute l’industrie », il n’en reste pas moins que la multinationale a enfreint les règles en faisant subir des traitements illégaux à plusieurs de ses eaux comme Vittel, Contrex, Hépar et Perrier. Il y a bien tromperie. Par ailleurs, Le Monde et Radio France ont révélé une note du ministère de la Santé très explicite sur les « manquements de Nestlé Waters aux exigences du code de la santé publique ».

La note stipule que le niveau de filtration utilisé n’était pas autorisé au niveau européen et qu’il existait des « risques sanitaires liés à la présence de virus entériques d’origine hydrique (voire d’autres micro-organismes pathogènes). » Les autorités sanitaires, le directeur général de la santé Jérôme Salomon, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), ou l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), ont toutes recommandé à leur ministère de tutelle, à un moment ou un autre, que « compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires » il fallait « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau ». Ce qui n’a pas été fait…

Et c’est là qu’intervient le scandale politique puisque l’exécutif n’a pas suivi les recommandations de son administration mais, visiblement sensible à un intense lobbying du géant suisse, a préféré accorder à ce dernier des dérogations pour continuer à frauder et potentiellement mettre en danger la santé des consommateurs. Il appartiendra à la commission d’enquête parlementaire de faire toute la lumière pour savoir pourquoi une telle décision a pu être prise et quelle « sorte de chantage », pour reprendre l’expression de Jérôme Salomon, Nestlé Waters aurait bien pu utiliser pour emporter une décision favorable à ses seuls intérêts.

Le travail de la commission est d’autant plus important que tous les acteurs politiques de l’affaire se défaussent aujourd’hui les uns sur les autres jusqu’au chef de l’État. Si l’on peut admettre qu’Emmanuel Macron, pourtant peu réputé pour déléguer, n’a peut-être pas supervisé le dossier, quid des autres ? Notamment son bras droit Alexis Kohler et des conseillers de l’Elysée qui ont rencontré Nestlé Waters visiblement en catimini, puisque la multinationale n’a pas déclaré ces rencontres à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique…

Au final, cette affaire laisse un détestable arrière-goût pour les Français : celui que l’on ressent lorsque l’intérêt général s’efface devant des intérêts particuliers ; celui où le fraudeur puissant échappe aux sanctions prévues par la loi qui frapperaient normalement n’importe quel citoyen dans la même situation ; celui, enfin, où la santé, assortie du principe de précaution, ne prime pas sur le profit.

Scandale des eaux Nestlé : l’Elysée a-t-elle autorisé la firme à utiliser des filtres illégaux ? La présidence éclaboussée, Macron embarrassé

   

Emmanuel Macron,  Politique,  Santé

Publié le 08/02/2025 à 06:31 https://www.ladepeche.fr/2025/02/08/scandale-des-eaux-nestle-lelysee-a-t-elle-autorise-la-firme-a-utiliser-des-filtres-illegaux-la-presidence-eclaboussee-macron-embarrasse-12498053.php

Philippe Rioux

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by ETX Majelan

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Des médias ont accusé mardi l’Elysée et Matignon d’avoir cédé au lobbying du groupe Nestlé, en laissant l’entreprise commercialiser des eaux non conformes à la réglementation et à risque pour la santé, malgré les recommandations d’interdiction des autorités sanitaires. Des accusations démenties par Emmanuel Macron.

L’affaire des eaux minérales de Nestlé éclabousse l’Élysée et met Emmanuel Macron dans l’embarras. Ce mardi 4 février, le président de la République, visiblement agacé, a dû répondre publiquement aux révélations du Monde et de Radio France sur la gestion controversée du dossier par l’exécutif. En déplacement à l’Institut Gustave-Roussy, le chef de l’État a catégoriquement nié toute implication dans cette affaire : « Je ne suis pas au courant de ces choses-là. Il n’y a d’entente avec personne, il n’y a pas de connivence avec qui que ce soit. »

A lire aussi : DECRYPTAGE. L’affaire Nestlé, un scandale d’État ? Lobbying, démenti de Macron… tout comprendre aux révélations qui éclaboussent l’exécutif

Une ligne de défense qui se heurte toutefois aux documents révélés par les deux médias. Ces derniers démontrent que l’affaire Nestlé est, en effet, remontée jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, impliquant directement Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée et bras droit d’Emmanuel Macron. Le plus proche collaborateur du Président a personnellement reçu les représentants de Nestlé, comme le confirme le courriel d’un conseiller du ministre de la Santé de l’époque, François Braun, daté du 24 août 2022. L’Élysée n’a d’ailleurs pas démenti ce rendez-vous.

Alexis Kohler devrait être entendu par la commission d’enquête parlementaire

Le rôle de la présidence apparaît d’autant plus central qu’une note du 28 septembre 2022, adressée au cabinet d’Elisabeth Borne et à une conseillère d’Emmanuel Macron, préparait « un entretien Élysée/Matignon avec les représentants de Nestlé Waters ». Cette note alertait explicitement sur les « manquements de Nestlé Waters aux exigences du code de la santé publique » et sur « l’existence de risques sanitaires ».

Dans sa communication, l’Élysée affirme qu’il « n’a pas vocation à intervenir sur les méthodes de microfiltration de l’eau » et que ses équipes ont simplement « renvoyé les intéressés vers les services de l’État ». Une position qui contraste avec les nombreux échanges documentés entre la présidence et le groupe suisse.

A lire aussi : ENTRETIEN. Affaire Nestlé Waters : « Personne ne peut dire qu’il n’y a pas de risque sanitaire » affirme ce médecin lanceur d’alerte

Face à ces révélations, la commission d’enquête parlementaire, par la voix de son rapporteur, le sénateur Alexandre Ouizille, annonce son intention « d’élargir les auditions du côté de l’Élysée et de Matignon ». Alexis Kohler devrait être entendu.

« Selon l’analyse du répertoire des représentants d’intérêt de la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), le groupe Nestlé n’a pas déclaré ses rencontres avec Alexis Kohler et des conseillers de l’Élysée », a affirmé l’ONG Transparency International France qui dénonce une « omission de déclaration d’activité », et a demandé la publication des conclusions de l’enquête de la HATVP sur le lobbying de Nestlé déclenchée en février 2024.

ENTRETIEN. Affaire Nestlé Waters : « Personne ne peut dire qu’il n’y a pas de risque sanitaire » affirme ce médecin lanceur d’alerte

Agro-alimentaire,  Santé,  Politique

Publié le 08/02/2025 à 06:31 https://www.ladepeche.fr/2025/02/08/entretien-affaire-nestle-waters-personne-ne-peut-dire-quil-ny-a-pas-de-risque-sanitaire-affirme-ce-medecin-lanceur-dalerte-12493144.php#

Propos recueillis par Virgile Guilhamet

by ETX Majelan

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Médecin hospitalier à la retraite de 72 ans, Bernard Schmitt a fondé le collectif Eau 88, qui milite contre la privatisation de la ressource en eau par Nestlé, notamment dans les Vosges avec les marques Hepar, Vittel et Contrex. Alors que la multinationale est pointée du doigt par une enquête du Monde et de Radio France, La Dépêche du Midi a contacté. Entretien.

La Direction générale de la santé avait recommandé de suspendre l’exploitation de certains sites de Nestlé, mais l’Élysée et Matignon, selon nos confrères, ont finalement autorisé la microfiltration. Pensez-vous que les autorités ont délibérément ignoré le risque sanitaire sous la pression du lobbying industriel ?

Oui, tout à fait. Aujourd’hui, personne ne peut affirmer qu’il n’y a pas de risque sanitaire*. Prenons l’exemple des récentes épidémies en Espagne, liées à des contaminations d’eau minérale dans le sud, en Andalousie si je ne me trompe pas. Cela a fait des milliers de victimes. Peut-être des morts. On parle donc de risques réels, notamment liés à des contaminations virales par des bactéries qui peuvent être évacuées avec une filtration.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsqu’on filtre l’eau de manière excessive, certaines bactéries, qui servent d’indicateurs pour détecter d’éventuelles infections virales – qu’on appelle « bactéries traceuses » –, peuvent être éliminées. Leur disparition complique alors le travail des médecins et des autorités sanitaires, car ces bactéries permettent de repérer la présence potentielle de virus.

Transparency International accuse Nestlé d’avoir omis de déclarer certaines rencontres avec l’Élysée. À votre avis, cette affaire révèle-t-elle un problème systémique de collusion entre l’État et les grands groupes industriels ?

Oui, absolument. Je pense qu’aujourd’hui les multinationales ont un pouvoir d’influence considérable sur nos gouvernements. En 2004, j’ai lu un livre de Max Ferro intitulé « Le livre noir du colonialisme« , où il expliquait que les structures néo-coloniales actuelles sont en fait les multinationales. J’ai pu en prendre conscience en côtoyant une multinationale dans la ville où je vivais. Ces entreprises ont tellement de pouvoir qu’elles arrivent à influencer les décisions des États, y compris à des niveaux élevés.

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Cela vous étonne-t-il que cette collusion aille jusqu’au sommet de l’État ?

Non, pas du tout. Ce n’est même pas surprenant. L’influence des multinationales sur nos gouvernements est un phénomène global. Il n’y a qu’à regarder le nombre de lobbyistes à Bruxelles, environ 25 000, qui exercent une pression directe sur les institutions européennes.

En tant que lanceur d’alerte, avez-vous été entendu par les pouvoirs publics ?

Jamais. Nous avons été insultés et ignorés. Je fais partie d’une commission locale de l’eau, et même quand nous avons obtenu des condamnations pour conflits d’intérêts concernant des responsables locaux en lien avec Nestlé, nous avons été ridiculisés publiquement. Je me suis même fait critiquer pour avoir voyagé aux États-Unis pour rencontrer des militants anti-Nestlé. Cela montre à quel point ces questions sont sensibles, et pourtant, personne n’a pris notre alerte au sérieux.

Face aux enjeux climatiques et à la raréfaction des ressources en eau, que préconisez-vous pour éviter de tels scandales à l’avenir ?

Il est évident qu’il faut arrêter la commercialisation de l’eau en bouteille. C’est totalement irrationnel, surtout avec la situation actuelle des ressources en eau. On devrait d’ailleurs utiliser plutôt le terme de réserve en eau que de ressource en eau.

De plus, Il faudrait vraiment se concentrer sur l’eau du robinet, même si elle commence à se détériorer aussi à cause des pollutions industrielles et surtout agricoles. L’eau minérale n’existe plus depuis longtemps, c’est un pur produit marketing. Il faut arrêter de se faire escroquer par ces entreprises. En outre, il faut aussi prendre en compte le problème du plastique, qui est majeur. Nous devons mettre en place un contrôle plus strict de la qualité de l’eau, surtout l’eau du robinet, et réduire les pollutions agricoles et industrielles.*Selon les autorités sanitaires, boire les eaux en bouteille de Nestlé ne semble pas avoir directement mis en danger la santé des Français. Le but poursuivi par le groupe apparaît même inverse : ces microfiltrations devaient éviter tout risque d’infection. « Est-ce que le consommateur a été mis en danger ? […] Je réponds de manière explicite : non », assurait fin janvier, lors d’une audition au Sénat, Grégory Emery, directeur général de la Santé, évoquant plutôt un « sujet de fraude ».

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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