Adaptation de l’agriculture au climat : un défi aux nombreuses inconnues
La dernière décennie l’a démontré : le secteur agricole est déjà affecté par les bouleversements climatiques. Solagro a analysé les impacts sur les différentes filières, afin de mesurer leur ampleur et de dessiner des pistes d’adaptation.
Agroécologie | 04.02.2025 https://www.actu-environnement.com/ae/news/adaptation-climat-agriculture-impacts-mesures-filieres-45533.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzcwNA%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© d_e_r_i_cPour les herbivores, les vagues de chaleur entraînent d’abord des baisses de production et peuvent aller jusqu’au niveau létal pour les animaux.
Quelle agriculture dans une France qui se dirige vers une hausse moyenne des températures de 4°C en 2100 ? Alors que les années « normales » deviennent rares, l’agriculture subit de plus en plus les phénomènes extrêmes, passant d’un manque d’eau à un excès, d’hivers exceptionnellement doux à des gels tardifs, avec des impacts conséquents sur les productions.
Pourtant, le projet de Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) est peu dissert sur ce sujet : il annonce plusieurs études en cours pour mesurer la vulnérabilité des différentes filières. Les deux textes de loi actuellement en examen au Parlement n’évoquent que timidement ce sujet, viades formations à la transition climatique, des diagnostics de résilience des exploitations qui comprendraient un module lié au climat ou encore l’accès à l’eau et au stockage.
Pour éclairer le sujet, l’association Solagro a examiné, sur la dernière décennie, la vulnérabilité de l’agriculture aux événements extrêmes et tenté des projections pour les années à venir. Un exercice pas si facile, car si la tendance est à une hausse des températures globales, les variabilités interannuelles sont énormes. On passe par exemple de l’année 2022, marquée par des records de températures et une sécheresse prolongée, du printemps à l’automne, à 2024 qui a battu des records de pluviométrie, avec 15 % de précipitations de plus que la normale. Les conséquences et enjeux pour les filières agricoles sont très différents d’une année à l’autre.
L’ensemble des filières touchées
Pour les herbivores par exemple, les vagues de chaleur entraînent dans un premier temps des baisses de production, notamment laitière, et peuvent aller jusqu’au niveau létal pour les animaux. Un déficit hydrique engendre des baisses de production fourragère, voire des déficits, comme en 2022. Des hivers doux et un printemps chaud conduisent à une hausse de la pression parasitaire.
Pour les volailles, la chaleur s’accompagne d’une hausse de la mortalité, d’une augmentation de la durée d’exposition à la grippe aviaire, qui conduit à des confinements, voire à des abattages sanitaires. Ce n’est que récemment, depuis 2017, que la maladie, transmise par les oiseaux sauvages, est devenue un véritable enjeu en France.
Pour les céréales et les cultures d’été, les vagues de chaleur, la sécheresse ou, au contraire, une forte pluviométrie au printemps raccourcissent les cycles, augmentent la pression biotique, mènent à l’échec les semis, perturbent la pollinisation et conduisent, finalement, à des baisses de rendement. Les vignes et les vergers sont particulièrement sensibles au gel printanier, mais aussi aux vagues de chaleur et à la sécheresse précoces, à la grêle ou à une pluviométrie excessive qui provoquent également un raccourcissement des cycles, des perturbations de la pollinisation, des maladies et donc des pertes de rendements.
Des variations interannuelles très marquées
Un simple regard dans le rétroviseur montre que la dernière décennie a été marquée par l’ensemble de ces phénomènes, et de manière récurrente. « 2021 est la seule année exceptionnellement normale », souligne Sylvain Doublet, responsable agronomie chez Solagro. La normalité devient donc l’exception.
L’année 2016 a été marquée par une pluviométrie exceptionnelle dans le nord de la France, engendrant des « rendements historiquement faibles » pour le colza et le blé. L’année 2017 a connu des gels printaniers significatifs, une sécheresse printanière et de la grêle en été. L’année suivante a été marquée par une sécheresse étendue, du printemps à l’automne, entraînant un déficit fourrager généralisé. Rebelote les années suivantes pour la sécheresse (bien que moins marquée), et donc un déficit fourrager…
« Ces trois dernières années sont intéressantes du point de vue des écarts des extrêmes », souligne l’expert. Ainsi, 2022 a été marquée par une sécheresse exceptionnelle et des conditions létales atteintes pour la première fois chez les bovins. Quand, au contraire, 2024 a connu beaucoup trop d’eau.
Pour les décennies à venir, les modèles prévoient globalement une hausse des températures, davantage de précipitations hivernales et de sécheresses estivales. La moitié nord du pays devrait connaître davantage de précipitations extrêmes, quand le Sudsera marqué par une hausse de la sécheresse des sols, pendant deux mois supplémentaires. « 2022 et 2023 sont des années qui se situent dans la plage des possibles pour les années à venir, mais il y aura aussi des années plus hautes que l’on n’a pas encore expérimentées », prédit Nicolas Métayer, directeur adjoint de Solagro.
Zoom sur les mesures d’adaptation des filières
De fait, comment adapter l’agriculture à une hausse des événements extrêmes, mais aussi à une telle variabilité interannuelle ? Cela peut aller de l’adaptation variétale pour résister davantage à la chaleur et au stress hydrique, à des substitutions de cultures (par exemple, le sorgho remplaçant le maïs car moins gourmand en eau) en allant jusqu’à une recomposition totale des assolements et rotations, ou le développement de nouvelles activités économiques sur l’exploitation, liste Solagro.
Les filières ont déjà commencé à plancher sur des stratégies d’adaptation. La viticulture envisage notamment de mieux gérer l’eau et l’accès à l’eau, de renouveler le matériel génétique, de développer la robotique et de revoir les pratiques œnologiques. Pour les grandes cultures, les solutions d’adaptation passent par les innovations variétales, l’agriculture de précision, l’irrigation, la réutilisation des eaux usées (Reut) ou encore le développement de nouveaux itinéraires techniques. La filière envisage également d’améliorer les techniques de stockage et de conservation des productions. Pour les filières de production de fruits et légumes, l’accès à l’eau, la mise sous abri des cultures (contre la grêle et les ravageurs), ou encore le biocontrôle font partie des axes de travail.
La filière des granivores a identifié les enjeux sur l’eau, l’adaptation des bâtiments aux vagues de chaleur et les risques sanitaires. Les autres filières de l’élevage ont identifié des enjeux liés aux stocks fourragers et à la diversification des ressources fourragères, à l’adaptation des bâtiments ou encore à la conduite de troupeaux.
Mais, note Solagro, beaucoup de ces mesures d’adaptation reposent sur des ressources externes (technologies, adaptations variétales, vaccination…) ou des investissements importants (adaptation des bâtiments, protection des cultures…). Elles ciblent également principalement le stress hydrique. Or, si toutes les filières demandent un accès à l’eau, se posera la question de la hiérarchisation de ces besoins, avec d’autres usages.

Sophie Fabrégat, journaliste
Cheffe de rubrique énergie / agroécol