La proposition de loi Duplomb, adoptée lundi 27 janvier par le Sénat, cherche à défendre l’agrobusiness, au mépris des enjeux agricoles

« Plutôt que de réautoriser les néonicotinoïdes, la France devrait encourager une interdiction de ces substances à l’échelle européenne »

Tribune

Collectif

La proposition de loi Duplomb, adoptée lundi 27 janvier par le Sénat, cherche à défendre l’agrobusiness, au mépris des enjeux agricoles, dénonce, dans une tribune au « Monde », Antoine Gatet, président de France Nature Environnement, soutenu par la Confédération paysanne et dix-huit associations de défense de la nature.

Publié hier à 04h30, modifié hier à 10h22  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/03/plutot-que-de-reautoriser-les-neonicotinoides-la-france-devrait-encourager-une-interdiction-de-ces-substances-a-l-echelle-europeenne_6528735_3232.html

Temps de Lecture 3 min.Offrir l’article Lire plus tardPartager

Une proposition de loi adoptée [lundi 27 janvier] au Sénat, la proposition de loi Duplomb, en référence à son rapporteur et premier signataire [Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains de Haute-Loire], fait peser de lourdes menaces sur notre agriculture et notre société. Avec son ambition de laisser le champ libre aux promoteurs de pesticides, au développement de l’élevage industriel ou encore des bassines, cette loi, si elle était définitivement adoptée, aurait de graves conséquences sur nos conditions de vie, tout en aggravant les problématiques qui traversent le monde agricole. Nous demandons aux parlementaires, chargés de représenter nos intérêts, de refuser l’adoption de cette loi irresponsable. Des solutions déjà déployées par de nombreux agriculteurs dans notre pays existent, ce sont elles qu’il faut soutenir !

Parmi les propositions de cette loi figure le retour des néonicotinoïdes, bannis de l’Hexagone en 2018. Les néonicotinoïdes sont des insecticides particulièrement toxiques, surnommés les « tueurs d’abeilles ». Ce sont également de puissants perturbateurs endocriniens et neurotoxiques, dont les effets peuvent être instantanés et mortels mais également chroniques.

Certains néonicotinoïdes sont de 5 000 à 10 000 fois plus toxiques pour les abeilles que le dichlorodiphényltrichloroéthane [DDT, insecticide interdit dans l’agriculture dans les années 1970], d’après la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Pourtant, neuf ans après [le vote en faveur] de l’interdiction des néonicotinoïdes en France et deux ans après que les dérogations à cette même interdiction ont été jugées illégales par le Conseil d’Etat, certains de ces insecticides hautement dangereux menacent de revenir par la grande porte.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  « Entraves » au métier d’agriculteur : le Sénat vote un texte aux nombreux impacts sur l’environnementLire plus tard

Alors que les conséquences des pesticides sur notre santé et sur l’effondrement du vivant ne sont plus à prouver, les parlementaires français doivent s’opposer à cette proposition de loi qui, sous le couvert de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », pourrait en réalité aggraver l’impasse dans laquelle ils se trouvent.

Pesticides « cachés »

La dangerosité des néonicotinoïdes n’est plus à débattre. Une évaluation mondiale [menée par la Task Force on Systemic Pesticides, un groupe de travail scientifique international], qui synthétise plus de mille études publiées dans des revues reconnues, y compris celles financées par l’industrie, tire des conclusions sans appel. Leur mode d’action, qui cible le système nerveux central, ne laisse aucune chance aux insectes, sans distinction d’espèces. De 5 % à 20 % des substances, appliquées en enrobage des semences, sont absorbés par la plante ; la quantité restante se disperse dans l’air, le sol et les cours d’eau. Qualifiées de systémiques, elles affectent tous les milieux et perturbent l’ensemble des chaînes alimentaires.

Lire notre analyse |  Article réservé à nos abonnés  Avec ou sans floraison, les néonicotinoïdes représentent des risques pour les pollinisateursLire plus tard

L’accumulation édifiante de ces preuves ayant conduit à l’alerte de la profession apicole et des scientifiques et à la mobilisation d’un million de citoyens, les substances néonicotinoïdes ont progressivement été interdites en France à partir de 2013. Elles y sont aujourd’hui toutes bannies, tout comme deux « néonicotinoïdes cachés », le sulfoxaflor et la flupyradifurone [interdits depuis 2020], dont le mode d’action s’est avéré identique.

En cas d’adoption de laproposition de loi Duplomb, deux de ces substances retrouveraient alors le chemin des champs français : l’acétamipride, un néonicotinoïde dont le potentiel neurotoxique, génotoxique et reprotoxique pour les mammifères, y compris humains, tend à se confirmer ; ainsi que le flupyradifurone, un néonicotinoïde caché, toxique pour de nombreux auxiliaires des cultures (abeilles à miel, abeilles solitaires, coccinelles…). Plutôt que de réautoriser les néonicotinoïdes, la France devrait encourager une interdiction de ces substances à l’échelle européenne et internationale.

Agriculture productiviste

En réalité, la proposition de loi Duplomb tente de prolonger un modèle agricole industriel essoufflé et sous perfusion chimique. Elle entend ainsi faciliter l’installation de mégabassines, revenir sur le rôle de l’Office français de la biodiversité et favoriser le développement de nouveaux OGM. Elle reprend également à son compte une demande récurrente de l’agriculture productiviste : permettre au ministère de l’agriculture de suspendre une décision d’interdiction d’un pesticide de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, chargée de l’autorisation des pesticides sur le territoire français, sur la base de fondements économiques.

Lire aussi (2023) |  Article réservé à nos abonnés  Réautorisation des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » : la stratégie française sur la selletteLire plus tard

Il nous apparaît aujourd’hui clair que l’adoption de cette proposition de loi scellerait la mise sous tutelle de l’organisme chargé de protéger notre santé et celle des écosystèmes dont nous dépendons. La solution à la crise agricole ne viendra pas des problèmes qui l’ont causée et nous, organisations environnementales, syndicales et de santé publique, enjoignons donc aux parlementaires français et au gouvernement de tout faire pour que cette proposition de loi soit rejetée.

Plutôt que de s’attaquer aux quelques garde-fous qui nous protègent des conséquences néfastes des pesticides, nos efforts doivent urgemment se tourner vers le soutien des agriculteurs et des agricultrices qui montrent, partout en France et en Europe, qu’une autre voie existe, et que l’opposition entre agriculture et écologie n’est qu’un argument politique, qui sert avant tout les intérêts des firmes d’agrobusiness, contraires à ceux des agriculteurs.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  La protection de la biodiversité, grande perdante de la crise agricoleLire plus tard

Premiers signataires : Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Stéphanie Clément-Grandcourt, directrice générale de la Fondation pour la nature et l’homme ; Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Marie-Jeanne Husset, présidente d’Agir pour l’environnement ; Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne ; José Tissier, président de Commerce équitable France.

Liste complète des signataires à consulter ici.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire