La loi d’orientation agricole déviée de son but initial (arrêter la vague de départs), vers la levée d’un maximum de contraintes.

Moins de contraintes, moins d’objectifs : une loi agricole « dénaturée » arrive au Sénat

La loi d’orientation agricole devait répondre à la vague massive de départs à la retraite qui touche le secteur. Le texte qui arrive au Sénat mardi 4 février mélange un ensemble de sujets, en visant surtout la levée d’un maximum de contraintes.

Amélie Poinssot

4 février 2025 à 13h53 https://www.mediapart.fr/journal/politique/040225/moins-de-contraintes-moins-d-objectifs-une-loi-agricole-denaturee-arrive-au-senat?utm_source=quotidienne-20250204-183248&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250204-183248&M_BT=115359655566

CeCe devait être la grande loi agricole du quinquennat Macron. Une loi qui fixe un cap face à l’hémorragie que connaît le secteur, et facilite l’installation de nouvelles agricultrices et agriculteurs. Selon les derniers chiffres connus, la France comptait 390 000 exploitations agricoles en 2020. C’était 100 000 fermes de moins que dix ans plus tôt et, depuis, la baisse ne cesse de se poursuivre : les départs à la retraite sont massifs, à peine un sur deux est remplacé.

C’est finalement un texte de grand recul environnemental. Tel qu’il arrive au Sénat, ce mardi 4 février, pour une discussion qui doit durer jusqu’au 14 février, dans une version retravaillée par la commission des affaires économiques, il s’est sensiblement éloigné du texte adopté à l’Assemblée nationale en mai dernier.

À part quelques objectifs chiffrés – maintenir un total de 400 000 exploitations en France, augmenter de 30 % les effectifs dans les établissements d’enseignement agricole –, il ne porte pas de vision ambitieuse pour favoriser l’arrivée d’une nouvelle génération en agriculture et adapter le secteur aux bouleversements écologiques en cours.

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© Photomontage Mediapart avec AFP

Il est au contraire en grande partie tourné vers l’allègement de réglementations environnementales, et introduit une nouvelle notion : la « non-régression de la souveraineté alimentaire ». Comprendre : il faut opposer à la non-régression du droit environnemental une exception pour la production alimentaire. Une position soutenue par la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, qui prévoir un amendement en ce sens.

Texte dénaturé

« Le texte s’est beaucoup éloigné des écritures de l’Assemblée nationale, de ce qui s’était dégagé après de longs débats, souligne Julien Rouger, vice-président de Jeunes Agriculteurs (JA), chargé du suivi de la loi. Cela crée des ambiguïtés. Cela va être compliqué de retrouver un compromis par la suite. »

Jeunes Agriculteurs, syndicat frère et antichambre de la FNSEA, qui fait de l’installation en agriculture son combat prioritaire, ne se retrouve pas dans le texte sorti de la commission des affaires économiques du Sénat. Pascal Lecamp, député MoDem qui était corapporteur du projet de loi à l’Assemblée, est également très critique. « Nous voulons une loi, mais pas à n’importe quel prix, dit-il à Mediapart. Pour qu’il puisse être adopté en commission mixte paritaire, le texte devra remettre un peu d’orientation : il faut pouvoir se projeter à horizon 2050 vers ce que sera l’agriculture de demain, avec une transition écologique, du bio, la perspective de manger mieux avec plus d’agriculteurs. On ne peut pas aller seulement vers de l’agriculture productiviste. Le texte a été un peu dénaturé sur cet aspect. »

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La façon dont a été remanié le service d’accueil des chambres d’agriculture, en particulier, ne correspond pas du tout aux enjeux démographiques du secteur. Ce service – baptisé, dans la dernière mouture du Sénat, « France Installation Transmission » – n’est plus ouvert qu’aux candidat·es qui ont déjà un projet agricole. Excluant les personnes qui n’en sont qu’au stade de l’idée, de la prospective, et qui ont tout autant – voire davantage – besoin d’être accompagnées.

« C’est justement le travers du dispositif actuel, explique Julien Rouger. Ce que nous voulons, c’est que toutes les personnes qui ont envie d’exercer une activité agricole puissent être accueillies, même si leur projet n’est pas abouti. Aujourd’hui, les gens non issus du milieu agricole prennent une place de plus en plus importante dans la relève en agriculture, il faut pouvoir les accueillir. »

C’est précisément le défi qui pèse aujourd’hui sur le monde agricole : « fils et filles de » reprennent de moins en moins les fermes familiales ; alors que celles et ceux qui ne viennent pas du milieu pourraient devenir majoritaires dans les prochaines années.

Il faut lâcher la grappe aux paysans. C’est la ligne de tout ce texte : il faut libérer les énergies.

Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire

La nécessité d’accompagner davantage ces profils-là est un constat partagé par l’ensemble du spectre des organismes et associations agricoles. C’était l’une des conclusions auxquelles était arrivé, en 2023, un groupe national d’une soixantaine de représentant·es de tous bords, après des mois de consultation pour préparer la loi. Le recul du Sénat sur ce point, dès lors, interroge.

Franck Menonville, corapporteur du projet de loi au Sénat (groupe Union centriste) et lui-même agriculteur, assure à Mediapart qu’il y aura des ajustements sur cet aspect. « Il y a eu un sujet d’incompréhension mutuelle, mais nous ne voulons pas exclure les publics non issus du milieu agricole. Au contraire. Nous savons que nous ne pourrons assurer le renouvellement des générations uniquement dans un cadre familial. »

Autre changement de taille, par rapport au texte voté au Palais-Bourbon au printemps : le diagnostic des exploitations avant leur transmission. Dans la dernière mouture du Sénat, il devient facultatif, et sa dimension « stress test climatique » recule, au profit d’un « diagnostic de viabilité économique ». Pour Jeunes Agriculteurs, un diagnostic obligatoire, avec expertise des sols de la ferme et de sa résilience climatique était, au contraire, une avancée importante obtenue à l’Assemblée nationale.

Mais rendre quoi que ce soit d’obligatoire dans cette loi d’orientation agricole est une ligne rouge pour l’autre rapporteur, Laurent Duplomb, à l’origine d’une proposition de loi déjà examinée la semaine dernière pour « lever les contraintes au métier d’agriculteur ». Le sénateur LR veut « passer de la politique du bâton à la politique de la carotte » et dit ne pas craindre d’assumer des propos « clivants » en remettant en cause les conséquences néfastes des dérèglements climatiques en cours. « Je préfère le mot “adaptation”, s’il y a besoin, au mot “transition”. Car le changement climatique ne s’applique pas partout pareil. Chez moi, à 800 mètres d’altitude, cela apporte des choses positives. »

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Le sénateur de la Haute-Loire, ancien président FNSEA de la chambre d’agriculture de son département, a « un cap »« des valeurs », et il n’en démord pas. « Je ne lâcherai pas sur le caractère facultatif de ce diagnostic, dit-il à Mediapart. Il faut lâcher la grappe aux paysans. C’est la ligne de tout ce texte : il faut libérer les énergies. »

Les derniers articles de cette nouvelle version de la loi agricole confirment d’ailleurs l’allègement de plusieurs réglementations votés à l’Assemblée nationale au printemps : sur la construction de gros bâtiments d’élevage, sur l’aménagement de réserves de stockage d’eau comme les mégabassines… Et sur la réglementation sur les haies, ces rangées boisées entre les parcelles sources de biodiversité, habitats pour de nombreuses espèces animales, et moyens de préservation des sols.

« Des arbres qui bordent les parcelles, il n’y en a jamais eu autant », assure Laurent Duplomb. En contradiction, là aussi, avec la réalité : les haies ont été massivement arrachées en France depuis la Seconde Guerre mondiale, au profit de l’agrandissement des parcelles agricoles.

Amélie Poinssot

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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