64,7 milliards de dollars d’aide américaine annulés !

En gelant leur aide internationale, les Etats-Unis s’affaiblissent

Éditorial

Le Monde

La décision de Donald Trump de bloquer instantanément des milliers de programmes alimentaires et de santé risque d’avoir des conséquences sur la défense même des intérêts de son pays.

Publié aujourd’hui à 11h30, modifié à 15h50  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/01/en-gelant-leur-aide-internationale-les-etats-unis-s-affaiblissent_6526694_3232.html

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Ils sont des millions de par le monde, plongés depuis le 20 janvier dans l’incertitude. Il s’agit des personnes directement affectées par le gel brutal de l’aide américaine, la première en termes de montants, décidée par Donald Trump dès son arrivée à la Maison Blanche.

Le républicain estime, selon le décret exécutif qui a bloqué instantanément des milliers de programmes alimentaires et de santé, que ces derniers « ne sont pas alignés sur les intérêts américains et, dans de nombreux cas, contraires aux valeurs américaines ». Il assure même que ces programmes « servent à déstabiliser la paix mondiale en promouvant dans les pays étrangers des idées qui vont directement à l’encontre de relations harmonieuses et stables à l’intérieur des pays et entre les pays ».

Une telle affirmation laisse songeur. Il est en effet évident que le financement de traitements contre le sida dont dépendent plus de 20 millions de patients africains, l’aide alimentaire à un pays en guerre comme le Soudan ou les opérations de déminage conduites dans de nombreux pays, parmi tant d’autres, contribue au contraire au bien-être et à la stabilité. Dans certains cas, comme celui des programmes d’aide au développement en Amérique centrale, les conséquences d’un tel gel pour des pays en proie à diverses formes de violence sociale risquent même d’alimenter ce que Donald Trump veut endiguer : l’immigration.

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Certes, le gel n’est officiellement en vigueur que pour trois mois, le temps d’une révision, projet par projet, qu’aucun expert en la matière ne juge possible en un temps aussi court. Le chaos entraîné par le décret exécutif a conduit le nouveau secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, à décréter dans l’urgence des exemptions dont profitaient déjà Israël et l’Egypte, ajoutant au désordre. La peur de représailles de la part de la nouvelle administration américaine, qui pousse de nombreux acteurs au silence, ne permet sans doute pas, par ailleurs, de mesurer l’ampleur du désastre.

Un pilier du soft power

Alors qu’il est devenu tendance pour certains de s’esbaudir devant la volonté du président des Etats-Unis à couper sans réfléchir dans les dépenses fédérales, procéder à un examen détaillé de cette aide internationale au lieu de la geler uniformément aurait été de bien meilleure politique. Le tollé provoqué par la même mesure, immédiatement bloquée par un juge fédéral, a d’ailleurs constitué la première embardée sérieuse de son administration, obligée de se dédire.

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Dans le cas de l’aide internationale, d’autres éléments sont à prendre en compte outre la vision étriquée du gaspillage de l’argent des contribuables. Les 70 milliards de dollars (67,5 milliards d’euros) octroyés par le Congrès, consacrés aux trois quarts à l’aide humanitaire, à la santé et au développement, sont un pilier du soft power des Etats-Unis face à la Chine, qui a conduit depuis des décennies dans de très nombreux pays une très active diplomatie des infrastructures. Nul doute que Pékin prend note de ces renoncements de Washington, tout comme il est attentif au malaise créé par les coups de menton intempestifs du président des Etats-Unis envers ses alliés.

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Gesticuler est une chose, manier une tronçonneuse une autre, faire les deux simultanément est déconseillé quand on se fixe comme objectif la défense des intérêts de son pays.

Le Monde

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Pourquoi le gel par Trump de l’aide internationale sidère le monde et provoque déjà des dégâts dévastateurs

Le président américain a ordonné, par décret, la suspension de tous les programmes pendant 90 jours, hormis quelques exceptions. Une mesure radicale aux effets immenses : le montant total de l’aide en 2023 s’était élevé à 64,7 milliards de dollars. 

Par Laurence CaramelPhilippe RicardGhazal GolshiriPiotr Smolar (Washington, correspondant), Jean-Michel Hauteville (Fort-de-France, correspondant), Jacques FollorouFlorence Miettaux (Juba, correspondance), Bruno Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant), Faustine Vincent et Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

Publié aujourd’hui à 05h30, modifié à 18h02 https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/01/donald-trump-seme-le-chaos-et-la-panique-en-gelant-l-aide-etrangere_6526177_3210.html

Le président américain, Donald Trump, lors de la signature du décret actant le retrait des Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la santé, à la Maison Blanche, à Washington, le 20 janvier 2025.
Le président américain, Donald Trump, lors de la signature du décret actant le retrait des Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la santé, à la Maison Blanche, à Washington, le 20 janvier 2025.  EVAN VUCCI / AP

Parmi la cascade de décrets que Donald Trump a signés le 20 janvier, jour de son arrivée à la Maison Blanche, il en est un qui provoque déjà une onde de choc aux effets dévastateurs. Le président américain a ordonné la suspension de tous les programmes d’aide étrangère des Etats-Unis pour une durée de 90 jours, à l’exception de l’aide alimentaire d’urgence, ainsi que de l’assistance militaire à destination d’Israël et de l’Egypte.

Cette décision, aussi radicale que controversée, a trois objectifs : le réexamen des programmes actuels, la mise au pas des personnels selon des critères idéologiques, ainsi que la réduction drastique des dépenses. Depuis son entrée en vigueur, le décret présidentiel sème le chaos et la panique dans le monde entier, en particulier dans les pays les plus fragiles, largement dépendants de l’assistance des Etats-Unis, mais aussi parmi les personnels américains employés dans de nombreuses missions, menacés de licenciement.

La sidération est à la mesure du poids des Etats-Unis en matière d’aide étrangère. Présents dans 158 pays à travers l’Usaid, l’agence américaine chargée de l’aide au développement, ils sont, de loin, le premier pourvoyeur à l’échelle mondiale. En 2023, le montant total de l’aide étrangère américaine s’est élevé à 64,7 milliards de dollars (62,4 milliards d’euros), selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit environ 1 % du budget fédéral américain. L’aide humanitaire arrive en tête (25 %), suivie du renforcement des capacités des gouvernements et des sociétés civiles (20 %), puis de la santé (12 %).

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Ton comminatoire

« Le système d’aide mondiale s’est effondré, lundi 20 janvier, à cause de ce décret », affirme Nathaniel Raymond, directeur exécutif du Humanitarian Research Lab au sein de la Yale School of Public Health, qui opère dans les pays en conflit. « Ce qui se passe est sans précédent. Différents programmes ont déjà été privés de financement sous le premier mandat de Trump [2017-2021], mais jamais l’ensemble du système n’avait été interrompu, comme c’est le cas aujourd’hui, explique-t-il, abasourdi. L’impact du décret a été immédiat : de multiples opérations d’aide dans des zones de crise, de l’Ukraine à l’Afghanistan en passant par le Soudan, ont été interrompues. »

Le 24 janvier, le département d’Etat américain a envoyé un courrier au ton comminatoire à tous les récipiendaires de l’aide américaine. « Dès la réception de cet avis de suspension, le bénéficiaire doit arrêter tout travail dans le cadre des subventions et n’engager aucune nouvelle dépense », peut-on lire dans cette lettre que Le Monde a pu consulter. « Tout usage de fonds pour promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion doit cesser », ordonne le département d’Etat.

Une note interne adressée dans la foulée aux employés de l’Usaid, que Le Monde s’est également procurée, est tout aussi abrupte : « Notre président s’est engagé à mener une politique “America First” [l’Amérique d’abord]. La pause de toute l’assistance étrangère signifie un arrêt complet (…). Le non-respect de cette directive ou de toute directive envoyée cette semaine et dans les prochaines semaines débouchera sur des procédures disciplinaires. »

Face au tollé soulevé au sein des organisations humanitaires, le nouveau secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, a dû, en urgence, mardi 28 janvier, élargir la liste des exemptions. Dorénavant, le gel ne concerne plus « les médicaments essentiels à la survie, les services médicaux, la nourriture, les abris et l’aide à la subsistance ». Mais la formulation et le périmètre de ces dérogations sont si vagues que leur imprécision n’a fait que renforcer la confusion.

Partout, les organismes et les opérations financés par les Etats-Unis doivent d’ores et déjà accélérer le rythme des licenciements, des mises en congé et des fermetures de programmes. « Des millions de personnes sont menacées et vont être affectées de différentes manières, s’alarme M. Raymond, du Humanitarian Research Lab. Beaucoup de gens vont perdre leur emploi. Les organisations, elles, seront pauvres et fragilisées. Mais, surtout, dans l’intervalle, les personnes les plus vulnérables de la planète vont souffrir encore plus. »

Malgré l’ampleur de la déflagration, un étrange silence règne. Les milliers d’organisations non gouvernementales (ONG) et de structures visées par le gel des aides américaines font profil bas, refusent de répondre ou communiquent au compte-gouttes, prenant soin de ne pas critiquer publiquement la décision de Donald Trump, par peur des représailles. « Tout le monde s’active en coulisses pour plaider sa cause auprès des Américains et obtenir des exemptions. On garde un silence prudent pour ne pas faire échouer les négociations », explique une membre d’une grande ONG internationale, sous le couvert de l’anonymat.

L’Ukraine et l’Afrique en première ligne

Les témoignages recueillis par Le Monde décrivent une atmosphère délétère, marquée par la peur d’une « chasse aux sorcières ». Quand certains osent confier leurs inquiétudes, c’est presque toujours sous le sceau de l’anonymat. « Les organisations pensent qu’il reste une chance de continuer à recevoir des fonds après les 90 jours de suspension. Elles ont peur de sortir du bois, de devenir une cible et de tout perdre », explique une autre source, bien introduite auprès de ces structures.

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L’Ukraine est particulièrement inquiète puisqu’elle est, de loin, le principal bénéficiaire de l’assistance américaine en raison de la guerre qui l’oppose à la Russie. Si l’aide militaire fournie par le Pentagone ne semble pas touchée, ce n’est pas le cas des programmes financés par le département d’Etat. Quantité de projets, soutien aux anciens combattants ou appui aux médias, sont déjà fragilisés. Même les activités de déminage sont menacées, alors que l’Ukraine est aujourd’hui le plus miné au monde. Mais, jusqu’à présent, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a minimisé l’impact des annonces de Donald Trump pour ne pas compromettre la relation de travail des deux dirigeants.

L’Afrique est, elle aussi, en première ligne. Six pays – Ethiopie, Soudan du Sud, Nigeria, Ouganda, Kenya et République démocratique du Congo (RDC) – figurent sur la liste des dix premiers récipiendaires des subsides des Etats-Unis. Pour chacun d’eux, l’aide américaine constitue plus de la moitié de l’assistance étrangère perçue. En 2022, elle représentait 35 % de l’aide publique au développement reçue par l’ensemble du continent africain, selon les derniers chiffres disponibles publiés par l’OCDE.

Casse-tête des programmes

La réponse aux crises humanitaires frappant l’Afrique absorbe une grande partie des fonds américains, accordés sous forme de dons aux agences des Nations unies et à des ONG, le plus souvent américaines. Ces programmes d’urgence sont censés être, au moins en partie, épargnés par le gel de 90 jours, conformément aux exemptions formulées par M. Rubio, le 28 janvier. Là encore, le flou persiste. Sur le terrain, les organisations peinent d’autant plus à y voir clair que l’administration Trump a mis en congé une soixantaine de hauts responsables de l’Usaid, soupçonnés d’aider les récipiendaires de l’aide à contourner le gel.

L’enchevêtrement des financements et la multiplicité des programmes, eux-mêmes souvent hybrides, rendent la tâche encore plus ardue. « Les crises auxquelles nous essayons de répondre sont de plus en plus complexes. Il est difficile de tirer un trait net entre ce qui relève de l’humanitaire et du développement. La décision est en partie entre les mains de la personne à qui il revient, à Washington, de faire le tri dans les dépenses », observe Anne Bideau, directrice du bureau français de l’ONG Plan international, consacrée à la promotion des droits des enfants.

A titre d’exemple, l’assistance alimentaire, censée être exemptée, est elle-même un casse-tête. Près de 40 % des opérations du Programme alimentaire mondial impliquent des versements par le biais d’applications mobiles, mais pas la livraison physique de nourriture. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’aliments complémentaires ou, parfois, de vitamines. L’exemption concerne-t-elle toutes ces aides ou seulement une partie d’entre elles ?

Les acteurs sont dans l’expectative. « Nous n’avons encore reçu aucune information », témoigne (de façon anonyme) le représentant de Rebuild Hope for Africa, qui, depuis octobre 2024 et grâce au financement exclusif de l’Usaid, distribue du matériel pour rendre l’eau potable aux populations de l’est de la RDC déplacées à cause des conflits. Le programme cible 100 000 bénéficiaires. La plateforme d’alerte précoce sur les risques de famine, Fews Net, un outil incontournable utilisé par tous les humanitaires, financé par l’Usaid, est, quant à elle, à l’arrêt, alors qu’elle agrège toutes les informations concernant la sécurité alimentaire.

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« Pire que les décrets antifemmes des talibans »

Le Soudan du Sud, à qui les Etats-Unis fournissent 62 % de l’aide étrangère reçue, est, lui aussi, plongé dans l’incertitude. Le sort du million de Soudanais ayant fui la guerre civile pourrait pâtir du gel américain.

Plusieurs centaines de milliers de rapatriés sud-soudanais et de réfugiés soudanais sont toujours établis dans la zone de Renk, dans le Nil-Supérieur. L’ONG française Solidarités International y a suspendu de 80 % à 90 % de ses opérations d’assistance financées par l’Usaid dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, mais continue de fournir de l’eau potable à plus de 187 000 personnes à Renk. « Nous ne pouvons pas arrêter, même quelques jours », confie Kevin Goldberg, directeur général de Solidarités International. Malgré les dernières exemptions, il juge la situation toujours confuse et ne sait pas si les activités non suspendues seront ou non couvertes par les fonds américains.

En Afghanistan, troisième pays bénéficiaire de l’aide américaine, l’annonce de la suspension de l’aide américaine a créé un choc au sein du monde humanitaire, sur lequel le régime taliban s’appuie pour faire fonctionner le pays. Les autorités ont assuré que 31 ONG afghanes et étrangères avaient déjà dû cesser leurs activités, appelant « à ne pas politiser l’aide humanitaire ». Ces structures travaillaient dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, du social, des réponses aux catastrophes naturelles, de l’alimentation et du soutien aux réfugiés. Le Programme alimentaire mondial a affirmé qu’une telle réduction du soutien pourrait plonger un tiers de la population afghane dans une situation de famine grave.

Les programmes lancés après l’interdiction de l’accès au savoir des Afghanes de plus de 12 ans, édictée en 2022, pâtissent directement de cette décision. A lui seul, le programme Girl’s Education Challenge de l’Usaid avait permis, en 2023, d’accueillir 5 100 élèves dans 188 écoles communautaires privées et classes d’apprentissage accéléré, un système précaire dépendant de l’aide financière étrangère.

Selon l’ONG #AfghanEvac, le décret américain affecte aussi plus de 40 000 Afghans candidats au départ, parmi lesquels des anciens soldats et des fonctionnaires, dont les dossiers avaient déjà été approuvés, et d’autres dont les demandes étaient en cours d’examen. « Cette décision de Donald Trump fait encore plus de mal que les décrets antifemmes du chef des talibans », estime, sous le couvert de l’anonymat, l’un des responsables d’une grande ONG internationale, joint à Kaboul.

Retour aux années 1980-1990

Les activités d’ONG pilotant des programmes de lutte contre les violences fondées sur le genre, l’inclusion en faveur des minorités raciales ou sexuelles ou, plus largement, en faveur de la diversité sont dans le viseur de l’administration Trump. En Haïti, « on a dû renvoyer 40 % de notre staff qui travaillait directement grâce à ce financement », précise Nathalie Vilgrain, coordinatrice générale de l’organisation féministe Marijàn. « Les choix qui sont faits en ce moment sont d’une extrême gravité pour des générations de filles », dénonce Mme Bideau, de de l’ONG Plan international, décrivant un contexte général marqué par le recul de l’aide au développement chez la plupart des donateurs, à commencer par la France.

La lutte contre le sida menace également de faire les frais du décret de Donald Trump. Plus de 20 millions de personnes dans le monde dépendent des traitements financés par le programme Pepfar mis en place par les Etats-Unis, en 2003, selon l’Amfar, une fondation américaine contre le sida. Cela représente plus de 222 000 personnes soignées chaque jour, dont 7 745 enfants de moins de 15 ans. Or, les dernières exemptions sur les médicaments susceptibles de « sauver des vies » restent imprécises et ne mentionnent pas explicitement, à ce jour, le programme Pepfar. Le gel, « s’il se prolonge, pourrait entraîner une augmentation du nombre de nouvelles infections et de décès, réduisant à néant des décennies de progrès et risquant de ramener le monde aux années 1980-1990, quand des millions de personnes mouraient chaque année du VIH dans le monde », y compris aux Etats-Unis, a mis en garde l’Amfar.

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L’aide, symbole de gabegie

Les conséquences de la suspension de l’aide américaine sont aussi d’ordre sécuritaire. En Syrie, la décision de M. Trump a déstabilisé l’organisation des prisons et des camps détenant les anciens djihadistes de l’organisation Etat islamique et les membres de leurs familles, soit 50 000 personnes, installées au Rojava, un territoire situé dans le nord-est du pays et administré par les Kurdes. La situation y a été chaotique pendant plusieurs jours. Une partie des gardes a, dans un premier temps, cessé le travail. Selon les informations du Monde, ils sont toutefois revenus à leur poste, mardi 28 janvier, après que les ONG actives dans la zone ont obtenu une prolongation du financement pour une durée de deux semaines. Mais les services essentiels à l’intérieur des camps restent affectés, selon une source sécuritaire du camp de réfugiés d’Al-Hol (Nord). « Les ONG internationales ont maintenant deux semaines pour justifier pourquoi elles doivent continuer à sécuriser la détention d’environ 50 000 combattants de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] et de leurs familles », prévient la même source.

Aux Etats-Unis, dans les milieux conservateurs, l’aide à destination de l’étranger est considérée de longue date comme un symbole de gabegie et de programmes inutiles. Le 22 janvier, Marco Rubio a défini ainsi la politique étrangère de son pays. « Chaque dollar que nous dépensons, chaque programme que nous finançons, chaque politique que nous mettons en œuvre, doit être justifié par une réponse à trois questions simples. Est-ce que ça rend l’Amérique plus sûre ? Est-ce que ça rend l’Amérique plus forte ? Est-ce que ça rend l’Amérique plus prospère ? »

La prévention de maladies, la lutte contre la malnutrition ou le déminage de zones de conflit ne rendent pas, en soi, l’Amérique plus « prospère ». Mais ces actions participent de son statut de grande puissance, de son fameux soft power.

« Si le président prétend vouloir servir les intérêts des Etats-Unis, il devrait comprendre qu’une telle approche n’est vraiment pas dans l’intérêt du pays, dénonce Sarah Yager, directrice du bureau de Human Rights Watch, à Washington. Cette suspension suscite tant de souffrance et de colère à travers le monde ! » Pourtant, « ces programmes donnent beaucoup d’influence aux Etats-Unis, en même temps qu’ils apportent de la stabilité, afin d’apaiser les conflits et de minimiser leurs conséquences sur les populationsLes suspendre, voire les arrêter définitivement, est très mauvais pour l’image et la crédibilité des Etats-Unis », poursuit-elle.

En cela, le décret signé par Donald Trump joue aussi en faveur des régimes autoritaires, comme la Russie ou la Chine, susceptibles de remplir le vide laissé par le retrait de l’aide américaine.

Laurence Caramel,  Philippe Ricard,  Ghazal Golshiri,  Piotr Smolar (Washington, correspondant),  Jean-Michel Hauteville (Fort-de-France, correspondant),  Jacques Follorou,  Florence Miettaux (Juba, correspondance),  Bruno Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant),  Faustine Vincent et  Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

Panique en Ukraine après la suspension de l’aide internationale américaine

Sans critiquer publiquement l’annonce de Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky, ainsi que de nombreux secteurs touchés par l’arrêt brutal du financement de leurs activités, ont lancé des appels aux dons, vers l’Europe, notamment. 

Par Thomas d’Istria (Kiev, correspondant) et Philippe RicardPublié aujourd’hui à 10h11, modifié à 10h12 https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/01/panique-en-ukraine-apres-la-suspension-de-l-aide-internationale-americaine_6526587_3210.html

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Pendant une panne d’électricité après que des infrastructures civiles critiques ont été touchées par des attaques de missiles russes, en Ukraine, à la gare centrale de Kiev, le 25 novembre 2022.
Pendant une panne d’électricité après que des infrastructures civiles critiques ont été touchées par des attaques de missiles russes, en Ukraine, à la gare centrale de Kiev, le 25 novembre 2022.  GLEB GARANICH / REUTERS

Un coup de massue. L’annonce faite par Donald Trump dès son entrée en fonctions, le 20 janvier, d’un gel de quatre-vingt-dix jours de l’aide étrangère américaine à travers le monde a provoqué un vent de panique en Ukraine. Réintégration des vétérans, éducation des jeunes vivant dans des zones proches du front, réparation d’infrastructures… De très nombreux domaines sont d’ores et déjà touchés par les ordres de suspension des financements émis dans la foulée par le nouveau secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio. Même les opérations de déminage sont concernées dans ce pays en guerre, dont près d’un cinquième du territoire est occupé par l’armée russe.

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« Il ne s’agit pas seulement de projets ou de programmes suspendus, mais de centaines de spécialistes, de services gratuits aux personnes et d’équipes de terrain mis à l’arrêt du jour au lendemain », a déploré la défenseuse des droits humains Olena Rozvadovska, le 26 janvier, sur Facebook. « Je ne peux pas imaginer ce que mes collègues ressentent, alors qu’ils doivent licencier du personnel et mettre leurs programmes en attente », a ajouté la cofondatrice de la fondation caritative Voices of Children, qui aide les enfants dont la vie est bouleversée par le conflit.

L’impact de cette suspension reste incertain, mais ces annonces surviennent à un moment difficile pour le pays, affaibli par bientôt trois années de guerre. Les autorités ukrainiennes ont fait savoir qu’elles avaient pris la mesure de ce nouveau défi, tout en veillant à ne pas critiquer publiquement la décision de Donald Trump, tant son soutien face à la Russie est jugé déterminant. Volodymyr Zelensky a également affirmé que le gel ne touchait pas l’assistance militaire américaine fournie par le Pentagone, dont l’Ukraine est extrêmement dépendante. Mercredi 29 janvier, dans son adresse quotidienne à la nation, le président ukrainien a promis de soutenir les projets concernés et appelé les Européens à « plus d’implication », en particulier dans les domaines humanitaire, sécuritaire et social. « Nous devons soutenir notre population dès maintenant, en attendant la formulation d’une nouvelle politique américaine », a-t-il déclaré.

Quelques dérogations

« Outre les membres du personnel qui fournissent directement les services, nous risquons de perdre une partie de l’équipe administrative chargée de gérer nos activités », témoigne Ivona Kostyna, directrice de l’organisation Veteran Hub, chargée d’aider les anciens combattants à se réintégrer socialement. La fermeture d’un centre d’accueil dans la ville de Vinnytsia, dans l’ouest du pays, ainsi que la suspension d’une ligne d’assistance téléphonique ont été annoncées, car « le financement a été interrompu instantanément, sans avertissement ».

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Le quotidien britannique Financial Times révélait, le 25 janvier, que des diplomates américains du Bureau des affaires européennes et eurasiennes du département d’Etat avaient demandé – en vain à ce stade – d’exempter les programmes de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) concernant l’Ukraine. Depuis le début de l’invasion russe, en février 2022, ces fonds ont représenté, selon un récent décompte de cette instance, 2,6 milliards de dollars (2,51 milliards d’euros) d’aide humanitaire, au moins 5 milliards de dollars d’aide au développement et 30 milliards de dollars d’aide budgétaire directe pour réduire les effets de l’agression russe, en particulier dans le domaine de l’énergie, du soutien à la démocratie ou du renforcement du système de santé.

Mardi, le secrétaire d’Etat américain annonçait qu’en plus des dérogations initialement prévues pour l’aide alimentaire d’urgence, ainsi que pour l’assistance militaire à Israël et à l’Egypte, d’autres formes d’« aide humanitaire » seraient, partout dans le monde, exemptées pendant la période de réexamen. La notion d’« aide humanitaire » devrait inclure les « médicaments essentiels à la survie, les services médicaux, la nourriture, les abris et l’aide à la subsistance », selon le texte de Marco Rubio.

« Situation critique »

« Ces dérogations supplémentaires apportent un peu d’espoir », explique au téléphone Andriy Klepikov, directeur de l’organisation Alliance for Public Health, qui met en place des points de traitement mobile dans des régions isolées d’Ukraine afin de tester et de traiter les malades atteints de VIH et de tuberculose. Andriy Klepikov a lui aussi reçu des Etats-Unis un ordre comminatoire de gel de ses dépenses. Sans certitude, il espère que les déclarations de Marco Rubio permettront d’épargner ses activités, lesquelles ont permis, affirme-t-il, d’identifier « plus de 10 000 nouveaux cas de VIH » en moins de trois ans. « Il est essentiel de continuer à œuvrer en ce sens car si nous arrêtons de tester les gens, cela entraînera une propagation de l’infection par le VIH », s’alarme-t-il.

Autre secteur en plein stress : celui des médias indépendants, écrits comme audiovisuels, où certains projets ont dû être arrêtés du jour au lendemain à la demande expresse de l’administration Trump. « Nous ne pouvons même pas diffuser le matériel qui a déjà été filmé à cause des lettres que nous avons reçues qui nous obligent à arrêter le tournage », témoigne ainsi le journaliste Bohdan Logvynenko, dont environ 80 % à 90 % des financements proviennent d’Usaid. De nombreuses autres publications ont également lancé des appels aux dons auprès des particuliers et des entreprises ukrainiennes, comme le journal en ligne Ukraïnska Pravda ou la station de télévision Hromadske.

Oleg Derenyuga, le rédacteur en chef de MykVisti, l’un des rares médias indépendants de la région de Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine, fait part d’une « situation critique ». Son journal peinait déjà à trouver des fonds pour l’année 2025, et comptait donc sur des subventions américaines pour tenir. Désormais, M. Derenyuga appelle les organisations européennes à « créer un mécanisme de réaction rapide pour soutenir les médias régionaux indépendants, faute de quoi nous mourrons et seuls ceux qui dirigent des publications payantes survivront ». A ce stade, il est trop tôt pour dire si ces appels à l’aide adressés aux donateurs européens trouveront une réponse.

Thomas d’Istria (Kiev, correspondant) et  Philippe Ricard

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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