Les Vingt-Sept sont tentés de s’en prendre au Green Deal, cet arsenal législatif qui devait leur permettre de respecter leurs engagements climatiques. 

Décrochage économique de l’Europe : le pacte vert sous le feu des attaques

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La Commission doit présenter, mercredi, sa « boussole pour la compétitivité ». Inquiets de perdre encore du terrain dans la course à la croissance, les Vingt-Sept sont tentés de s’en prendre au Green Deal, cet arsenal législatif qui devait leur permettre de respecter leurs engagements climatiques. 

Par Virginie Malingre (Bruxelles, bureau européen)Publié aujourd’hui à 05h31, modifié à 10h23

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Le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, quitte l’Elysée après la réunion hebdomadaire du cabinet, le 1ᵉʳ octobre 2024.
Le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, quitte l’Elysée après la réunion hebdomadaire du cabinet, le 1ᵉʳ octobre 2024.  LUDOVIC MARIN/AFP

Rarement l’Union européenne (UE) n’aura été autant attaquée pour ses normes trop nombreuses, son administration trop bureaucratique et son incapacité à agir vite. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier, la charge a redoublé, et les appels à déréguler – de la part du patronat comme des gouvernements européens – se font plus pressants.

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Ils s’étaient intensifiés après la flambée des prix de l’énergie, dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022, et plus encore quand, en août de la même année, Joe Biden avait présenté l’Inflation Reduction Act, un plan massif de subventions aux technologies vertes made in America. Les élections européennes de juin 2024, qui ont vu les chrétiens-démocrates du Parti populaire européen (PPE) se renforcer et les extrêmes droites progresser, tandis que les Verts et les libéraux de Renew s’effondraient, leur ont donné une nouvelle impulsion.

Aujourd’hui, alors que Donald Trump dérégule à tout va et a annoncé la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, les Européens s’inquiètent de perdre encore du terrain dans une course à la croissance qu’ils n’étaient déjà pas partis pour gagner. Lors du Forum économique mondial de Davos (Suisse), le 22 janvier, Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, a dit espérer que la réélection du républicain ferait sortir l’Europe de sa « propre paresse » et de sa « bureaucratie ».

La nouvelle « bible » de la Commission européenne

Pour l’heure, les Vingt-Sept cherchent la parade à leur décrochage économique. Ils attendent les propositions de la Commission, qui doit, mercredi 29 janvier, présenter son programme de travail des prochains mois sous la forme d’une « boussole pour la compétitivité ». Avec une première étape, le 26 février, quand elle détaillera ses propositions pour simplifier la vie des entreprises et pour une industrie décarbonée.

Lors de la précédente législature (2019-2024), « le Green Deal était la bible de la Commission. Cette boussole pour la compétitivité sera la bible des cinq prochaines années », se réjouit l’eurodéputé allemand (Union chrétienne-démocrate, CDU) Peter Liese.

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« Les débats se centrent sur la simplification, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la compétitivité », regrette son collègue (Renew) Pascal Canfin. « Il faudrait aussi stimuler les investissements, agir sur les prix de l’énergie ou achever l’union des marchés de capitaux », poursuit-il, mais, sur ces sujets, les Vingt-Sept sont divisés, et il sera difficile d’avancer. Dans ce contexte, l’élu s’inquiète de voir se multiplier les appels à démanteler le pacte vert, dont les Européens se sont pourtant dotés, avec enthousiasme pour certains d’entre eux, entre 2019 et 2024. « Il est de notre intérêt de faire cette transition verte, car l’Europe est le continent le plus pauvre en énergie fossile et elle n’est pas la championne de la révolution digitale », insiste-t-il.

De fait, les Européens sont de plus en plus tentés de s’en prendre à cet arsenal législatif, qui doit leur permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de respecter l’accord de Paris sur le climat. Près de 80 textes ont été adoptés à cet effet entre 2019 et 2024, qui prévoient, entre autres, l’interdiction de mettre sur le marché des voitures neuves à moteur thermique en 2035, la mise en place d’une taxe carbone aux frontières ou encore la montée en puissance des énergies renouvelables.

Appels à une « pause réglementaire massive »

L’Italie de Giorgia Meloni ou la Hongrie de Viktor Orban n’ont eu de cesse de dénoncer le pacte vert. Aujourd’hui, même si ce sont les seuls à en demander la suppression, ils peuvent se féliciter des critiques croissantes qui émanent désormais de Paris, de Berlin, d’Athènes ou de Varsovie.

Mardi, Benjamin Haddad, le ministre français délégué chargé de l’Europe, a ainsi expliqué à ses homologues européens, réunis à Bruxelles, la position de la France sur le sujet, résumée dans un document de travail du 20 janvier qui reprend nombre des revendications du patronat. Elle y appelle à une « pause réglementaire massive » au niveau européen, avec, entre autres, le report « sine die » de la mise en œuvre de la directive de mai 2024 sur le devoir de vigilance, qui impose aux entreprises de veiller au respect de l’environnement et des droits humains dans leurs chaînes de production à travers le monde.

Paris demande aussi un délai de deux ans pour la directive dite « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui oblige les grands groupes à produire des rapports sur la durabilité de leurs activités depuis le 1er janvier. Ou encore un nouvel allègement des contraintes environnementales qui pèsent sur les agriculteurs. Quant à la révision, très attendue, du règlement Reach, qui encadre l’utilisation des substances chimiques, Paris juge qu’« elle ne doit pas être menée sous l’urgence » et préconise « une étude d’impact (…) pour prendre en compte le contexte économique actuel ».

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En Allemagne, le chancelier, Olaf Scholz, en campagne pour les élections fédérales du 23 février, a, pour sa part, envoyé, dès le 2 janvier, sa liste de doléances à sa compatriote Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Lui aussi demande un report de deux ans de la directive CSRD, dont il voudrait par ailleurs réduire le champ d’application, et il milite pour une révision des textes sur le devoir de vigilance des entreprises, la taxonomie verte – visant à classer les activités économiques selon leur impact sur l’environnement – ou encore la taxe carbone aux frontières. « Là où des projets nuisent à la compétitivité, ils doivent être reportés, voire annulés », écrit-il.

Le PPE à la manœuvre

Berlin, Paris et Rome attendent aussi de la Commission qu’elle aide un secteur automobile en crise, face à une mutation technologique sans précédent et à une concurrence chinoise dévastatrice. Ils veulent notamment qu’elle aménage les amendes prévues en cas de non-respect par les constructeurs des objectifs de réduction de CO2 en 2025.

La création d’un deuxième marché du carbone (Emission Trading System, ETS), qui, à partir de 2027, renchérirait pour les ménages le coût du chauffage et de l’essence, est, elle aussi, vilipendée. « Les prix élevés de l’énergie pourraient balayer plus d’un gouvernement démocratique dans l’UE », a averti Donald Tusk, le 22 janvier. Plus généralement, le premier ministre polonais plaide pour « une révision complète et très critique de toutes les réglementations, y compris celles découlant du Green Deal », pour relancer la compétitivité et faire baisser les prix de l’énergie.

En dehors des capitales, la riposte contre le pacte vert s’organise aussi au Parlement européen. Le PPE, qui y est la première force politique comme il l’est aussi autour de la table des chefs d’Etat et de gouvernement et à celle des commissaires, est à la manœuvre. Le 18 janvier, à l’issue d’une réunion à Berlin, le parti résumait ses exigences dans un document destiné à inspirer la Commission. Tout cela en présence d’Ursula von der Leyen, issue de ses rangs, qui a été pourtant été l’architecte des ambitions climatiques de l’UE.

Aujourd’hui, l’ex-ministre d’Angela Merkel martèle que simplifier ne veut pas dire déréguler, mais la frontière est poreuse, et elle le sait. La loi qu’elle prépare pour alléger la charge administrative des entreprises aura pour conséquence la réouverture de plusieurs textes : elle a déjà évoqué ceux sur le devoir de vigilance, la taxonomie et la directive CSRD, mais il pourrait y en avoir une cinquantaine d’autres si elle crée, comme prévu, un régime allégé pour les entreprises de taille intermédiaire. Dès lors, ces lois devront être soumises une nouvelle fois aux Etats membres et au Parlement européen, que rien n’empêchera de tenter de les amender comme bon leur semble.

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A Strasbourg, le PPE pourra choisir de s’allier à une extrême droite très hostile à l’agenda vert de l’UE et avec laquelle il a aujourd’hui les moyens de former une majorité dans l’Hémicycle. Il l’a déjà fait ces derniers mois pour tenter de se débarrasser de la loi sur la restauration de la nature ou d’affaiblir le règlement contre la déforestation. Sans succès. Mais il s’en est fallu de peu, et c’était avant l’élection de Donald Trump.

Virginie Malingre (Bruxelles, bureau européen)

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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