Soins palliatifs versus aide à mourir : Bayrou veut couper la loi « fin de vie » en deux
Le Premier ministre souhaiterait scinder en deux le projet de loi sur la fin de vie. Il n’y aurait donc plus un seul texte, mais une loi consacrée aux soins palliatifs et une autre dédiée à l’aide à mourir. Cette scission était défendue par les adversaires de l’euthanasie et du suicide assisté.
Par Sandy Bonin

« Ce sujet sera à l’agenda le plus vite possible. Il n’est pas question du tout de l’abandonner, mais il est question de libertés individuelles, du vote du Parlement sur des sujets qui sont des sujets distincts », a assuré ce mercredi, à l’issue du Conseil des ministres, la porte-parole du Gouvernement Sophie Primas souhaitant « rassurer les associations ».
En effet, il y a une semaine, le chef du Gouvernement avait simplement renvoyé la fin de vie au « pouvoir d’initiative » du Parlement. Si le choix de deux textes peut apparaître de simple forme, il marque en réalité un développement important dans l’histoire – déjà longue de plusieurs années – du projet de loi, censé initialement porter la grande réforme sociétale de la présidence d’Emmanuel Macron. Et suscite déjà la désapprobation de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet – une macroniste de la première heure, qui s’est dite mardi soir « opposée » à cette « scission ». « J’attends que le Gouvernement et le Premier ministre réinscrivent ce texte dans son ensemble à l’Assemblée nationale » et ce dès « aujourd’hui », a-t-elle lancé sur France 5.
Le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale en 2024 prévoyait le développement des soins palliatifs mais aussi de légaliser, à d’importantes conditions, une « aide active à mourir » – concrètement un suicide assisté ou, dans certains cas, une euthanasie. La dissolution de l’été 2024 l’a arrêté net avant un premier vote solennel, alors que les clivages restent vifs.
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En optant pour deux textes, François Bayrou répond à une demande des opposants de l’aide à mourir en reprenant une partie de leurs arguments. « Le Premier ministre est très attaché à cette liberté parlementaire de pouvoir avoir une réponse à chacun de ces sujets. Quand vous devez en même temps répondre à la question sur l’accès de chacun aux soins palliatifs et sur l’aide active à mourir, vous n’avez pas de liberté sur aucun des deux choix, puisque l’un engage l’autre », a justifié Sophie Primas. Elle a distingué « la possibilité pour tous les Français de bénéficier de soins palliatifs, qui sont une réponse à la peur tout à fait légitime vis-à-vis de la souffrance et de la fin de vie » d’un sujet « éthique qui a trait à l’aide active à mourir ».
Cette position rejoint notamment celle de la Sfap, organisation qui porte la voix des soins palliatifs et s’est toujours montrée très méfiante à l’idée de légaliser le suicide assisté. Deux textes, « c’est quelque chose que l’on demandait depuis le début », a déclaré à l’AFP sa présidente, Claire Fourcade. « Le sujet des soins palliatifs, qui pourrait avancer très vite, est freiné par le fait d’être couplé à un sujet plus clivant et complexe. »
Chez les partisans de l’aide à mourir, comme Yaël Braun-Pivet, le mécontentement l’emporte. Le député Olivier Falorni (apparenté MoDem), qui défend de longue date une évolution législative et avait dirigé les travaux sur le projet de loi lors de son passage à l’Assemblée, a ainsi exprimé son désaccord. Soins palliatifs et aide à mourir sont « complémentaires », a-t-il insisté. « Ces deux sujets doivent être abordé(s) maintenant et en même temps, pas séparément et dans longtemps ». Les partisans de l’aide à mourir craignent l’abandon de ce volet, même si l’entourage du Premier ministre assure que les deux thèmes seront examinés dans la « même temporalité parlementaire », sans précisions.
« Séparer le texte, c’est céder aux représentants religieux et aux opposants à l’euthanasie, séparer pour finalement ne rien faire ? », s’est interrogée sur le réseau X l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).
Pour François Bayrou, l’enjeu est aussi politique. Plusieurs membres de son Gouvernement ont exprimé leurs fortes réticences sur l’aide à mourir, à commencer par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui avait clairement dit ne pas souhaiter le retour du texte à l’Assemblée. « Dans une situation où il n’y a pas de budget pour la France », la fin de vie « n’est pas une urgence », argumentait aussi en privé un autre ministre il y a quelques semaines.
Mais scinder le texte en deux « peut être un moyen d’aller plus vite et d’être plus efficace », a défendu la députée Renaissance Stéphanie Rist, selon laquelle « c’était aussi une demande forte du Sénat d’avancer dans ce sens ».
[avec AFP]
Auteur de l’article
François Bayrou donne des gages aux opposants à l’aide à mourir
C’est une nouvelle péripétie dans le long débat sur la légalisation de l’aide à mourir. François Bayrou veut scinder le projet de loi discuté au printemps 2024 : d’un côté les soins palliatifs, de l’autre l’aide à mourir. Avec la possibilité que le deuxième volet ne se concrétise pas.
22 janvier 2025 à 20h08
https://www.mediapart.fr/journal/france/220125/francois-bayrou-donne-des-gages-aux-opposants-l-aide-mourir?utm_source=quotidienne-20250122-192304&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250122-192304&M_BT=115359655566
AgnèsAgnès Firmin Le Bodo n’en revenait pas, mercredi 22 janvier : « Qu’une telle annonce soit faite lors d’une question de groupe, sur un sujet de société majeur qui a fait l’objet de dix-huit mois de concertation, d’une convention citoyenne, sur lequel je suis interpellée tous les jours… »
La députée Horizons réagit ainsi aux propos du premier ministre, tenus mardi 21 janvier, au sujet de la scission en deux du projet de loi sur l’accompagnement des malades et la fin de vie. Il y aura finalement un texte dédié aux soins palliatifs, et un autre à l’aide à mourir, a-t-il expliqué, sans aucune solennité, devant l’Assemblée nationale, en réponse à une question du groupe Ensemble pour la République (ex-Renaissance).
Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre du gouvernement Borne chargée de l’organisation des soins, est l’autrice du texte initial. Il a été longuement discuté par l’Assemblée au printemps 2024, jusqu’à ce que son examen soit suspendu par la dissolution.

Pour la parlementaire, cette scission est « un retour en arrière : on réoppose les soins palliatifs et la fin de vie alors que l’un ne va pas sans l’autre. On avait pourtant trouvé des voies de passage politiques ». Elle enrage d’autant plus que l’examen a été l’occasion de « de beaux débats », proches d’aboutir. « À une semaine près, on l’aurait adopté,poursuit-elle. Dans la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, je ne suis pas sûre qu’on trouve une majorité pour légaliser l’aide à mourir [séparément]. »
Le plus ancien et opiniâtre défenseur de l’aide à mourir à l’Assemblée, Olivier Falorni (Les Démocrates), est au contraire convaincu de trouver une majorité dans l’hémicycle issu de la dissolution pour voter les deux textes : « 85 à 90 % des députés de gauche sont favorables à une légalisation, une majorité des groupes Ensemble pour la République et Liot [Libertés, indépendants, outre-mer et territoires – ndlr], au moins les deux tiers du MoDem », calcule-t-il.
Le risque d’un report « aux calendes grecques »
Olivier Falorni a d’ailleurs déposé une nouvelle proposition de loi en septembre : « Elle a été cosignée par 235 députés, et certains sont devenus depuis ministres, comme la numéro deux du gouvernement, Élisabeth Borne. » Autre soutien de poids : la deuxième signataire de la proposition de loi est la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui a pressé le gouvernement sur ce sujet.
Pour le député Olivier Falorni, le véritable risque est « la procrastination », et la possibilité que « soit adopté un texte sur les soins palliatifs dans un premier temps, et que soit reporté aux calendes grecques celui sur la fin de vie ». En réponse à ces critiques, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a affirmé ce mercredi que « ce sujet sera à l’agenda le plus vite possible ».
Apparenté au groupe MoDem à l’Assemblée, Olivier Falorni n’est pas surpris par l’annonce de l’ancien chef de file du parti. « Je connais la position de François Bayrou, il connaît la mienne, on se respecte », assure-t-il. Mais pas de doute selon lui, François Bayrou veut ainsi satisfaire les plus ardent·es opposant·es à l’aide à mourir : « Séparer les soins palliatifs de la fin de vie est leur plus ancienne revendication. Ce sont d’ailleurs eux qui se réjouissent depuis hier. »
En effet, la docteure Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, fer de lance des soignant·es hostiles à toute légalisation de l’aide à mourir, se réjouit. À ses yeux, il est plus cohérent que les député·es puissent se positionner séparément sur les deux questions : sur le développement des soins palliatifs dans un premier temps, « sujet qui fait consensus », et ensuite sur le second texte, « dans le respect des convictions de chacun ».
La nature des deux démarches est, aux yeux de la docteure Fourcade, très différente. L’aide à mourir est « un sujet philosophique », estime-t-elle. Alors que « sur les soins palliatifs, ce sera un projet de loi technique sur les moyens alloués, l’organisation des soins, la formation des soignants. On pourra aller plus vite, il est urgent d’avancer ».
Un service public pour donner la mort.
François Bayrou en 2001 et 2023
Le projet de loi initial prévoyait notamment de graver dans le marbre des moyens supplémentaires pour les soins palliatifs : 1,1 milliard d’euros en dix ans. Agnès Firmin Le Bodo balaie l’argument. « On va se positionner sur les soins palliatifs alors qu’on n’a pas de projet de loi de financement de la Sécurité sociale, dont dépend justement le budget dédié aux soins palliatifs ? La priorité, c’est le budget », assène-t-elle.
Il y a deux lectures possibles à l’annonce de François Bayrou. L’une est politicienne. Après avoir donné quelques gages au Parti socialiste pour éviter une censure, il se tourne désormais vers la droite, en particulier vers son ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau. Catholique pratiquant, ce dernier est un fervent opposant, de longue date, à toute légalisation de l’aide à mourir ou de l’euthanasie.
Une autre possibilité est que le choix de François Bayrou soit dicté par des convictions personnelles. Lui aussi catholique revendiqué, le premier ministre s’est plusieurs fois exprimé sans ambages sur le sujet. Sa position est parfaitement alignée sur celle des milieux catholiques traditionalistes : légaliser l’aide à mourir reviendrait à créer « un service public pour donner la mort », a-t-il déclaré au Figaro en 2023. En 2001, dans La Croix, il employait ces mêmes mots, précisant qu’il y voyait une « profanation », car « il y a en nous quelque chose de plus grand que nous ».
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Fin de vie : l’hypocrisie de François Bayrou
Éditorial
Le Monde
Alors que le premier ministre souhaite voir le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie scindé en deux afin de distinguer les dispositions sur les soins palliatifs, le risque est que la question de l’aide à mourir finisse par être marginalisée.
Publié aujourd’hui à 11h30
Temps de Lecture 2 min.
Ce devait être la grande réforme de société du second quinquennat d’Emmanuel Macron sur un sujet – la fin de vie – parmi les plus douloureux et les plus complexes qui soient, mais soutenue par une large partie de l’opinion. Pourtant, presque deux ans après qu’une convention citoyenne s’est prononcée, à une majorité de 75 %, en faveur d’une « aide active à mourir », le texte législatif promis par le président de la République qui devait en résulter paraît encalminé. Un projet de loi dans ce sens a certes fait l’objet d’un débat parlementaire remarquablement digne qui devait s’achever, le 18 juin, par un vote solennel.
Le texte autorise le suicide assisté ou l’euthanasie pour les malades majeurs en fin de vie qui le demanderaient, dans certaines conditions et sous réserve d’une autorisation médicale.
La dissolution de l’Assemblée nationale a rendu caducs les articles déjà votés et obligé les députés à repartir de zéro. Une proposition de loi reprenant les mêmes dispositions, déposée l’été 2024 par Olivier Falorni, apparenté MoDem, a été signée par 235 députés. Mais la censure du gouvernement Barnier, début décembre, a interrompu le processus.
Le large soutien dont bénéficiait le texte n’a pas empêché François Bayrou de compromettre son adoption. Mardi 21 janvier, le premier ministre a dit souhaiter que le texte soit scindé en deux afin de distinguer les dispositions sur les soins palliatifs. Venant d’un responsable politique qui a déclaré, en mai 2023, « ne faisons pas un service public pour donner la mort », une telle volonté de découpage, conforme au souhait des opposants au projet initial, nourrit le soupçon d’une manœuvre destinée à reporter aux calendes, voire à compromettre, l’instauration d’un droit à l’aide active à mourir.
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Un tel droit, tout en posant de graves questions éthiques et sociales, traduit une revendication d’une large partie de la population – la liberté de choisir sa mort – et paraît seul en mesure d’assurer une fin de vie digne dans certaines situations désespérées. « Le respect du droit à la vie ne vaut pas devoir de vivre une vie jugée insupportable par celui ou celle qui la traverse », a estimé le Comité consultatif national d’éthique.
Besoin impérieux de financements
Quelles que soient les motivations du premier ministre – personnelles ou politiques, liées à l’opposition d’une partie de sa majorité –, il y a une certaine hypocrisie de sa part à prôner un texte spécifique sur les soins palliatifs, domaine crucial qui a un besoin impérieux de financements nouveaux, mais pas d’une loi. Le risque est qu’une fois ce texte symbolique adopté la question de l’aide à mourir soit marginalisée. D’autant que le calendrier parlementaire pourrait rendre incertaine l’adoption d’un second texte d’ici à la fin du quinquennat.
A l’heure où doivent s’affirmer les prérogatives du Parlement dans un contexte d’instabilité gouvernementale et alors que les sujets réunissant a priori une majorité de députés ne sont guère nombreux, il serait incompréhensible qu’une avancée sociétale aussi décisive se trouve remise en cause.
Deux principes tous deux défendables s’affrontent : la liberté fondamentale de disposer de sa mort et l’assistance que la société doit à chaque individu. La recherche d’un équilibre doit permettre de lever les barrières qui entravent aujourd’hui l’exercice de la première, tout en prévenant toute dérive eugéniste. Seule la poursuite sans délai d’un débat parlementaire nourri peut y parvenir.
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Le Monde