Pesticides dans les fleurs : les autorités sanitaires lancent une première étude pour évaluer l’exposition des professionnels
L’Agence nationale de sécurité sanitaire, par la direction générale du travail et les services du ministère de l’agriculture, n’exclut pas d’élargir l’expertise à l’exposition des consommateurs.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) s’apprête à lancer une première étude pour l’exposition des professionnels de la fleur aux pesticides et proposer des évolutions de la réglementation afin de la rendre plus protectrice, selon les informations du Monde et de Radio France. L’Anses a été saisie officiellement de cette mission le 10 décembre 2024 par la direction générale du travail et les services du ministère de l’agriculture, après l’association Robin des bois.
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Cette saisine intervient à la suite des révélations du Monde et de Radio France sur le cas de l’ancienne fleuriste Laure Marivain : le lien de causalité entre le décès de sa fille Emmy, à 11 ans, d’une leucémie et son exposition professionnelle aux pesticides pendant la grossesse a été reconnu par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Une première.
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Environ 85 % des fleurs vendues en France proviennent de l’étranger et la majorité est cultivée en dehors de l’Union européenne avec des pesticides souvent interdits dans l’Union européenne en raison de leur dangerosité. « Les fleurs en provenance de pays tiers n’étant soumises à aucune réglementation européenne, nous ne disposons pas d’informations concernant les substances utilisées et aucun contrôle n’est effectué », rappellent les deux ministères dans leur saisine.
Mettre en place un protocole
Cette expertise de grande ampleur devrait prendre environ deux ans. Un groupe d’une dizaine d’experts (toxicologue, épidémiologue, spécialiste de l’hygiène au travail…) doit être constitué d’ici avril pour lancer les travaux. Ils s’articuleront en trois phases. La première, la plus longue, est prévue pour durer neuf mois. Elle visera à dresser un « état des connaissances disponibles » et à mettre en place un protocole, sur le terrain, pour recueillir les données manquantes.
Première difficulté: identifier tous les métiers en contact régulier avec les fleurs coupées (fleuristes bien sûr mais aussi grossistes, producteurs, préparateurs, livreurs…). Selon les estimations de la Fédération française des artisans fleuristes (FFAF), il y aurait entre 25 000 et 30 000 fleuristes en France dont une majorité de femmes.
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Deuxième difficulté : établir un protocole qui permette de mesurer le plus précisément possible à quels pesticides et à quels niveaux sont exposés (au contact direct de la peau ou par voie respiratoire) les professionnels du secteur dans l’exercice des différents métiers de la fleur. Cela pourrait passer concrètement par l’application de patch sur des travailleurs et le recueil de prélèvements urinaires et sanguins. « Il faudra une mobilisation de la filière pour mettre en place ce protocole et obtenir les données d’exposition aux différentes phases du travail avec les fleurs », prévient Henri Bastos, directeur scientifique santé et travail à l’Anses.
Interrogée pour savoir si elle était prête à participer activement à cette étude, la FFAF renvoie vers Valhor, l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage. Le représentant de la filière indique avoir « mis en place des réunions techniques, qui se tiendront dans les prochaines semaines » mais ne « pas être en mesure d’apporter des éléments plus précis pour l’instant ».
« La réglementation doit être renforcée dès maintenant »
Ce travail d’évaluation a déjà été effectué en Belgique. Publiée en 2019 dans la revue Human and Ecological Risk Assessment, une étude menée par des chercheurs de l’université de Liège (Belgique) pourrait inspirer le groupe d’expert pour l’élaboration de son protocole de recueil de données. Pendant quatre ans, ils ont suivi une quarantaine de fleuristes dans des boutiques en Belgique lors de pics d’activité (Saint-Valentin, Fête des mères, Toussaint). Résultats : plus de 100 pesticides détectés dans les échantillons des fleurs les plus vendues (roses, gerberas, chrysanthèmes), autant sur les mains des fleuristes, munis de gants en coton pour les besoins de l’étude, et 70 dans leurs urines, dont certains sont interdits depuis longtemps en Europe.
« La priorité est d’évaluer les risques que courent les travailleurs qui sont au contact quotidien des fleurs mais nous n’excluons pas d’élargir au grand public et aux consommateurs finaux en cours d’expertise si nous le jugeons nécessaire », indique Henri Bastos. Surtout, explique-t-il, cette expertise pourrait permettre à la France de pousser au niveau européen une réforme de la réglementation afin de combler un trou béant : à la différence des aliments, il n’existe pas de limite maximale de résidus de pesticides pour les fleurs.
Autre recommandation qui pourrait émerger de ce travail d’évaluation, l’interdiction d’importer des fleurs cultivées avec des pesticides classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
« Le lancement de cette expertise est encourageant, réagit la lanceuse d’alerte Laure Marivain, mais l’Etat est au courant du problème depuis longtemps et il n’a rien fait. Cela a des conséquences graves. Nous, nous avons perdu notre fille. Si on attend que cette expertise soit menée à son terme, beaucoup des gens vont encore tomber malades. La réglementation doit être renforcée dès maintenant. »
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