Si le gouvernement veut réduire les délais d’attente qui menacent l’état de santé des Français, il doit régler la question de la proximité des soins

Santé : « La proximité est la condition essentielle de l’accès aux soins »

Tribune

Emmanuel Vigneron Géographe 

Si le gouvernement veut réduire les délais d’attente qui menacent l’état de santé des Français, il doit régler la question de la proximité des soins, ce qui passe par plus de pédagogie et de transparence et par la mise en place d’indicateurs, explique, dans une tribune au « Monde », le géographe Emmanuel Vigneron, spécialiste des inégalités sociales et territoriales de santé.

Publié aujourd’hui à 13h00  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/18/sante-la-proximite-est-la-condition-essentielle-de-l-acces-aux-soins_6504102_3232.html

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Dans son discours de politique générale, mercredi 14 janvier au Parlement, le premier ministre, François Bayrou, a, comme ses prédécesseurs, égrainé quelques mesures pour la santé : hausse de l’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), soit un peu d’air, mais pas beaucoup ; financement pluriannuel, promesse qui répond certes à une demande exprimée depuis longtemps par les acteurs du secteur, mais promesse qui n’engage pas beaucoup par les temps qui courent ; pas d’augmentation du ticket modérateur et pas de nouveaux déremboursements, dont acte et tant mieux – mais jusqu’à quand ? – ; remboursement à 100 % des fauteuils roulants, question qui ne devrait même pas se poser et qui n’est qu’une question parmi d’autres ; reprise de la réflexion sur la loi relative à la fin de vie, maintien de la santé mentale en 2025 comme grande cause nationale, soit un petit chapelet de mesures.

Cela donne l’impression que c’est toujours le même film qui passe et ça continue encore et encore. Il faudrait sortir de cette tiédeur gouvernementale. La proximité est la condition essentielle de l’accès aux soins. S’attaquer aux problèmes de fond de l’organisation de la santé en France demande avant tout de s’occuper de l’organisation de la proximité, dont la défaillance est coûteuse en vies et en dépenses.

Ce qu’il manque, en France, ce n’est pas la superstructure du système de santé, qui est reconnue comme excellente malgré toutes les difficultés qu’elle connaît. Ce qui manque, ce sont les portes d’entrée dans le système de soins permettant à chacun d’accéder aux étages supérieurs. Il y a là pour la société une source essentielle de bien-être et d’économies par le recours au bon soin, au bon moment, au bon endroit. L’impérieuse nécessité de cette organisation est reconnue depuis longtemps.

Le numerus clausus, à la fin des années 1970, aggrava la situation

A la Libération, le grand professeur de médecine Robert Debré (1882-1978) écrivait qu’« à cet égard, dans bien des régions de la France, tout est à faire !  ». Il soulignait que tous les éléments de la chaîne de santé formaient « un ensemble dont les parties ne sont point séparables ». Pour quelles raisons Robert Debré et ses compagnons de la Résistance ne furent-ils pas suivis ? Cela s’est joué d’emblée.

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A la Libération, tout était à faire et notamment créer la sécurité sociale, voulue par tous ou presque. Pour cela, il fallut s’attacher la participation de la médecine libérale au départ très réticente, en lui abandonnant l’organisation de la proximité. Ainsi, revenue en position de force, la médecine privée rappela ses conditions : liberté d’installation du médecin, libre choix du praticien par le patient, honoraires libres et liberté de prescription… Comment avec cela organiser rationnellement la proximité des soins ? Comment faire autre chose que du curatif et que délaisser la prévention ?

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Un peu plus tard, on laissa penser que l’augmentation du nombre d’étudiants conduirait tout naturellement à leur bonne répartition, les lois de la concurrence produisant leur étalement. Las, les économies d’échelle de la localisation urbaine et les économies d’agglomération provoquées par la spécialisation de la médecine conduisirent à la concentration. Le numerus clausus, instauré à la fin des années 1970, aggrava encore la situation.

Sortir de la mollesse décisionnaire

Aujourd’hui, l’échelon de proximité demeure inorganisé, mais en outre il se dégrade maintenant à vitesse accélérée. Les délais d’attente sont si longs qu’ils en viennent à menacer l’état de santé. Partout s’étendent des déserts médicaux. Alors, que faire ? D’abord, bien s’entendre sur ce qu’est la proximité. Tout n’est pas possible partout, mais tout n’est pas non plus impossible partout. Et ensuite, que voulons-nous ? Que pouvons-nous ?

Pour répondre à ces questions, Il faudrait sortir de la mollesse décisionnaire, de la soumission aux éléments politiques locaux et de la place secondaire des faits dans la prise de décision. Il faut que les données objectives circulent. Un immense effort de pédagogie et de diffusion de l’information est à accomplir.

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Et puis, il faut s’accorder sur des critères objectifs : apprécier le rayonnement et la puissance attractive de chaque segment de l’offre, s’accorder sur des temps de parcours acceptables pour accéder à chaque niveau de soins, depuis le premier recours jusqu’aux soins les plus rares, établir une liste précise et contractuelle des services indispensables localement. Dès lors, on pourrait, en toute transparence, vérifier que ces indicateurs sont respectés dans tous les territoires et si ce n’est pas le cas, corriger ces défauts en commençant par les plus criants et sur la base d’un plan de rattrapage à vingt ans à partir de l’estimation des moyens nécessaires et des moyens disponibles, financiers et humains.

La proximité et la nécessité de la concentration

L’échelon de proximité n’a de valeur que s’il s’inscrit dans une architecture graduée du système de santé. La relation est dialectique. La nécessaire concentration des plateaux techniques les plus modernes et des soins les plus rares oblige à organiser la proximité pour que chacun puisse y accéder. Les tenants de la proximité doivent comprendre la nécessité de la concentration. L’une est la contrepartie de l’autre.

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Les groupements hospitaliers de territoire et les communautés professionnelles territoriales de santé constituent les formes contemporaines de l’exercice territorial coordonné, à l’hôpital et en ville. C’est sur eux qu’il faut s’appuyer pour avancer, mais ils doivent travailler ensemble sans réticence et en confiance. Les établissements de santé ont parfaitement le droit de créer des centres de santé de premier recours qui devraient être cette brique de base de notre système de santé, lieux de soins, mais aussi de prévention et d’éducation dans tous les territoires.

La pénurie actuelle des médecins et leur totale liberté d’installation, les difficultés budgétaires ne doivent pas nous enfermer dans le renoncement. Ce sont de mauvaises excuses. Elles laissent errer un système dont le degré d’entropie augmente, ce qui conduit à son effondrement et aux inégalités les plus insupportables.

Emmanuel Vigneron, géographe, professeur émérite des universités, président du groupe de travail permanent sur les inégalités sociales et territoriales de santé (Haut Conseil de la santé publique).

Emmanuel Vigneron (Géographe )

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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