Avec les fermetures de maternité l’accès à l’avortement est de plus en plus compromis.

Pas d’IVG possible, maternité fermée : des femmes se mobilisent dans l’Hérault, cinquante ans après la loi Veil

A Ganges, un collectif se bat pour que ce village de l’Hérault retrouve son service d’obstétrique. Depuis sa fermeture, fin 2022, les accouchements sont plus risqués, et, cinquante ans après la loi Veil, l’accès à l’avortement est compromis. 

Par Agathe Beaudouin (Nîmes, correspondante)Publié le 16 janvier 2025 à 14h00, modifié le 16 janvier 2025 à 15h59 https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/16/pas-d-ivg-ni-de-maternite-50-ans-apres-la-loi-veil-le-combat-continue-aux-portes-des-cevennes_6501302_4500055.html

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Le 7 janvier, à Ganges, les membres du MAD (Maternité à défendre) préparent la manifestation « Bon anniversaire Simone », en hommage à Simone Veil, prévue le 18 janvier.
Le 7 janvier, à Ganges, les membres du MAD (Maternité à défendre) préparent la manifestation « Bon anniversaire Simone », en hommage à Simone Veil, prévue le 18 janvier.  VIVIANE DALLES POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

A quelques jours du 50e anniversaire de la loi Veil, qui a légalisé l’interruption volontaire de grossesse en France, un groupe de femmes s’active dans un local associatif à Ganges (Hérault). En tenue de bricolage, elles préparent des affiches colorées, des photos XXL de femmes enceintes et des pochoirs pour une manifestation festive intitulée « Bon anniversaire Simone », fixée au 18 janvier.

Dans cette commune d’à peine 4 000 habitants, située aux portes des Cévennes, la maternité a fermé en décembre 2022. Depuis, le collectif MAD (Maternité à défendre), fondé trois mois plus tôt et regroupant des habitants du secteur, mène des actions « pour obtenir le retour d’une maternité », explique Colinda Ferraud, l’une des membres. Si le collectif porte des initiatives « joyeuses et organisées dans la bonne humeur », il vise à dénoncer un quotidien « devenu pesant, parfois angoissant » pour de nombreuses femmes : des suivis de grossesse synonymes de longs trajets en voiture, des accouchements parfois sous tension et un accès à l’IVG rendu plus difficile.

Intégrée à une clinique encore en activité, cette maternité enregistrait avant sa fermeture près de 300 naissances annuelles et accueillait les femmes enceintes de 74 communes isolées nichées autour du mont Aigoual. Un territoire marqué par des routes sinueuses, des virages serrés et, parfois, des zones sans réseau téléphonique. « Actuellement, dans notre région, nous n’avons pas toutes accès à ce droit fondamental qu’est l’IVG », observent Jeanne Bourrat, Colinda Ferraud et les autres membres du collectif. « C’est quoi, cette histoire ? En 2025, les zones rurales seraient encore privées de soins ? Nous refusons cette opposition désuète entre milieu urbain et milieu rural. »

« J’ai accouché dans ma voiture »

Sur le terrain, Edith Gauzeran Lemaire, infirmière coordinatrice dans l’accès aux soins en milieu précaire, observe les obstacles engendrés par la fermeture de la maternité, « surtout dans des milieux défavorisés »« Nous sommes en zone rurale, où il existe une misère cachée. L’IVG, c’est déjà une démarche difficile, qui demande une grosse force mentale. S’il n’existe pas de service de proximité, cela décourage les femmes. Donc sans maternité qui propose l’information mais aussi la prise en charge d’un avortement, il n’y a en réalité pas d’IVG possible. C’est un véritable recul pour les femmes », s’alarme cette Cévenole. Même au Vigan, à vingt-cinq minutes de Ganges, il y a bien un collège et un lycée, mais toujours pas de Planning familial pour accompagner les jeunes filles, au moins en termes de prévention.

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Dans cette partie des Cévennes, la disparition de la maternité suscite l’émoi, mais aussi un sentiment d’injustice. Certaines familles vivent à plus d’une heure trente de route d’une maternité. « Cela modifie toute l’organisation d’une grossesse », témoigne Josepha Fockeu, 32 ans, de Montdardier, un village de 198 habitants situé à 600 mètres d’altitude. Cette maman de deux enfants, qui a accouché de son aîné à Ganges, a vécu sa seconde grossesse avec « une charge mentale supplémentaire ».

Josépha Fockeu (à g.) et Audrey Rémond, au Vigan, le 7 janvier 2025. Faute de maternité suffisamment proche de leur domicile, les deux trentenaires ont accouché dans leur voiture.
Josépha Fockeu (à g.) et Audrey Rémond, au Vigan, le 7 janvier 2025. Faute de maternité suffisamment proche de leur domicile, les deux trentenaires ont accouché dans leur voiture.  VIVIANE DALLES POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

« Dès le début, la sage-femme m’a prévenue : il fallait prévoir un kit d’accouchement sur la banquette arrière du véhicule avec des serviettes, des couvertures, des protections. Ce système D devient ordinaire. Ici, accoucher dans sa voiture est presque devenu normal », témoigne-t-elle.

Elle poursuit : « J’ai accouché dans ma voiture, sans péridurale. Mon conjoint a trouvé un lieu visible depuis la route, a contacté un médecin du SAMU qui nous a guidés par téléphone. Il avait une frontale. C’était un 23 novembre, une nuit glaciale. Heureusement, tout s’est bien terminé, mais il n’y a eu aucun accompagnement à la douleur, pas de chaleur humaine, pas de soignants », confie cette Gardoise, transportée ensuite par les pompiers à l’hôpital de Millau, pour « terminer le travail et extraire le placenta ».

« A la sortie d’un village »

Son récit fait écho à celui d’Audrey Rémond, installée à Mandagout, à moins de 10 kilomètres du Vigan. « Le jour J, tout s’est accéléré pour rejoindre Montpellier. » Maël, son conjoint, prend des risques pour doubler les files de voitures qui le ralentissent. « Nous avons finalement dû nous arrêter sur un terre-plein à la sortie d’un village. J’ai accouché de ma fille dans la voiture, explique-t-elle. C’était en plein été, il faisait très chaud. J’avais soif et j’avais peur d’une hémorragie, peur pour mon bébé aussi. »

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Nina Ferraud, toute jeune maman d’à peine 30 ans, s’estime aussi lésée sur le « choix de l’accouchement »« Alors qu’auparavant nous avions une petite clinique, il faut maintenant choisir entre de grands établissements, comme sur un catalogue ! On aimerait accoucher dans des endroits à l’échelle de notre vie », estime-t-elle.

Une nouvelle maternité doit voir le jour en 2027, dans la future clinique de Ganges. « Cela ne garantit en rien l’ouverture du service et son fonctionnement en continu, à hauteur des besoins. Si on veut un territoire dynamique, jeune et juste, il faut porter une réflexion et maintenir la pression », confient les organisatrices, qui ont hésité à baptiser leur manifestation « En voiture Simone ».

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Agathe Beaudouin (Nîmes, correspondante)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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