Commencer à arrêter les usages non essentiels des substances polluantes

« La contamination par les PFAS est le problème de pollution le plus grave jamais rencontré »

Tribune

Face à l’offensive des industriels des PFAS, il est primordial de distinguer les usages réellement « essentiels » des substances polluantes de ceux qui pourraient être arrêtés dès maintenant, alerte un groupe d’experts indépendants dans une tribune au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 07h30  Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/17/la-contamination-par-les-pfas-est-le-probleme-de-pollution-le-plus-grave-jamais-rencontre_6502592_3232.html

La contamination de l’environnement par les substances per- et polyfluoroalkylées [PFAS, issus de la chimie de synthèse] – et l’exposition de centaines de millions de personnes qui en résulte – est un défi majeur. Il n’existe pas de solution facile. En termes de durée et de coûts, la contamination par les PFAS est le problème de pollution le plus grave jamais rencontré. Les PFAS ne se dégradent pas dans l’environnement et contamineront l’eau, le sol et les aliments pendant des décennies, des siècles, voire plus. Les PFAS absorbés par les humains sont toxiques et causent de sérieux problèmes de santé, comme des lésions hépatiques et rénales, un affaiblissement de la réponse immunitaire et certains cancers.

Proposée en 2023 [par l’Agence européenne des produits chimiques], la restriction des usages de PFAS dans l’Union européenne (UE) vise à traiter le problème d’une manière globale et efficace [en interdisant la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation de tous les PFAS au sein de l’UE]. Parce que la restriction aura des répercussions nombreuses et profondes, un processus sociétal complexe de discussion et de négociation se déroule actuellement. Il implique fabricants et utilisateurs de PFAS, organismes de réglementation au niveau national et européen, gouvernements et législateurs, scientifiques, institutions de santé publique, société civile, médias et bien d’autres.

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Les industriels des PFAS, en particulier de fluoropolymères et de gaz fluorés, influencent ce processus en cherchant à maintenir les PFAS sur le marché et en s’opposant à la proposition de restriction. Ce lobbying est généralement accepté comme une activité répandue et courante qui fait partie du processus politique. Toutefois, cette acceptation exige, comme contrepartie tout aussi importante et légitime, une observation et une analyse critiques et, le cas échéant, une correction des déclarations exagérées, trompeuses ou incorrectes et des tentatives d’influencer indûment le processus de prise de décision politique.

Déclarations erronées

C’est pourquoi des enquêtes fouillées comme le Forever Lobbying Project, mené par Le Monde [avec 29 médias partenaires et publié entre le mardi 14 et le vendredi 17 janvier], sont d’une extrême importance. Les fabricants et les utilisateurs de PFAS font souvent des déclarations exagérées, voire erronées, qui trouvent un écho surprenant auprès de nombreux décideurs politiques. Exemple d’affirmation erronée : les fluoropolymères – un type de PFAS se présentant sous la forme de plastique – sont des « polymères peu préoccupants selon l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] ». Cette affirmation n’est pas correcte. L’OCDE n’a jamais adopté de tels critères et n’a donc jamais approuvé les fluoropolymères comme polymères peu préoccupants. Elle l’a récemment confirmé dans une déclaration.

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Un exemple de propos exagéré est l’affirmation selon laquelle il n’existe pas d’alternatives pour de nombreuses utilisations des PFAS ou que nos sociétés sont vouées à l’effondrement technique et économique si les usages de PFAS sont restreints. Il est exact que, dans certains domaines, il n’existe aujourd’hui aucune alternative appropriée aux PFAS, en particulier pour les fluoropolymères. C’est le cas, par exemple, des dispositifs médicaux et des implants, ainsi que de certains types de produits d’étanchéité. Toutefois, cela ne s’applique pas, tant s’en faut, à tous les usages de fluoropolymères, ni aux PFAS en général.

Il sera primordial d’identifier, le plus rapidement possible, les usages de PFAS qui doivent être considérés comme« essentiels » et ceux qui, non essentiels, peuvent être éliminés dès à présent ou très rapidement. Emprunté au protocole de Montréal sur les substances détruisant la couche d’ozone [et signé en 1987], le terme « essentiel » désigne les usages nécessaires à la santé, à la sécurité ou au fonctionnement de la société et pour lesquels il n’existe pas de solutions de remplacement techniquement et économiquement réalisables. Notre groupe d’experts indépendants, le Global PFAS Science Panel, travaille actuellement à une cartographie et à une évaluation du caractère essentiel des utilisations des fluoropolymères. Il est important de garder à l’esprit que la production et l’utilisation des fluoropolymères ont entraîné une pollution importante de l’environnement et des coûts de décontamination élevés, en Europe et ailleurs.

Usages « essentiels »

L’absence d’alternative est tout particulièrement invoquée pour les dispositifs nécessaires à la transition énergétique, tels que les batteries, les pompes à chaleur, les piles à combustible ou les électrolyseurs. En réalité, tous ces dispositifs peuvent être fabriqués sans PFAS, comme le démontrent les versions « PFAS-free » bien établies sur le marché depuis des années ou les prototypes en cours de développement.

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Fait important, même pour les utilisations des PFAS jugées essentielles à l’heure actuelle, des travaux de recherche et de développement approfondis ont été entrepris en vue de trouver des solutions de remplacement. La proposition de restriction des PFAS [dans l’UE] définit de longues périodes de transition pouvant aller jusqu’à douze ans après l’entrée en vigueur de la restriction, soit environ quinze ans à partir d’aujourd’hui. Ces quinze années sont précieuses et doivent être mises à profit pour développer autant que possible d’autres options. Ces vingt dernières années, des solutions de remplacement ont été développées avec succès pour des applications très complexes, comme les mousses anti-feu ou les composants de batteries, ce qui montre que la chimie a bien plus de matériaux performants – et sans danger – à offrir que les PFAS. Dans d’autres cas, il suffirait de se contenter d’une performance adaptée à l’usage prévu, au lieu d’une surperformance qui conduit à des émissions superflues.

Le potentiel de la chimie à la fois comme science, comme activité d’ingénierie et comme industrie nous permettra de maîtriser l’élimination progressive et le remplacement de nombreux PFAS. Il s’agit d’une nécessité absolue, compte tenu de l’énorme fardeau pour la santé publique et des coûts faramineux pour remédier à la contamination de notre environnement. La proposition de restriction des PFAS constitue d’ores et déjà un moteur puissant pour ce processus d’innovation.

Ian Cousins, professeur à l’université de Stockholm ; Jamie DeWitt, chercheuse à l’université d’Etat de l’Oregon ; Gretta Goldenman, juriste spécialiste de l’environnement (retraitée) à Bruxelles ; Rainer Lohmann, professeur à l’université du Rhode Island, Etats-Unis ; Carla Ng, professeure associée à l’université de Pittsburgh, Etats-Unis ; Martin Scheringer, professeur à l’école polytechnique fédérale de Zurich, Suisse ; Xenia Trier, professeure associée à l’université de Copenhague.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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