Il semble de plus en plus irréaliste de s’adapter à une planète à + 4 °C.

Face au chaos climatique, l’impossible adaptation au capitalisme punitif

Les inondations meurtrières en Espagne révèlent dramatiquement l’illusion d’une adaptation au réchauffement climatique. Avec déjà + 1,2 °C, comment imaginer que nos politiques publiques pourront anticiper une hausse de 4 °C ?

Mickaël Correia

30 octobre 2024 à 18h52 https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/301024/face-au-chaos-climatique-l-impossible-adaptation-au-capitalisme-punitif

Au moins soixante-douze personnes ont péri dans de violentes inondations qui ont ravagé, le 29 octobre au soir, la région de Valence, dans le sud-est de l’Espagne. Et le bilan est provisoire. Ces pluies torrentielles sont les plus dramatiques du pays depuis 1996.

En France, des territoires entiers ont également été dévastés ces dernières semaines par des crues hors norme. Si des vagues de chaleur et des inondations effroyables ont secoué au printemps 2024 les habitant·es des pays du Sud, ces évènements climatiques extrêmes au plus près de chez nous viennent tragiquement mettre en lumière ce que soulignait le dernier rapport du Giec il y a trois ans : pas une région du globe n’est désormais épargnée par le chaos climatique.

Face à ces drames, et depuis quelques années, une petite musique s’est installée dans l’opinion publique, dans les enceintes diplomatiques et au sein des ministères chargés de l’écologie dans les pays industrialisés : face à ces cataclysmes qui s’intensifient, il faut certes réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais il faut aussi s’adapter.

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Les pompiers des Hautes-Alpes retirent la boue qui a submergé un magasin Intermarché de la zone commerciale de Guillestre, le 4 décembre 2023.  © Photo Thibaut Durand / Hans Lucas via AFP

Agnès Pannier-Runacher, notre ministre de la transition écologique, a annoncé le 25 octobre un plan national d’adaptation au changement climatique pour préparer la France à + 4 °C d’ici à la fin du siècle.

La prochaine Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP29), qui se tiendra en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre, prévoit tout un cycle de négociations autour de l’adaptation et de son financement à l’échelle internationale. Enfin, le Giec a acté que son prochain cycle de travail, annoncé pour 2029, mettrait l’accent sur l’adaptation au réchauffement global.

Mais force est de constater qu’au vu des terribles catastrophes provoquées par les dérèglements climatiques dans un monde qui frôle déjà le + 1,2 °C, il semble de plus en plus irréaliste de s’adapter à une planète à + 4 °C.

Dans un scénario de réchauffement à + 4 °C, les pluies décennales – évènements qui ont actuellement une chance sur dix de se produire chaque année – se produiront quasi trois fois plus souvent, selon le Giec. Et l’organisme onusien estime que l’intensité de tels épisodes de précipitations extrêmes augmente de 7 % pour chaque degré d’augmentation de température. Soit un enfer diluvien sur Terre.

Derrière l’adaptation, l’extension du néolibéralisme

Ainsi, s’il est nécessaire d’adapter nos territoires au réchauffement planétaire, il est encore plus urgent de réduire drastiquement nos émissions pour limiter l’emballement climatique à + 1,5 °C, comme le prévoit depuis 2015 l’accord de Paris sur le climat.

Par ailleurs, pour ne pas se faire piéger par les œillères politiques que peuvent entraîner les discours uniquement centrés sur l’adaptation, il est aussi indispensable de se remémorer l’histoire intellectuelle de cette notion.

L’idée d’adaptation a en effet été forgée dans le creuset néolibéral états-unien des années 1970 pour répondre à la crise climatique. Comme l’a souligné en début d’année dans Mediapart le politiste Romain Felli, auteur de La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe (Seuil, 2016), les économistes américains ont à l’époque calculé que la réduction massive des émissions est une politique « beaucoup trop coûteuse, car elle implique de changer l’organisation économique du capitalisme, fondée sur les énergies fossiles », et que « l’effort que produiraient les pays riches pour baisser leurs émissions serait bénéfique pour la totalité des nations du globe, ce qui est inacceptable d’un point de vue économique pour les néolibéraux ».

A contrario, ces économistes néolibéraux ont avancé que « les politiques d’adaptation sont déployées localement et bénéficient directement au pays ». Elles sont alors apparues dès les années 1980 comme la voie la plus économiquement raisonnable pour répondre à l’urgence climatique. 

« L’adaptation prendra le pas sur les politiques de baisse des émissions parce que laugmentation de ces dernières est intrinsèquement imbriquée à notre modèle de croissance, juge Romain Felli. Hormis un renversement radical, l’adaptation incarne donc la meilleure réponse au changement climatique, tout en maintenant le business as usual. »

Masquer le moteur du chaos climatique

Les premières images en provenance d’Espagne à la suite des inondations ont montré des amoncellements impressionnants de voitures dans des rues sous les eaux, nous dévoilant ainsi autant l’ampleur de la catastrophe qu’un indice de sa cause première : les énergies fossiles.

Les injonctions étatiques à s’adapter au réchauffement masquent le moteur du changement climatique : la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, qui est à l’origine d’environ 90 % des rejets mondiaux de CO2. Et permettent de détourner notre attention politique de l’inaction climatique internationale en matière de sortie des énergies fossiles.

Il a fallu en effet attendre une trentaine d’années pour que les pays réunis à la COP28 à Dubaï (Émirats arabes unis) « appellent » timidement l’an dernier à « une transition hors des énergies fossiles ». Et le 28 octobre dernier, l’ONU Climat a calculé que les actuels plans climatiques des différents États à travers le globe n’arriveront à réduire que de 2,6 % nos émissions d’ici à 2030, alors qu’elles doivent baisser de 43 % pour rester sous la barre des + 1,5 °C de réchauffement.

Pis, les Émirats arabes unis, qui ont organisé la COP l’an dernier, l’Azerbaïdjan, qui héberge les négociations internationales sur le climat cette année, et le Brésil, qui accueillera la prochaine COP30, prévoient collectivement d’augmenter d’un tiers leur production de pétrole et de gaz d’ici à 2035. De quoi mettre en péril la limite des + 1,5 °C qu’ils sont censés défendre en tant que président de la COP et, in fine, gardiens de l’accord de Paris sur le climat.

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Historiquement la plus ambitieuse dans les enceintes diplomatiques internationales, l’Union européenne est traversée par la montée des droites conservatrices et radicales qui menacent le déploiement du Pacte vert, la feuille de route pour freiner l’emballement climatique d’ici à 2050.

Et rien qu’en France, pays diplomatiquement pourtant parmi les plus allants sur la sortie des énergies fossiles, le budget 2025 prévoit de raboter 1,9 milliard d’euros d’aides publiques en lien avec l’écologie.

Autant de signes d’un backlash en cours des politiques publiques de transition écologique, sacrifiées au nom de l’austérité budgétaire et de l’« écologie punitive ». Mais cette inconséquence politique a bien du mal à cacher, tant le chaos climatique s’intensifie sous nos yeux, que c’est bien le capitalisme qui est punitif. Et que face aux cataclysmes climatiques qui rythment désormais nos vies, changer l’ordre social est la seule politique d’adaptation qui tienne.

Mickaël Correia

Communiqué de « Les écologistes »

Les pluies torrentielles qui ont frappé le sud et l’est de l’Espagne sont l’un des visages des ravages du dérèglement climatique. Elles rappellent de la pire des manières la gravité de la crise climatique à laquelle nous faisons face. Les Écologistes adressent tout leur soutien aux victimes de cette catastrophe et à leurs familles, ainsi qu’aux secouristes et bénévoles qui œuvrent sur le terrain pour aider les sinistrés. Les épisodes météorologiques extrêmes se multiplient et l’intensité de ces catastrophes naturelles s’accroît partout dans le monde. Alors que la COP biodiversité s’achève avec des résultats décevants et à quelques jours de l’ouverture de la COP 29 à Bakou en Azerbaïdjan, ces inondations mettent cruellement en évidence l’urgence d’une action collective internationale.  Il est essentiel de prendre des mesures concrètes pour limiter le réchauffement climatique, d’investir dans la résilience des infrastructures et de développer des stratégies de prévention : lutter contre l’artificialisation des sols, restaurer les berges de nos cours d’eau, et déployer un Plan national d’adaptation au changement climatique qui soit enfin à la hauteur des défis auxquels nous faisons face. Il est également impératif de soutenir les collectivités locales et les personnes affectées par ces catastrophes pour qu’elles puissent se reconstruire dans des conditions dignes. Les Écologistes réitèrent leur détermination à défendre un modèle de société qui respecte notre environnement et protège nos concitoyens des conséquences dramatiques des dérèglements climatiques.
 Ne nous résignons pas, agissons.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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