Caroline Fourest : « Evitons d’abuser de #metoo pour régler des comptes, dégager des gens »

Dans un entretien au « Monde », l’essayiste reconnaît qu’il existe un continuum entre les offenses sexistes et les violences sexuelles mais estime qu’il faut les distinguer, pour y répondre de façon graduée et proportionnée. 

Propos recueillis par Publié hier à 13h00 https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/25/caroline-fourest-evitons-d-abuser-de-metoo-pour-regler-des-comptes-degager-des-gens_6359627_3232.html

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Caroline Fourest, directrice du magazine Franc-tireur, intervient lors d’un événement contre l’antisémitisme en Europe, organisé par Règle du Jeu, le CRIF et d’autres institutions, au Théâtre Antoine à Paris, le 3 juin 2024.
Caroline Fourest, directrice du magazine Franc-tireur, intervient lors d’un événement contre l’antisémitisme en Europe, organisé par Règle du Jeu, le CRIF et d’autres institutions, au Théâtre Antoine à Paris, le 3 juin 2024.  GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Dans Le Vertige MeToo (Grasset, 336 pages, 22 euros), l’essayiste Caroline Fourest affirme que « tous les #metoo ne se valent pas » et s’interroge sur les risques d’un « nouveau monde » où « il suffit d’accuser pour exister ». L’ouvrage a suscité une vive polémique parmi les féministes.

Au moment où des accusations graves sont portées contre l’abbé Pierre, et alors que se déroule le procès des viols de Mazan, où cinquante et un hommes sont accusés d’avoir violé une femme droguée à son insu par son mari, comprenez-vous que la mise en question du mouvement #metoo dans votre livre puisse choquer ?

Au contraire, mon livre arrive au bon moment, puisqu’il parle de tous les bienfaits de #metoo, et notamment du fait qu’il y a davantage d’écho et de médiatisation dans des cas aussi clairs et flagrants que le nombre d’accusations portées contre l’abbé Pierre ou le système de prédation et de viols mis en place par Dominique Pelicot.

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En revanche, pendant ce temps, des personnes comme la pédiatre légiste féministe Caroline Rey-Salmon sont accusées à tort [une plainte pour violence sexuelle, déposée après sa nomination comme vice-présidente de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, a été classée sans suite]. Il est regrettable qu’aujourd’hui il ne soit plus possible de défendre un accusé à tort sans passer pour un complice des violeurs ! Car il y a des mises en cause qui ne reposent sur rien – il y en a peu, mais il y en a.

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Ce que l’on constate dans le procès de Mazan, c’est que la parole des victimes est encore trop facilement remise en cause. Est-ce bien le moment de la fragiliser en proposant de remplacer, comme vous le faites, le « je te crois » par « je t’écoute » ?

Quand je dis « je préfère “je t’écoute” à “je te crois” », je ne parle pas de la justice, mais du fait que nous sommes tous devenus des juges #metoo au quotidien, sans réfléchir à cette nouvelle responsabilité. Nous devons évidemment être vigilants, prendre très au sérieux la moindre dénonciation d’agression sexuelle ou de viol, et c’est ce pour quoi je me bats depuis des années et continuerai de me battre.

Mais il ne faut pas renoncer au doute cartésien. Il faut commencer par dire « je t’écoute » avant d’être sûr de pouvoir dire « je te crois ». J’ai assisté à un procès stalinien au sein du Collectif 50/50 qui a abouti à broyer une productrice féministe sur une fausse agression à partir d’une lecture complètement absurde et fanatique du « je te crois ». Cette productrice, accusée par une actrice de lui avoir touché la cuisse lors d’une soirée, a d’ailleurs été relaxée par le tribunal de Paris, en mai. C’est cette affaire qui m’a donné envie d’écrire ce livre. Je me dois d’alerter sur les risques d’injustice.

Evitons d’abuser du hashtag #metoo pour régler des comptes, dégager des gens. Il faut comprendre que tout cela va générer des retours de bâton.

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De quelle manière ?

Si l’on commence à tout traiter de la même façon journalistique, à mettre les mêmes mots sur des faits aussi différents qu’un geste furtif en soirée sans intention sexuelle ou un examen gynécologique sans intention sexuelle, et sur des faits aussi graves qu’un viol sous contrainte chimique, l’opinion publique va finir par penser que, si #metoo est tout cela à la fois, un viol, ce n’est qu’un #metoo de plus.

C’est cette banalisation-là qui me fait craindre une confusion, et bientôt un retour de bâton. Les gens entendent de plus en plus de récits auxquels ils croient de moins en moins, et cela dessert l’indignation nécessaire pour maintenir la pression contre les vrais prédateurs et les vrais agresseurs.

Vous écrivez vous-même que très peu de gens sont accusés à tort. Certains peuvent vous rétorquer que ce n’est pas grand-chose par rapport aux millions de femmes dans le monde (près d’une sur trois, selon un rapport de l’ONU) qui ont subi des violences sexistes ou sexuelles au cours de leur vie.

Je le pense aussi, en disant que le « vertige » est nécessaire. Il fallait en passer par l’explosion de la dénonciation, quitte à ce que quelques noms soient cités à tort, de façon exagérée, et brûlés vifs. Cela ne m’empêche pas d’essayer de réfléchir à une forme d’équilibre pour dénoncer les prédateurs, les agresseurs et même les offenseurs, tout en adoptant des réponses adaptées. Je ne parle pas de contre-révolution, je mets simplement en garde sur ce qui pourrait faire dériver cette belle révolution.

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Vous faites le tri entre les « vrais » #metoo, comme les affaires Harvey Weinstein, Gérard Depardieu, Tariq Ramadan ou Patrick Poivre d’Arvor, et les « faux » #metoo, paroles ou gestes déplacés. Sur quoi vous fondez-vous, puisque vous n’avez pas enquêté sur la plupart des affaires que vous citez ?

Il faut regarder au cas par cas. En lisant la presse, je suis parfois sidérée par la mauvaise foi journalistique avec laquelle on bâtit des accusations. Certaines enquêtes m’ont totalement convaincue, alors que dans d’autres j’ai eu le sentiment qu’on se servait de #metoo pour aller creuser dans la vie privée des célébrités, au sujet de leurs problèmes d’addiction ou de comportement. Pendant ce temps, un certain nombre de violeurs continuent très tranquillement à agir et des victimes à être malmenées dans des procès. C’est aussi la question de « comment démocratiser #metoo » que je pose.

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Que répondez-vous aux féministes vous reprochant de nier le continuum sexiste qui voudrait que, si on n’arrête pas une offense, elle peut dégénérer en violence ?

Je n’ai jamais plaidé pour laisser passer des propos sexistes, je dis seulement qu’il ne faut pas les faire passer pour des agressions sexuelles. Je crois qu’il existe un continuum entre les offenses sexistes et les violences sexuelles, mais qu’il faut tout de même les distinguer, pour y répondre de façon graduée et proportionnée.

Le but de mon livre, encore une fois, n’est pas de dissuader les victimes de parler, mais de réfléchir ensemble à comment transformer cette parole, en plainte ou en accusation médiatique, selon les niveaux de gravité et leur sérialité. Comment fait-on pour essayer d’arrêter les porcelets à temps, d’intimider les porcs et de mettre en prison les prédateurs ? C’est à cela que je propose de réfléchir.

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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