La France, championne du monde des cancers du sein

« Face à la progression constante des cancers du sein, nous appelons à donner plus de moyens à la recherche afin de mieux cibler les facteurs de risque »

Tribune

Dans une tribune au « Monde », plus de 1 000 femmes touchées par un cancer du sein avant 50 ans soulignent que les preuves scientifiques s’accumulent en faveur de liens entre l’exposition à des polluants présents dans l’environnement et la survenue des cancers

Publié hier à 15h00, modifié hier à 19h41  https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/19/face-a-la-progression-constante-des-cancers-du-sein-nous-appelons-a-donner-plus-de-moyens-a-la-recherche-afin-de-mieux-cibler-les-facteurs-de-risque_6356030_3232.html

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Je m’appelle Fanny Arnaud. En 2020, j’ai été touchée par un cancer du sein invasif diagnostiqué pendant ma grossesse. J’avais 36 ans, aucun antécédent familial et je ne me reconnaissais pas dans les facteurs de risque invoqués dans les campagnes de prévention (tabac, alcool, surpoids, sédentarité). D’après l’Institut national du cancer, ces facteurs seraient à l’origine d’un tiers des cancers du sein « évitables » chaque année en France. Alors pourquoi moi ? Comment expliquer les cancers qui se développent sans cause apparente ?

Je m’appelle Sandra Bogojevic. J’avais 24 ans lors du diagnostic de mon premier cancer du sein. Naturellement à cet âge, sans antécédent et avec une bonne hygiène de vie, la question « pourquoi moi ? » s’est rapidement posée, d’autant plus lorsque ce cancer a récidivé il y a deux ans.

Je m’appelle Justine Rojas. Mon cancer du sein déclaré à 26 ans a une origine génétique. J’ai intégré l’association Jeune & Rose pour trouver du soutien auprès de jeunes femmes qui vivent la même chose que moi. J’anime des ateliers de prévention dans les lycées et je me sens utile. Pour autant, que répondre lorsque les adolescents nous demandent : « Si je n’ai pas de mutation génétique, si je ne bois pas, si je ne fume pas et si je fais du sport, je n’aurai pas de cancer, c’est sûr ? »

Nous sommes 1 055 femmes à avoir été touchées par un cancer du sein avant 50 ans, à un âge où il n’est pas « normal » de tomber malade. Nous souhaitons dépasser le discours encore très individualisant en matière de prévention et nous appelons à regarder le problème au niveau environnemental.

La France, championne du monde des cancers du sein

Le cancer du sein n’est pas une jolie maladie rose. C’est une maladie mortelle qui ne se préoccupe pas de l’âge. Près de 67 000 Françaises ont été diagnostiquées en 2022 : 15 000 en sont décédées, dont 1 100 femmes de moins de 50 ans. 15 000 décès en un an, ce sont 41 par jour… Qui en parle dans les médias ? Qui montre les survivantes, ces femmes dont le quotidien derrière le ruban rose rime avec séquelles physiques et psychologiques des traitements, peur de la récidive, infertilité, projets abandonnés, divorces ?

Nous parlons au nom de toutes ces femmes qu’on ne montre pas. La France est devenue la championne du monde des cancers du sein. Le taux d’incidence (tous âges confondus) est de 105,4 cas pour 100 000 habitants en France en 2022, contre 95,9 cas aux États-Unis ou 87,0 cas en Italie. Le nombre de nouveaux cas de cancer du sein a plus que doublé dans notre pays depuis les années 1990tout comme l’ensemble des cancers, à vrai dire.

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Cette explosion ne peut pas être uniquement expliquée par les facteurs individuels, le vieillissement de la population ou un meilleur dépistage : pour le cancer du sein, les moins de 50 ans ne sont pas ciblées par le dépistage organisé et de plus en plus de jeunes femmes sont touchées. Alors pourquoi nous ?

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Les preuves scientifiques s’accumulent en faveur de liens entre l’exposition à des polluants présents dans l’environnement et la survenue de cancers. Sont incriminés ou suspectés dans le développement et l’agressivité des cancers du sein, les pesticides, la pollution de l’air ou encore des composants du plastique. Des substances ont un effet transgénérationnel : il a été prouvé que l’exposition des femmes au DDT, un pesticide massivement utilisé après-guerre, augmentait le risque de cancer du sein de la génération suivante.

Le lourd tribut de l’inaction publique

Or les substances chimiques issues de nos sociétés hyperindustrialisées se comptent en centaines de milliers, et seule une petite partie a fait l’objet d’une évaluation approfondie en matière de toxicité. Les lobbys industriels exercent une influence forte sur la production de connaissances quant à la nocivité des substances qu’ils produisent. La société paie un lourd tribut à cette inaction publique.

En premier lieu les patientes : la survenue d’un cancer a souvent un impact sur toutes les sphères de la vie, particulièrement chez les jeunes femmes confrontées à des problématiques spécifiques (enfants en bas âge, travail et cancer, grossesse…). Notre système de santé n’est pas en reste : la prise en charge des cancers a coûté 22,5 milliards d’euros à l’Assurance-maladie en 2021. Chiffre vertigineux, n’est-ce pas ? Et surtout un message à retenir : sur le temps long, ce sont les services publics, et donc les contribuables, qui devront porter la charge du coût sanitaire dû à un manque de régulation des causes environnementales des cancers en amont.

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Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) estime qu’en 2050, l’incidence des cancers aura augmenté de 77 % dans le monde, faisant peser une très lourde charge sur des services de santé déjà saturés (ou inexistants). Si rien n’est fait, la France comptera 75 000 nouveaux cas de cancers du sein et plus de 20 000 décès par an.

Renforcer la législation sur les produits chimiques

Nous refusons la fatalité. Le cancer du sein peut reculer, à condition de bien en identifier les causes et de mettre en œuvre des politiques publiques en cohérence avec les faits scientifiques. Il nous semble primordial d’opérer des choix d’aménagement et d’urbanisme plus favorables à la santé et de renforcer la législation française et européenne sur les produits chimiques.

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Il est nécessaire d’intégrer à la campagne Octobre rose des actions de sensibilisation sur les dangers des polluants, en particulier pour les femmes enceintes et les enfants en bas âge, car l’exposition à des substances cancérogènes peut avoir des effets délétères des années plus tard. Face à la progression constante des cancers du sein, nous appelons à lutter contre la production de doute et d’ignorance qui entourent la dissémination des perturbateurs endocriniens et autres substances toxiques dans notre environnement.

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Nous appelons à donner plus de moyens à la recherche afin de mieux cibler les facteurs de risque et pouvoir porter un discours de prévention complet et transparent. La santé environnementale doit devenir une priorité de santé publique, pour enfin faire baisser le nombre de cancers. Nous refusons que nos enfants subissent la même épreuve que nous.

Les signataires de la tribune : Fanny Arnaud, ingénieure de recherche en géographie au CNRS, Lyon ; Sandra Bogojevic, association Jeune & Rose ; Mélanie Courtier, cofondatrice de l’association Jeune & Rose ; Virgilia Hess, journaliste et présentatrice météo et climat ; Nelly Mathieu, membre du comité de veille scientifique et sociale de l’association Jeune & Rose, Clermont-Ferrand ; Marie Négré-Desurmont, journaliste ethnologue indépendante ; Justine Rojas, community manager de l’association Jeune & Rose ; Fanny Thauvin, membre du comité de veille scientifique et sociale de l’association Jeune & Rose, Lorient

Pour la liste complète des signataires cliquer sur le lien.

Le Monde

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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