Un texte de loi de programmation énergétique voté au sénat, soutenu timidement par le gouvernement et très pro-nucléaire

Planification énergétique : le Sénat adopte une « petite loi » de programmation

Les 15 et 16 octobre, le Sénat a été le théâtre d’un débat autour d’une proposition de loi de programmation énergétique. Un texte que l’on attendait du Gouvernement depuis un an et demi mais finalement porté par des Républicains pronucléaires.

Décryptage  |  Energie  |  17.10.2024 

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|  F. Gouty

Planification énergétique : le Sénat adopte une « petite loi » de programmation

© Hervé RouveureLes sénateurs ont adopté, le 16 octobre, une proposition de loi misant sur une décarbonation du mix énergétique français.

« Dans quelle démocratie les grands choix de la Nation en matière d’énergie ne sont-ils pas débattus au Parlement ? Au moment même où la Nation doit procéder à une transition énergétique majeure, qui va impacter le quotidien de tous nos concitoyens, c’est une anomalie ! » Après près d’un an et demi d’attente et de retard, un texte de loi de programmation énergétique a bien été débattu et même adopté dans l’un des deux hémicycles du Parlement. Malgré l’obligation fixée en 2019 par la loi Énergie-climat (LEC), il n’émane donc pas du Gouvernement, mais de sénateurs Les Républicains, soutenus timidement par l’exécutif. Adoptée par 220 votes pour face à 103 contre, la proposition de loi mise avant tout sur une « décarbonation » du mix énergétique français, à grands renforts de nucléaire.

Une « petite loi » amenée à devenir grande ?

Déposé à la Chambre haute le 26 avril, le texte a été validé par sa commission des affaires économiques, le 29 mai, et devait être discuté une première fois en séance publique la semaine du 10 juin. La dissolution de l’Assemblée nationale et les élections anticipées qui s’en sont suivies ont rebattu les cartes. Elles ont notamment conduit à l’abandon de plusieurs travaux législatifs, dont une autre proposition de loi de programmation énergétique, déposée en février à la Chambre basse par la députée écologiste, Julie Laernoes, puis examiné par sa propre commission des affaires économiques le mois suivant. Réélue, Julie Laernoes l’a redéposée le 17 septembre et le Palais-Bourbon ne risque pas de l’étudier avant l’année prochaine.

La « petite loi » des sénateurs a finalement été inscrite à l’ordre du jour du Palais du Luxembourg pour une discussion en deux temps : le 15 octobre, sur un premier volet proprement programmatif (sur les trajectoires de consommation et de production, avec objectifs de développement du nucléaire et des énergies renouvelables), et le 16 octobre, sur un second axé sur les dispositions de « simplification ». Composé de 25 articles (contre quatre du côté de la proposition des Écologistes), le texte mise avant tout sur la « décarbonation » des mix énergétique et électrique. Les sénateurs Républicains préfèrent « ne pas opposer les modes de production », bien qu’ils rechignent dans les faits à inscrire une part d’énergies renouvelables à atteindre, comme le veut pourtant la directive européenne (RED III) que la France doit encore transposer d’ici à mai prochain. Un choix politique qui, selon le sénateur Écologiste Yannick Jadot, risque de rendre ce texte « illégal du point de vue européen ». Or, maintient Daniel Gremillet, sénateur Républicain et coauteur du texte, « chaque État membre conserve le droit de son mix énergétique ».

Position impartiale pronucléaire

En suivant leur texte, le mix électrique français serait, en 2030, décarboné à plus de 90 % (avec une part nucléaire à plus de 60 % ou au moins « majoritaire » jusqu’en 2050), et le mix énergétique à au moins 58 %. Une formule s’alignant ainsi sur la volonté du précédent gouvernement, formulée dans la Plan national intégré énergie-climat (Pniec) censé traduire la Stratégie française énergie-climat (Sfec) et transmis à la Commission européenne l’été dernier. Les sénateurs insistent cependant pour que le parc nucléaire maintienne une disponibilité « moyenne » de 75 % (contre 54 % en 2022, notamment du fait des épisodes de corrosion sous contrainte) et que ses capacités augmentent, d’ici à 2050, de 27 gigawatts (GW).

Autrement dit, ils plaident pour que la France s’engage avant 2026 à installer au moins six réacteurs EPR de type 2 (soit les six tranches déjà sollicitées à Penly, Gravelines et Bugey) et, avant 2030, huit supplémentaires et au moins un petit réacteur modulaire (PRM ou SMR) – contre quinze de ces « microréacteurs » dans la version initiale de leur proposition. Dans sa version adoptée, leur texte fixe, en outre, que « d’ici au dépôt de la prochaine loi [quinquennale de programmation], la construction d’au moins 10 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées est étudiée » (l’équivalent de six EPR2 supplémentaires). Une surenchère, sans préconisations financières, face aux deux « paliers » envisagés par le Gouvernement dans son Pniec : 9,9 GW de capacités « engagées » (et non installées) en 2026, soit six EPR2, et « éventuellement », 13 GW de plus, soit huit EPR2 qui font quatorze (et non vingt), à l’avenir.“ Dans cet hémicycle, vous avez une passion pour les EPR, mais dans la passion, il y a aussi de l’irrationalité ”Yannick Jadot, sénateur Écologiste

« Dans cet hémicycle, vous avez une passion pour les EPR, mais dans la passion, il y a aussi de l’irrationalité, a ironisé Yannick Jadot en séance, avant de voter contre le texte. Parce que, si on se dit la vérité sur le nouveau nucléaire, l’EPR de Flamanville, c’est douze ans de retard et seize milliards de surcoût. » Sur ce point, l’ancien candidat à l’élection présidentielle a été presque rejoint par la nouvelle ministre déléguée chargée de l’Énergie, Olga Givernet, qui a suggéré « de ne pas figer prématurément la puissance totale et le nombre de réacteurs qui seront construits à l’horizon 2050, afin de se préserver une latitude suffisante en matière d’innovation et de diversité des projets ».

La position du Gouvernement en faveur de ce texte n’a rien d’affirmée, les sénateurs Républicains préférant eux-mêmes restés prudents en ne le jugeant « qu’attentif à ce stade » à leur proposition. Ses arguments captent cependant bien leur attention, les poussant à adopter une formulation moins ferme sur plusieurs points. Ainsi, dans la version adoptée du texte, l’objectif n’est plus de « construire », mais de « tendre vers » ces 27 GW. En outre, les auteurs du texte tablent, en vrac, sur l’utilisation de 10 % de « matières recyclées » pour la production nucléaire en 2030 (puis 20 % en 2040), en permettant la requalification de certains déchets en « stock stratégique », le soutien au développement de réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides refroidis au sodium, l’allongement des concessions d’entreposage ou encore l’inscription du projet de fusion nucléaire, Iter, dans la liste des sites bénéficiant de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) et de dérogations à la loi Littoral et à l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN).

Des objectifs renouvelables poussés par le Gouvernement

Les suggestions d’Olga Givernet semblent également avoir été entendues à l’endroit des renouvelables. Il faut dire que, malgré leur impartialité revendiquée envers les différentes énergies décarbonées, les sénateurs ne semblent clairement pas aussi enthousiastes sur les renouvelables que sur l’atome. Leur texte viendrait notamment supprimer l’échéance fixée pour déployer de nouvelles capacités éoliennes en mer et porter la priorité sur le flottant, plus éloigné du littoral et donc des paysages côtiers. Il ne comporte pas non plus d’objectifs quantitatifs de développement de l’éolien terrestre. Une absence justifiée par la crainte sur la dépendance de la filière envers l’industrie étrangère, notamment chinoise.

En séance, la ministre déléguée a poussé ses auteurs à revenir sur cette priorité au flottant et ajouter une invitation à « poursuivre de nouvelles installations » terrestres. Du reste, les sénateurs Républicains misent néanmoins, en pagaille, sur divers objectifs ambitieux à des horizons également divers : 29 GW d’hydroélectricité (contre 26 GW actuellement) en 2035, 297 térawattheures (TWh) de chaleur renouvelable et 2 TWh de froid renouvelable en 2030, 20 % de biométhane dans le réseau de gaz à même date, 50 TWh de biocarburants, 6,5 GW d’hydrogène « renouvelable ou bas carbone », 1 GW de batteries stationnaires, 6,7 GW de stations de transfert d’électricité par pompage (Step), « explorer le potentiel » de l’hydrolien marin ou fluvial (contre initialement la volonté d’en installer 1 GW toujours en 2030, puis 5 GW en 2050) ou encore quatre millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2) captées.

Pérenniser le gel de la « taxe carbone »

La proposition de loi mentionne, par ailleurs, des réductions de la consommation d’énergie finale de 30 % (et de 45 % pour les énergies fossiles) à l’horizon 2030, des émissions de gaz à effet de serre du seul secteur des transports de 15 % et des émissions globales de 50 % (« en dehors du secteur de l’agriculture ») à même échéance. De plus, à l’inverse du Pniec, mais à l’image de la proposition de loi Écologiste déposée à l’Assemblée nationale, elle fixe un rythme de 900 000 rénovations d’ampleur réalisées chaque année avec le dispositif MaPrimeRénov’ dès 2030. Auquel s’ajoutent entre 1 250 et 2 500 TWh d’économies d’énergie réalisées chaque année dès 2026 à travers les certificats idoines (CEE). Enfin, plusieurs dispositions dites « de simplification » complètent le texte.

En premier lieu, l’abrogation de la trajectoire de hausse de la « taxe carbone » (contribution climat-énergie ou composante carbone de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques, TICPE), pérennisant le gel décidé en 2018 à la suite du mouvement des Gilets jaunes. Le texte propose également d’engager une « expérimentation » soumettant certaines centrales hydrauliques au régime d’autorisation pour sortir les concessions échues du contentieux européen et d’étendre l’obligation d’achat aux installations d’au moins 150 kilowatts au 1er janvier 2025. Il offre aussi la possibilité de recourir aux centrales à charbon après 2027, « en cas de menace sur l’approvisionnement électrique ». Il fixe des durées maximales pour l’instruction des autorisations environnementales et demandes de rééquipement pour les installations renouvelables situées en zones d’accélération (ZAER). Enfin, il donne de nouvelles compétences au Médiateur national de l’énergie, au gestionnaire de réseau de transport (RTE) et, en particulier, à la CRE sur la fixation des prix de référence du gaz et l’encadrement des contrats de « gré à gré » (ou PPA).

Une approbation discrète du Gouvernement

La contre-proposition des Verts

La seconde itération de la proposition de loi déposée par la députée Écologiste Julie Laernoes ne comporte qu’une petite poignée d’articles, mais elle a l’ambition de transposer strictement les objectifs des nouvelles directives européennes sur l’efficacité énergétique (EED III) et sur les énergies renouvelables (RED III) dans le droit français. Le texte souhaite également porter l’ambition européenne d’une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau français (au-dessus de la baisse de 47,5 % exigée à l’échelon national). Son originalité se porte surtout sur plusieurs dispositions à l’endroit des énergies fossiles : inscrire une trajectoire de leur réduction progressive dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), interdire le recours aux centrales à charbon après 2026 et mettre fin à toutes les exceptions à la loi Hulot sur les permis de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures, ordonnant la fermeture des puits après 2026.

En somme, pour Olga Givernet, ce texte « a le mérite premier de proposer une voie pour les générations à venir, (que le Gouvernement) partage sur plusieurs points ». Une validation, à peine assumée, qui pousse à se demander si le Gouvernement ne finira pas par le brandir comme le sien. Pressentant cet arrangement, le sénateur communiste Fabien Gay a exhorté sa représentante à présenter son propre projet de loi, lequel aura impérativement à s’accompagner d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État. Parce que, d’après lui, « construire 6, 8, 14 ou 20 EPR2, cela ne va pas trancher ce débat en deux jours ». La « petite loi » exige néanmoins du Gouvernement de remettre chaque année au Parlement des rapports sur l’application de la Sfec, le fonctionnement des parcs éoliens en mer et sur les mesures financières engagées pour pérenniser les activités sur les sites d’anciennes centrales à charbon.

Pour preuve, malgré la sollicitation des auteurs du texte et « d’excellents échanges sur le sujet », le nouveau gouvernement n’a pas souhaité engager une procédure accélérée sur ce texte et les premiers n’ont pour l’instant « aucune visibilité » sur l’inscription de leur proposition à l’ordre du jour de l’Assemblée. « De toute évidence, rien ne sera décidé avant le début de l’année 2025 », atteste Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR et présidente de la commission des affaires économiques, en écho au débat budgétaire en cours. Il y a donc fort à parier qu’un tel texte, tant attendu, de programmation finisse bel et bien par surgir (s’il passe le baptême du Palais-Bourbon et les déboires d’une deuxième lecture) après les documents programmatiques qu’il est pourtant censé prescrire.

Félix Gouty, journaliste
Rédacteur spécialisé

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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